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De nombreuses expérimentations positives mais limitées : une importation des modèles étrangers est-elle possible ?

Nouvelles fonctions, nouveaux défis

C. Coordonner les parcours de soins : gestionnaire de cas, nouveau métier ?

1. Modèles et expérimentations internationales de gestion de cas et d’intégration

1.2. De nombreuses expérimentations positives mais limitées : une importation des modèles étrangers est-elle possible ?

De nombreux programmes incluant des gestionnaires de cas ont été expérimentés partout dans le monde, en particulier dans les pays anglo-saxons et pour les personnes

âgées. Sans prétendre à l‟exhaustivité, nous en évoquons ici les plus marquants pour en souligner les caractéristiques et, dans la mesure du possible, les effets. Nous avons choisi de les présenter non pas par pays mais par type de modèle : des expériences de modèles de gestion de cas simple ; le modèle japonais qui est le seul à avoir été généralisé à l‟échelle du pays ; quelques modèles d‟intégration complète ; enfin le modèle PRISMA, du type coordination-réseau, qui a été expérimenté au Québec et tout récemment en France.

1.2.1. Des expériences de gestion de cas au Royaume-Uni, aux Etats- Unis et au Canada

Le Royaume-Uni a été pionnier dans ce domaine. Quatre études ont été réalisées dans les années 1980 à 2000 par une équipe de l‟université de Manchester dirigée par Challis, la Personal Social Services Research Unit (PSSRU) : dans le Kent, à Gateshead, à Darlington et à Lewisham. Les dispositifs ne sont pas tout à fait identiques mais un même modèle de gestion de cas intensive a été mis en œuvre : une population de personnes âgées est prise pour cible, un petit nombre de cas étudié, des gestionnaires de cas expérimentés ou formés, des budgets décentralisés pour avoir un contrôle des ressources le plus flexible possible. Une bonne connaissance des services et de leurs coûts est donnée aux gestionnaires de cas, et ils procèdent à une évaluation systématique et complète de la situation des personnes qu‟ils actualisent régulièrement. Après un an d‟administration du programme de gestion de cas, le groupe expérimental voit sa situation s‟améliorer significativement par rapport au groupe de contrôle, en termes de bien-être, de satisfaction des besoins de service, et en termes d‟activité sociale ; le stress des aidants est aussi réduit (Challis et Davies, 1986 ; Challis et al., 1995, 2002). En revanche, les résultats relatifs au taux d‟hospitalisation ne sont pas probants. A Lewisham, le programme touche exclusivement des personnes âgées diagnostiquées comme démentes (Challis et al., 2009). La gestion de cas a significativement augmenté la

probabilité des personnes d’être encore à leur domicile après dix-huit mois de soutien.

Le bien-être des personnes comme celui des aidants est supérieur, mais le coût des services reçus était en moyenne plus élevé que celui des services reçus par les personnes ne bénéficiant pas de la gestion de cas.

Il est possible de dégager un certain nombre de facteurs de succès de l‟intervention des gestionnaires de cas : l‟intégration du financement et des différentes aides en fonds commun, l‟existence de différents types d‟incitation, une population cible, une continuité dans les

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personnes impliquées dans le processus de gestion de cas, une offre de services adéquate, l‟existence d‟un point d‟entrée organisationnel unique, une flexibilité dans l‟allocation des ressources. Le gestionnaire de cas peut ainsi détenir un budget qu‟il alloue à sa convenance, ce qui favorise l‟innovation et les réponses sur-mesure. Par exemple, il peut rémunérer un voisin qui s‟engagerait à surveiller que les volets de la personne sont bien ouverts chaque matin. Challis (2010) insiste beaucoup sur cette question de l’indépendance – clinique comme financière – du gestionnaire de cas, et sur le fort degré de responsabilité dont il devrait jouir pour mener à bien sa mission. S‟ils sont salariés d‟une structure qui est prestataire de service, les gestionnaires de cas peuvent rencontrer des dilemmes éthiques quand les intérêts de la structure qui les emploie entre en conflit avec ceux de la personne dont ils sont censés se faire l‟avocat.

Les Etats-Unis ont également été le lieu de nombreuses expérimentations de gestion de cas, en particulier à destination des patients atteints de la maladie d‟Alzheimer ou de troubles apparentés. Entre 2001 et 2004, des chercheurs de l‟université de UCLA ont ainsi mis en œuvre le programme ACCESS (Alzheimer‟ Disease Coordinated Care for San Diego Seniors) à Sans Diego (Vickrey et al., 2006). Le but est alors d‟améliorer la prise en compte des recommandations pour les soins de malades d‟Alzheimer, et de mieux prendre en compte les besoins des patients et de leurs aidants, tant du point de vue médical que social. Le programme porte sur 408 dyades de patient et d‟aidant recrutés dans 18 centres de soins, suivis pendant 18 mois, et auprès de la moitié desquels interviennent des gestionnaires de cas

spécialement formés en vue de la prise en charge de ce type de couple aidant-aidé, l‟autre

moitié constituant le groupe contrôle. Nous reviendrons plus loin sur la question de la formation, ainsi que sur les conséquences pour les professionnels du travail en équipe. Retenons pour l‟heure que les gestionnaires de cas d‟ACCESS s‟occupent d‟environ 50 situations avec une intensité très variée, qu‟ils utilisent les TIC (Techniques d‟information et de communication) pour communiquer avec leurs partenaires et même avec la famille, et que, pour des raisons de légitimité, le choix a été fait de placer les gestionnaires de cas du côté

sanitaire. Les résultats de l‟expérience sont positifs. Une fois engagés dans le processus de

gestion de cas, la grande majorité des prestataires de service comme des couples de patients et d‟aidants sont convaincu de sa valeur et ne souhaitent pas retourner à l‟ancien système de services. Surtout, les recommandations données par les médecins sont généralement

mieux prises en compte dans le groupe ayant bénéficié de la gestion de cas. La qualité de la

santé relative des patients, la qualité de l‟aide, le soutien social apporté au couple, et le niveau de satisfaction de l‟aidant sont aussi meilleurs pour les aidants et les aidés de ce groupe. En revanche, les auteurs notent eux-mêmes des limites importantes à la généralisation d‟un tel modèle : l’absence de contrôle des coûts et certaines résistances au changement.

Une autre équipe de recherche américaine, basée en Indiana, s‟est aussi intéressée à la

gestion de cas à partir des années 1990 (Callahan, 2010). Avec le projet IMPACT (Improving Mood Promoting Access to Collaborative Treatment), ils ont notamment testé le rôle que pourraient avoir des gestionnaires de cas dans le suivi de personnes âgées atteintes de dépression, avec des recommandations et des traitements donnés par le médecin généraliste (primary care). Le gestionnaire de cas intervient alors principalement comme

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résultats ont été positifs : les patients sont en meilleure santé, les forces de l‟aidant mieux utilisées, et les médecins plus engagés dans la prise en charge. Plus récemment, cette équipe de recherche a étendu ses travaux à l‟ensemble des personnes âgées, en portant une attention particulière à celles qui ont des faibles revenus. La gestion de cas est alors assurée par un

tandem composé d’une infirmière très qualifiée (dite nurse practitioner ou « mini- docteur ») et d’un travailleur social. Ces études révèlent une grande variabilité dans

l‟attitude des médecins généralistes, d‟où la nécessité d‟élaborer des programmes à géométrie variable. Là encore, les résultats sont positifs mais le coût de l‟intervention des gestionnaires de cas n‟est pas évalué.

Au Canada, d‟autres expérimentations ont eu des effets positifs (Nahmiash, 2010). Des études montrent ainsi : à Terre Neuve et au Labrador, une amélioration de l‟efficience des programmes et de la productivité du personnel ; en Nouvelle Ecosse, une meilleure information des décideurs ; en Colombie britannique, une réduction des passages aux urgences ; en Alberta, pour des malades d‟Alzheimer précoces, une réduction de la charge des aidants et un report de l‟entrée en institution.

Les nombreuses expérimentations de gestion de cas qui font l‟objet d‟une publication scientifique sont donc positives, au sens où la présence d‟un gestionnaire de cas auprès des personnes âgées a plutôt un effet bénéfique sur le maintien à domicile de ces dernières, leur bien-être ainsi que celui de leur aidant. Les résultats sont néanmoins peu comparables

d’une étude à l’autre, car au-delà d‟un petit nombre de critères d‟évaluation communs,

chaque site a ses caractéristiques et développe des pratiques spécifiques, que ce soit en termes de population-cible, de formation des gestionnaires de cas, d‟outils, ou encore de contrôle des ressources. Peu de recherches se sont intéressées scrupuleusement au coût-efficacité de l‟intervention du gestionnaire de cas. Plutôt que d‟importer un modèle plutôt qu‟un autre, il semble possible de se servir de ces expériences comme d’une boîte à idées.

1.2.2. La généralisation des gestionnaires de cas au Japon

Le modèle de gestion de cas japonais paraît particulièrement intéressant parce qu‟il est le seul à avoir été généralisé à l‟échelle d‟un pays. Aujourd‟hui, ce sont en effet 60 000

gestionnaires de cas, appelés care managers, qui exercent dans tout le Japon. Leur

introduction s‟inscrit dans le cadre d‟une réforme générale du système de prise en charge des personnes âgées lancée en 2000 (Ikegami, 2008 ; Matsuda, 2009). Avant cette date, la situation du pays était marquée par une rupture entre les secteurs sanitaire et médico-social, un certain monopole des services d‟aide à domicile qui n‟allait ni dans le sens d‟une bonne qualité des services ni dans celui d‟une saine gestion économique des dépenses associées à la prise en charge. Cette gestion n‟était pas non plus optimale compte tenu du fort taux d‟hospitalisation des personnes âgées, les séjours en hôpital étant souvent préférés à une entrée en institution, pour des raisons économiques – les séjours étant remboursés – mais aussi socio-psychologiques, du fait du stigmate associé aux maisons de retraite. C‟est donc dans un souci de démédicalisation et de désinstitutionalisation de la prise en charge des personnes âgées que la réforme a été lancée et le système de Long-Term-Care Insurance

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(LTCI) instauré, universel et financé essentiellement par l‟assurance dépendance obligatoire à partir de 40 ans.

Dans ce modèle, qui est intermédiaire entre celui de liaison et celui de réseau, le

gestionnaire de cas a un rôle pivot, à la fois de guichet unique et de gestionnaire de parcours. Une enveloppe budgétaire lui est accordée après évaluation des besoins de la

personne âgée par un organisme municipal. Le gestionnaire de cas décide alors du type d‟aides, de leur volume, et assure également la mise en place de ces aides. Cette autonomie financière lui donne les moyens de négocier avec les prestataires de service. Il effectue enfin un suivi de la situation, en passant au moins un coup de téléphone par mois à la personne, sachant qu‟il s‟occupe d‟environ 40 personnes. Il est rémunéré sur la base d‟un forfait compris entre 20 et 100 euros par client et par mois, prélevé sur le LTCI et fixé lors de l‟évaluation des besoins de la personne.

Les 60 000 gestionnaires de cas qui exercent aujourd‟hui ont obtenu une certification après

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