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Le « médecin traitant », premier coordonnateur de soins

Nouvelles fonctions, nouveaux défis

A. Les médecins généralistes face à la demande de coordination : entre contraintes supplémentaires et nouvelles perspectives de carrière

1. Le « médecin traitant », premier coordonnateur de soins

L‟instauration du dispositif du « médecin traitant » en 200471 est révélatrice de la croissante demande, adressée aux médecins généralistes, de s‟impliquer dans la « coordination des soins » de leurs patients72. Tous les assurés âgés de plus de 16 ans ont été invités à choisir un médecin comme médecin traitant, qui est alors chargé d‟organiser son « parcours de soins coordonnés », c‟est-à-dire de centraliser toutes les informations concernant la santé du patient (maladies, traitements suivis, analyses, radios, etc.) et, le cas échéant, de l'orienter vers d'autres médecins, appelés « correspondants ». Dans cette section, nous chercherons à comprendre, d‟abord, en quoi consiste le travail de coordination assuré par les médecins généralistes libéraux ; puis, quel a été l‟impact de l‟instauration du dispositif du médecin traitant sur ce travail ; enfin, les spécificités liées à la prise en charge des personnes âgées dépendantes.

70 Rappelons les indicateurs caractérisant généralement cette population : trois médecins sur dix sont des

femmes ; leur âge moyen est de 51,5 ans, avec une différence selon le sexe (53 ans chez les hommes et 47 ans chez les femmes) ; 28 % des médecins libéraux exercent une autre activité professionnelle, presque toujours salariée (Aquino et al., 2009).

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La loi du 9 août 2004 portant réforme de l‟Assurance maladie a mis en place le dispositif du médecin traitant, entré en vigueur le 1er janvier 2005. Auparavant, le dispositif du « médecin référent », très similaire, avait été expérimenté mais sans succès en raison des astreintes imposées aux médecins.

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Aujourd‟hui, 85 % de la population a choisi un médecin traitant. S‟il est formellement possible de choisir un spécialiste comme médecin traitant, dans les faits ce sont généralement des généralistes.

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1.1. La mobilisation d’un réseau professionnel informel relativement stable

Les médecins généralistes libéraux sont en relation avec d‟autres professionnels du secteur sanitaire et médico-social. La Direction de la recherche, des études, de l‟évaluation et des statistiques du Ministère chargé de la santé (DREES) a conduit une enquête par questionnaire en 200773 pour connaître plus précisément ces relations74. Il apparaît que les médecins spécialistes sont les professionnels de santé avec lesquels les généralistes ont le plus fréquemment des contacts. Environ 90 % des médecins interviewés déclarent ainsi « avoir eu, au cours des quinze derniers jours, des échanges par téléphone ou par mél avec l‟un d‟entre eux à propos d‟un patient », ce qu‟indique le graphique suivant. L‟enquête montre par ailleurs que les spécialistes vers lesquels les généralistes adressent leurs patients sont à 80 % des libéraux. Les échanges avec les pharmaciens sont également très fréquents. Les généralistes semblent enfin avoir très régulièrement des contacts avec les infirmiers, les biologistes et les kinésithérapeutes, ce qui peut être révélateur d‟un travail de coordination réalisé pour des patients âgés ou handicapés recevant des soins à domicile. Le médecin généraliste est donc au cœur d‟un réseau de professionnels, les liens de ce réseau étant constitués par les patients que les professionnels ont en commun – les auteurs de l‟enquête DREES parlent de « réseau professionnel informel », par opposition aux réseaux formels que sont les réseaux de santé.

73 Un dispositif de recueil de données à été mis en place en 2007 pour une durée de trois années dans cinq

régions (Basse-Normandie, Bourgogne, Bretagne, Pays de la Loire et PACA). Cette enquête est réalisée en collaboration avec les Unions régionales de médecins libéraux (URML) de ces régions, et avec la Fédération nationale des observatoires régionaux de la santé. Près de 2 000 médecins généralistes sont enquêtés chaque semestre par téléphone. Lors de la deuxième vague d‟enquête, qui nous intéresse ici, les médecins étaient interrogés sur l‟étendue de leur réseau professionnel, les relations avec les confrères spécialistes, le dispositif du médecin traitant, leur implication au sein des réseaux de santé, ou encore la coordination des soins auprès des personnes âgées dépendantes vivant à domicile. Voir Bournot et al., 2008.

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La sociologue Isabelle Bourgeois (2007), qui a consacré son travail de thèse à l‟étude de l‟activité des médecins généralistes, montre que ce réseau est relativement stable parce que les différents acteurs (généralistes, patients, spécialistes et autres professionnels) sont pris dans un système. Selon elle, les médecins généralistes cherchent à contrôler les trajectoires de leurs patients pour assurer une meilleure cohérence des soins et fidéliser sa clientèle. Pour cela, chaque médecin se forge un « espace relationnel » en s‟appuyant sur les ressources médico- techniques qu‟offre leur territoire. L‟analyse de la gestion du suivi des patients au long cours par quatre médecins généralistes en particulier montre que les rôles professionnels sont bien définis avec les acteurs de leurs espaces respectifs, chacun restant autonome dans ses actions. La prise en charge est structurée par la « familiarité de tous ces acteurs », que ce soit en milieu urbain ou rural. La stabilité des relations informelles entre professionnels repose à la fois sur cette interconnaissance et sur « l‟obligation » qu‟ils ont de coopérer pour garder le contrôle de la prise en charge du patient et continuer d‟être une source de clientèle les uns pour les autres.

1.2. Formalisation du suivi des patients et augmentation de la charge de travail des généralistes : les impacts du dispositif du médecin traitant

La réforme du médecin traitant ne semble pas avoir eu d‟incidence notable sur l‟activité des spécialistes, si ce n‟est sur celle de quelques-uns75

. Nous savons en revanche que les généralistes ont vu leur activité augmenter de 3,5 % entre 2003 et 2006. Mais plus précisément, quels sont les impacts de l‟instauration de ce dispositif sur leur travail et leur façon de coopérer avec les spécialistes ? L‟enquête DREES révèle que, même si les généralistes sont partagés sur ces questions, il est possible de conclure à une transformation de la place du médecin généraliste dans le parcours de soins des patients. Comme l‟indique le graphique suivant, 40 % des généralistes interrogés déclarent que, depuis sa mise en place, « le partage des rôles entre spécialistes et généralistes est mieux défini »76.

Ce sont souvent les mêmes qui considèrent que la réforme a eu un impact positif. Les généralistes qui estiment que le partage des rôles est mieux défini sont en effet plus nombreux à déclarer qu‟il est devenu « plus facile de connaître le parcours de soins de leurs patients (entre 47 et 57 % selon les régions contre moins de 40 % pour l‟ensemble des médecins généralistes), et que « les retours des comptes rendus de spécialistes se sont améliorés » (45 à 48 % contre environ 30 % pour l‟ensemble).

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D‟après les données de l‟Assurance maladie, leur activité est restée stable entre 2003 et 2006, exceptée pour les ORL (-12 %), les dermatologues (-10 %) et les pédiatres (-6 %).

76 Comme le suggèrent les auteurs, parmi les 60 % qui ne partagent pas cette opinion se trouvent sans doute des

praticiens qui pensent que les rôles étaient déjà bien définis avant la réforme, mais la question n‟a pas été posée. Cette remarque vaut pour tous les autres résultats, ce qui limite malheureusement grandement la pertinence des analyses réalisées à partir des réponses recueillies.

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La perception qu‟ont les patients du rôle du médecin traitant dans le parcours de soins s‟est améliorée selon les médecins pour 15 % des généralistes seulement, 70 % d‟entre eux considérant qu‟elle n‟a pas changé. Près de la moitié des enquêtés, en revanche, ont dit « voir, depuis la réforme, des patients qui étaient auparavant exclusivement pris en charge par un spécialiste », et ceci plutôt dans les pôles urbains. Ces données montrent que le rôle du généraliste dans le parcours de soins s‟est réaffirmé avec la réforme, non pas tant comme pilote du parcours que comme acteur privilégié pour l‟accès aux soins et à l‟information. La réforme a aussi favorisé les échanges au sein du réseau, via la rédaction et l‟envoi plus systématique de comptes rendus, ce qui peut améliorer le suivi des patients. Ces nouvelles responsabilités et activités sont aussi à l‟origine de l‟augmentation de la charge de travail administratif des généralistes – ce point est le seul qui fasse l‟unanimité chez les enquêtés, ce qui est aussi un signe tangible de la transformation des pratiques, vers un suivi des patients plus documenté et des relations entre professionnels davantage formalisées.

1.3. Spécificité de la coordination des soins pour les personnes âgées dépendantes

Le réseau professionnel mobilisé par les généralistes pour les soins des personnes âgées dépendantes est spécifique dans la mesure où il couvre une grande diversité d‟intervenants, qui exercent à la fois dans les champs sanitaire, médical et social. Les médecins généralistes sont ainsi en relation avec des assistants sociaux des départements, mais aussi des caisses de sécurité sociale ou de retraite, et des établissements et services médico-sociaux. Nombreux sont ceux qui participent également au dispositif de l‟allocation personnalisée d‟autonomie (APA) mis en place en 2001, en pratiquant pour les Conseils généraux des évaluations à domicile (entre 70 et 81 % selon les régions, d‟après l‟enquête DREES). Néanmoins, là encore, la taille et la variété du réseau développé et mobilisé par le médecin dépend des ressources médico-techniques et sociales offertes par le territoire – notamment ici en ce qui concerne les infirmiers libéraux, les services de soins infirmiers à domicile, les hôpitaux de

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court séjour, les structures d‟hospitalisation à domicile. D‟après l‟enquête DREES, les assistants sociaux et les services d‟aide et d‟accompagnement à domicile qui interviennent auprès des personnes âgées dépendantes sont des professionnels bien repérés par les généralistes. Ce n‟est pas encore le cas pour les CLIC, qui ne sont pas présents sur tout le territoire national.

La question de la coordination de tous ces intervenants, en rapport avec le parcours de la personne, se pose donc d‟autant plus à propos des personnes âgées dépendantes. La majorité des généralistes interrogés dans l‟enquête DREES considèrent être tout à fait ou plutôt d‟accord avec l‟idée que la coordination des intervenants auprès des personnes âgées dépendantes relève du rôle du médecin généraliste (entre 72 % et 82 % selon les régions). Ce résultat est cohérent avec celui d‟une autre enquête par questionnaires, réalisée en 2008 à l‟initiative de la Fondation Médéric Alzheimer (FMA)77

. La grande majorité des médecins interrogés dans le cadre de cette enquête estiment en effet qu‟ils sont eux-mêmes les intervenants les plus à même d‟assurer la coordination de la prise en charge des personnes atteinte de la maladie d‟Alzheimer. Ils citent ensuite les familles et les services d‟aide ou de soins infirmiers à domicile, comme l‟indique le graphique suivant.

A l‟occasion de la même enquête, plus de 66 % des généralistes ont déclaré qu‟ils ont bien l‟impression d‟assurer eux-mêmes la coordination des intervenants, et cela de façon identique dans les trois régions enquêtées. Dans 49 % des cas, cette mission se réalise de façon spontanée de leur part, souvent par défaut, faute d‟autre personne pouvant jouer ce rôle ; dans

77 Réalisée en collaboration avec les URML d‟Auvergne, des Pays de la Loire, et de Poitou-Charentes, cette

enquête porte sur 1 406 personnes exerçant dans une de ces trois régions. Les questions portent avant tout sur la prise en charge des malades d‟Alzheimer. Voir Aquino et al., 2009.

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45 % des cas de façon consensuelle entre lui et les différentes qui sont amenées à intervenir auprès de la personne malade ; dans 6 % des cas de façon officielle, dans le cadre d‟un réseau de santé ou d‟un échange de courriers entre lui, les familles, et les intervenants.

Les médecins traitants sont donc les premiers coordonnateurs de soins. L‟aspiration qu‟ils ont à jouer ce rôle, toute professionnelle78, peut néanmoins être à l‟origine de tensions entre les acteurs du réseau informel, chacun se considérant comme le plus à même d‟assurer la coordination des soins et le suivi du parcours des patients. Ces tensions sont particulièrement sensibles lorsque le patient est pris en charge par un service d‟aide et d‟accompagnement à domicile (SSIAD, SAAD, SAMSAH) et, comme nous le verrons plus loin, lorsqu‟une personne âgée est amenée à entrer dans un établissement d‟hébergement qui emploie un médecin spécialisé en gériatrie.

2. Les réseaux de santé : quel impact sur le travail et la carrière des

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