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Les réseaux de santé : quel impact sur le travail et la carrière des généralistes ?

Nouvelles fonctions, nouveaux défis

A. Les médecins généralistes face à la demande de coordination : entre contraintes supplémentaires et nouvelles perspectives de carrière

2. Les réseaux de santé : quel impact sur le travail et la carrière des généralistes ?

Si chaque médecin généraliste développe son propre espace relationnel, ou réseau informel, il existe aussi depuis une quinzaine d‟années des réseaux plus formalisés, appelés « réseaux de santé »79. Nous n‟allons pas ici étudier précisément le fonctionnement de ces réseaux déjà abordée dans la partie précédente mais souligner l‟impact de l‟apparition de cette nouvelle forme d‟organisation des soins : d‟une part, sur l‟activité des médecins généralistes libéraux qui adhérent à ces réseaux et, d‟autre part, sur la carrière de ceux qui choisissent de devenir coordonnateur de réseau.

2.1. Adhérer à un réseau

L‟enquête DREES révèle qu‟un tiers des médecins généralistes adhérent à un réseau de santé. Il y a cependant de fortes disparités géographiques (entre 27 et 44 % d‟adhérents selon les régions enquêtés), à mettre en relation avec l‟inégale présence et couverture des réseaux sur le territoire national. Lorsque les généralistes n‟adhérent pas à ces réseaux, les raisons le plus souvent évoquées sont le fait « d‟être sollicités par de nombreux réseaux différents » (entre 40 et 66 % des réponses selon les régions) et le fait qu‟ils trouvent « la charte d‟adhésion trop complexe à renseigner ou le dossier médical trop lourd à renseigner » (50 % des interviewés). Nous savons également que la plupart des adhérents ont une vision positive de ces réseaux : ils « permettent d‟améliorer leur connaissance des problèmes de santé des patients » pour 72% d‟entre eux ; ils « renforcent la collaboration avec le milieu hospitalier » (62 %), « avec

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Le syndicat des médecins de famille (l‟UNOF) revendique régulièrement le rôle de coordonnateur des médecins généralistes, notamment dans le suivi des personnes âgées. Voir par exemple La lettre hebdomadaire

de l’UNOF, n° 173, 14 octobre 2003.

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le secteur médico-social » (62 %), et dans une moindre mesure « avec les spécialistes libéraux » (56 %).

Les réseaux de santé ont été l‟objet d‟étude de nombreux chercheurs et notamment de deux sociologues des professions et des organisations : Bercot a conduit une enquête approfondie sur un réseau de soins destiné aux malades insuffisants cardiaques (Bercot, 2006 ; Bercot et De Conincq, 2006) ; et Robelet et al. (2005) sur quatre réseaux gérontologiques et trois réseaux de soins palliatifs. Dans le cas étudié par Bercot, les médecins généralistes80 font partie de ce qu‟elle appelle le « deuxième cercle », constitué par les professionnels qui entrent provisoirement dans le réseau à l‟occasion de la prise en charge d‟un de leur patient, alors que ceux du « noyau dur » sont impliqués en permanence dans l‟activité du réseau. Ce dernier ne requiert pas, en effet, de la part du généraliste, un engagement permanent ni un acte particulier : « il soulage plutôt le médecin dans son activité, lui ôtant provisoirement le suivi chronophage de malades, ceci sur un domaine de spécialité pointue pour laquelle les médecins généralistes n‟apparaissent pas suffisamment armés » (p. 42). Le réseau est donc un « relai », un « appui » pour le médecin qui y adhère.

En retour, il se doit d‟échanger et de stocker des informations à son cabinet, et de remplir les documents de liaison lors de ses visites au domicile des malades. En cela, on observe le même phénomène que décrit plus haut à propos de l‟instauration du dispositif du médecin traitant : plus la coopération entre les intervenants est formalisée et plus la charge de travail de type administratif augmente. Par ailleurs, le médecin participe aux « réunions de coordination » qui concerne ses patients, ce qui l‟amène à avoir davantage d‟échange avec les autres professionnels du secteur sanitaire et médico-social. Bercot souligne que chaque professionnel doit se livrer à un travail de « traduction »81 pour rendre ses observations compréhensibles et convaincantes pour les autres. A propos des réseaux qu‟elle a étudiés, Robelet décrit la place des médecins traitants de façon tout à fait similaire : il continue à « avoir la main sur ses patients, sans pour autant prendre en charge directement leur dépendance » ; « il est consulté et tenu au courant, mais il n‟est pas associé directement à la coordination qui se présente plus comme une prestation lui étant offerte » (p. 244). Si les décisions ne sont jamais prises contre son avis, le médecin traitant n‟est plus le seul à décider de la prise en charge de son patient – va-t-il être hospitalisé préventivement, que lui dire pour qu‟il change de régime alimentaire ? Lors des réunions, les membres actifs du réseau font attention à ce qu‟il ne se sente pas exclu de la prise de décision touchant son patient, parfois à l‟aide de mises en scène visant à lui donner le sentiment qu‟il est maître de la décision. Robelet souligne que les médecins traitants ne tiennent pas particulièrement à tenir le rôle de coordonnateur, lors des réunions et en général. Seuls certains d‟entre eux sont très motivés par cette activité de coordination, et ils peuvent alors devenir coordonnateurs d‟un réseau.

80 Il s‟agit ici des médecins traitants dont certains patients, malades cardiaques, sont pris en charge par le réseau

étudié, en général à la suite d‟une première hospitalisation.

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2.2. Devenir coordonnateur de réseau : spécialisation, diversification et reconversion professionnelle

Robelet (2005) a précisément étudié les carrières des médecins, mais aussi des infirmières et des travailleurs sociaux, qui deviennent des « professionnels du réseau » et dont le travail n‟est plus alors entièrement consacré aux activités cliniques. Tous les coordonnateurs ont en commun un « statut bricolé », entre exercice libéral, salarié et bénévole. Ceux qui sont médecins d‟origine sont sans doute les mieux lotis : ils exercent généralement leur fonction de coordination à temps partiel et cumulent cette activité avec une activité libérale ou salarié. Tous les médecins rencontrés par Robelet exerçaient une partie de leur activité à l‟hôpital local, avaient acquis une spécialisation par un ou plusieurs diplômes universitaires, et soutenu les initiatives locales en matière d‟organisation des soins. Leur trajectoire est donc marquée par des « engagements multiples », selon les mots de l‟auteur. Devenir coordonnateur s‟inscrit dans la continuité de cette stratégie de diversification de leur carrière, voire pour certains de reconversion définitive. Robelet suggère que « la coordination est pour eux à la fois une façon de promouvoir une manière originale d‟exercer la médecine de proximité et une voie détournée pour accéder à une forme de spécialisation, qu‟ils n‟ont pu obtenir par la „„voie royale‟‟ du diplôme et de la carrière hospitalière. » (p. 252). Par la suite, ceux qui aiment exercer leur fonction d‟expert sont plutôt amenés à travailler comme généraliste salarié dans un contexte hospitalier. Au contraire, ceux que l‟activité de direction de réseau motive particulièrement peuvent évoluer dans d‟autres fonctions de coordination, dans d‟autres réseaux ou en maison de retraite pour les médecins spécialisés en gérontologie.

Pour conclure, on peut retenir que la demande de coordination a eu un impact sur les pratiques quotidiennes des médecins généralistes, vers une plus grande standardisation des procédures et une plus grande formalisation des relations avec les partenaires. Les données disponibles laissent aussi entrevoir que le développement du champ de la prise en charge en général, et des structures de coordination en particulier, est à l‟origine de situations de concurrence entre les médecins généralistes et les autres professionnels intervenant auprès de leurs patients. Certains médecins délèguent volontiers les tâches relevant de la coordination car ils considèrent qu‟elles s‟apparentent à du travail social et qu‟elles sortent de leur mission. Mais d‟autres, très nombreux, revendiquent leur statut de premier coordonnateur des soins et services. Même s‟ils restent les seuls prescripteurs, et qu‟en cela le dispositif du médecin traitant contribue plutôt à renforcer leur autorité, ils sont parfois cantonnés à ce rôle justement : les assistantes sociales des équipes APA, de CLIC ou de CCAS, de même que les infirmières coordinatrices de réseaux, de SSIAD ou de SAMSAH, les appellent pour obtenir un certificat médical ou le renouvellement d‟une ordonnance pour une personne dépendante vivant à son domicile. Ils n‟accomplissent plus vraiment le suivi de la personne et perdent la direction de la « trajectoire » du patient (Strauss, 1992). Des situations de concurrence s‟observent aussi lorsque le patient est placé en institution. En EHPAD par exemple, comme nous allons le voir maintenant, les médecins généralistes n‟ont pas toujours de bonnes relations avec les médecins coordonnateurs.

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B. Les nouvelles fonctions de coordination : difficile de concilier les actes

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