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Du besoin d’un lien humain à la modélisation des systèmes de soins intégrés : petite histoire de la gestion de cas dans les pays anglo-saxons

Nouvelles fonctions, nouveaux défis

C. Coordonner les parcours de soins : gestionnaire de cas, nouveau métier ?

1. Modèles et expérimentations internationales de gestion de cas et d’intégration

1.1. Du besoin d’un lien humain à la modélisation des systèmes de soins intégrés : petite histoire de la gestion de cas dans les pays anglo-saxons

1.1.1. Aux origines de la gestion de cas

Les origines de la gestion de cas remontent au début des années 1980, à un moment où les modes de prise en charge des personnes âgées, malades ou handicapées évoluent dans la plupart des pays développés. Selon Moxley (1989), les facteurs de développement de la gestion de cas sont les suivants : une tendance à la désinstitutionalisation, l‟absence de centralisation des services non-hospitaliers, un nombre croissant de personnes ayant des

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besoins multiples et vivant à leur domicile, la fragmentation et le cloisonnement des services de soins, une prise de conscience de l‟importance du soutien social – en plus de celle des soins médicaux – et du rôle des aidants familiaux, et le besoin de réduire les coûts. Favorables au maintien à domicile, les pouvoirs publics ont donc cherché à améliorer la coordination entre les soins reçus en institution et au domicile, et entre les soins médicaux et les services relevant du secteur social.

Dans les pays anglo-saxons, le problème a d’abord été posé en des termes très simples et

centrés sur les « clients » que sont les personnes malades, âgées ou handicapées : l‟offre de

services devenant de plus en plus complexe et fragmentée, il fallait qu‟un professionnel – le gestionnaire de cas – soit chargé d‟assister les personnes dans leurs choix, et de faire le lien entre les différents services. Aux Etats-Unis, la Commission présidentielle sur la santé mentale réunie en 1981 conclut ainsi : « Strategies focused solely on organisations are not enough. A human link is required. A case manager can provide this link and assist in assuring continuity of care and a coordinated program of services. » (cité dans Miller, 1983) Au Royaume-Uni, le développement du Case management figure aussi dans les priorités que se fixent les pouvoirs publics dans le livre blanc Caring for People de 1989.

1.1.2. Les fonctions du gestionnaire de cas

Dès lors, plusieurs modèles théoriques et organisationnels voient le jour sous des noms divers (care coordination, case management ou care management). Tous ont néanmoins un même but : faciliter et optimiser les interactions entre les prestataires de services des champs sanitaire, médico-social et social (Huxley, 1993). Les fonctions assignées aux gestionnaires de cas sont également similaires : le repérage (screening), l‟évaluation des besoins (assessment), l‟élaboration d‟un plan de soin (care planning), l‟intervention directe ou indirecte, le suivi ou veille (monitoring), et la réévaluation de la situation. Le fait que ce soit un processus

continu, qui s’inscrit dans la durée et dans lequel le plan d’intervention est sans cesse redéfini à l‟aune de la situation sanitaire mais aussi sociale de la personne, est sans doute ce

qui distingue la gestion de cas d‟une intervention ordinaire. Le graphique suivant souligne cette différence, et révèle l‟importance des boucles de rétroaction entre le suivi et l‟évaluation.

Source : Challis, 2010

Un tel processus permet une grande réactivité et une grande flexibilité des réponses apportées aux personnes. Par ailleurs, il convient de distinguer différents niveaux de gestion de cas,

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selon l‟état de la personne prise en charge, mais aussi la complexité, la durée et l‟intensité de l‟accompagnement dont elle bénéficie. Ainsi, une personne ayant des besoins nombreux et fluctuants, et demandant l‟intervention de plusieurs organismes pendant longtemps, est considérée comme un « cas complexe » et requiert à ce titre une gestion de cas « intensive » (intensive case management)110. Ce type de gestion de cas est particulièrement adapté aux patients âgés atteints de troubles physiques et cognitifs, soumis à un fort risque d‟institutionnalisation. Par rapport aux professionnels réalisant déjà de la coordination dans les services sociaux ou les hôpitaux, le gestionnaire de cas est conçu comme un « méta-

coordinateur » (Hébert et al., 2003) : il doit pouvoir intervenir auprès de tous les

professionnels impliqués dans la prise en charge, qu‟ils exercent dans des structures sanitaires, médicales ou sociales ; il prend la défense de la personne en toutes circonstances et s‟en fait « l‟avocat » (advocate) (Tahan, 2005).

Dans les pays anglo-saxons, le gestionnaire de cas se voit ainsi rapidement prêter toutes les vertus : il réalise une coordination qui touche à la fois les professionnels et la famille de la

personne bénéficiaire ; il sait réagir rapidement à l‟évolutivité de la situation ; son intervention est durable, au sens où non seulement il met en place les aides, mais assure aussi le suivi ; enfin, et c‟est important pour les pouvoirs publics comme pour les bénéficiaires, il contribue à une meilleure allocation des ressources.

1.1.3. Trois grands niveaux d’intégration des services

A partir des années 1990, certains auteurs notamment américains critiquent pourtant la mise

en œuvre de ces modèles de gestion de cas, en arguant qu‟ils donneraient de meilleurs résultats s‟ils étaient davantage pensés en lien avec le contexte économique et organisationnel global. Les recherches se tournent alors vers la conception de modèles dit d’intégration, dans lesquels la gestion de cas est généralement conçue comme un des éléments d‟une stratégie visant à rendre plus efficace l‟ensemble du système de soin sur un territoire donné. Le but n‟est plus de faciliter la coopération entre des intervenants mais entre des organisations, et notamment entre celles du secteur sanitaire (cure sector) et celles du secteur médico-social (care sector). Plus précisément, on peut retenir la définition que donnent Kodner et Kyriacou (2000) d‟un système de soins intégrés : « a discrete set of techniques and organisational models designed to create connectivity, alignement and collaboration within and between the cure and care sectors at the funding, administrative and/or provider levels ». Dans ce contexte, les gestionnaires de cas conservent néanmoins un rôle pivot – ils sont souvent appelés « les bras armés de l‟intégration » – et c‟est ce qui nous intéresse ici. Leutz (1999) propose une typologie des modèles d‟intégration qui est très souvent reprise dans la littérature, au moins comme point de départ. Il distingue trois niveaux d’intégration : la liaison (linkage), la coordination (coordination) et l‟intégration complète (full integration). - Dans le modèle de liaison, les organisations peuvent développer des procédures plus ou moins formalisées pour faciliter leur collaboration et la transmission d‟informations sur les besoins des patients. Les professionnels de chaque structure comprennent bien comment les

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autres interviennent, en particulier quant au financement des prestations et à l‟éligibilité, et s‟adressent à eux ponctuellement lorsqu‟ils le jugent nécessaire. Cependant, chacune des organisations prestataires continue à avoir ses propres règles de fonctionnement, et un domaine d‟intervention et de responsabilité spécifique. Le modèle de liaison ne fait pas intervenir de gestionnaire de cas. Si de tels professionnels – par exemple une infirmière ou une assistante sociale – occupent déjà au sein des services la fonction de référent pour certaines personnes, ils peuvent en revanche contribuer à renforcer la liaison entre les différents services intervenant pour ces personnes. Dans les pays possédant un système de santé universel et largement financé par les fonds publics, comme le Canada ou la France, de nombreuses initiatives sont conduites pour favoriser un tel niveau minimal d‟intégration des services.

- A l‟autre extrémité du continuum, dans le modèle dit d’intégration complète, une seule organisation intégrée est responsable pour tous les services, qu‟ils soient réunis effectivement en une même structure ou liés par contrat. De nouvelles procédures sont mise en place pour évaluer les besoins des personnes, ce qui détermine leur entrée dans l‟organisation intégrée. Par ailleurs, toutes les ressources sont combinées, les systèmes de financement et d‟éligibilité unifiés, les informations partagées quotidiennement. Une même organisation contrôle ainsi tous les services, délivrés par des équipes multidisciplinaires. La gestion de cas est assurée par ces équipes ou par des « supers » gestionnaires de cas. Plusieurs modèles de ce type ont été expérimentés aux Etats-Unis, au Canada et en Italie, nous y reviendrons.

- Le niveau intermédiaire d‟intégration, la coordination, implique enfin le développement et la mise en œuvre de structures et de mécanismes permettant de réduire la confusion, la fragmentation et la discontinuité entre les organisations, et de promouvoir le partage d‟informations. L‟accent est mis sur la création d‟une infrastructure gérant l‟ensemble des services destinés à une population donnée. Chaque organisation conserve son propre fonctionnement mais accepte de participer à cette infrastructure ou structure virtuelle, parfois appelé réseau ou « système en parapluie » (Hébert et al., 2003). Chaque service accepte aussi, par conséquent, d‟adapter ses procédures et interventions à mesure que le réseau évolue. Les techniques de coordination comprennent des outils d‟évaluation des besoins, des procédures standardisées de décisions, d‟optimisation des ressources et de suivi des interventions, et la présence de gestionnaires de cas. Ces derniers peuvent notamment jouer le rôle d‟orientateur à l‟entrée du système. Le Canada est le pays qui a le plus développé ce type de système intégré. Selon Leutz, ces modèles répondent à différents degrés de complexité des besoins des personnes.111 Si cette typologie a été sophistiquée par la suite, les auteurs reprennent toujours l‟idée d‟un continuum dans l‟intégration des services, et des variables similaires112

. Pour appréhender les variations entre ces différents modèles, ainsi que l‟efficacité de tel rôle donné

111 Ainsi le modèle de liaison suffirait à la prise en charge des patients relativement stable et autonome dans ses

décisions, demandant l‟intervention d‟un petit nombre de services et pour une durée limitée ; celui de l‟intégration complète serait au contraire approprié pour les personnes très dépendantes, ayant besoin d‟une large gamme d‟interventions s‟opérant souvent dans l‟urgence.

112 Kodner (2010) distingue par exemple cinq niveaux d‟intégration : brokerage, liaison, gatekeeping, network,

et managed care. Le troisième et le quatrième, généralement traduit par « modèle du guichet unique » et « modèle du réseau », sont des variantes du modèle de coordination.

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au gestionnaire de cas, ou la supériorité de telle solution organisationnelle ou économique, le mieux est d‟étudier les expérimentations qui ont été conduites en matière de gestion de cas et d‟intégration.

1.2. De nombreuses expérimentations positives mais limitées : une importation

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