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Réseaux locaux de sociabilité et insertion dans la vie locale : un clivage entre les zones les plus rurales et les zones les plus urbaines

QUATRE POINTS D’OBSERVATION EN ISERE

A. Des perceptions différenciées du cadre de vie ?

4. Réseaux locaux de sociabilité et insertion dans la vie locale : un clivage entre les zones les plus rurales et les zones les plus urbaines

Les travaux de Robert Putnam (1993, 2000) ont ouvert la voie au développement du concept de « capital social » dans les sciences sociales, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe (Bévort Lallement 2006). Dans ces travaux, le capital social serait la clé de voute du bon fonctionnement des démocraties : le capital social agit comme un ciment des relations au sein d’une société, garantissant l’engagement individuel de tous (ou du plus grand nombre) dans la vie collective par la promesse d’une réciprocité de l’investissement, au niveau individuel ou au niveau collectif177. Ce concept de la « réciprocité généralisée » (Putnam 2000) des échanges au sein d’une société permet de lier, de façon lâche, les individus les uns aux autres mais au sein d’un groupe vaste. Au-delà des quelques tentatives de définition d’un ensemble d’indicateurs qui serviraient à mesurer et à comparer le capital social au sein de différents groupes ou pays (Putnam 2002), il est classiquement admis qu’il est possible de

176 Source : FJP vague 1, résultats non pondérés. V = 0.140 sig. = 0.000.

177 Signalons que cette définition du capital social est l’objet d’importantes critiques. Par exemple, pour Theda Skocpol (2003), la notion de capital social présente le défaut de trop se focaliser sur les relations interindividuelles (voisinage, amitiés) et la production d’attitudes (confiance, entraide). Cette vision a pour conséquence de faire reposer la chute de la forme classique des structures civiques américaines sur l’évolution des comportements individuels. Pour T. Skocpol, les origines de cette chute sont également à chercher dans le poids des institutions (les associations, mais aussi les politiques publiques), avec une explication plutôt centré sur des agrégats collectifs et macrosociologiques que sur les théories individualistes et behavioristes.

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l’approcher en prenant en compte la vitalité de la vie associative au sein d’une communauté (avec le nombre d’associations, d’adhérents, etc.), les comportements politiques et sociaux des individus (la participation aux élections, le nombre d’événements collectifs organisés, etc.) et les attitudes des citoyens (confiance en autrui et confiance dans les institutions).

Dans la mesure où nous cherchons à déterminer des rapports localement différenciés à la politique, du fait d’un agencement particulier d’un ensemble de caractéristiques locales, nous n’avons pas choisi de procéder à une mesure exhaustive du capital social mais de nous concentrer uniquement sur quelques aspects de l’insertion des individus dans un réseau de sociabilité locale. Nous avons donc opté dans la première vague pour une question portant sur l’implication dans la vie locale178, et dans la seconde vague pour deux questions cherchant à mesurer l’insertion dans un réseau social local179. Si ces trois questions confirment certains des enseignements les plus anciens de la sociologie180, ils nous permettent aussi de caractériser nos quatre points d’observation. Nos zones les plus « rurales », ou du moins les plus éloignées des aires urbaines grenobloise ou lyonnaise, sont celles où les individus enquêtés sont les plus insérés dans des réseaux locaux de sociabilité : ainsi, dans les cantons de Villard-de-Lans et de Pont-de-Chéruy, on observe respectivement 26% et 24% d’individus qui s’intéressent à la vie locale et y consacrent du temps. À l’inverse ce sont les enquêtés échirollois, donc ceux qui résident dans la commune la plus urbaine de notre échantillon, qui s’intéressent le moins à la vie locale (19,4%).

178 La question était la suivante : «Q13 : Si l’on vous proposait de vous occuper d’activités concernant la vie de votre commune/quartier, répondriez-vous que : ça vous intéresse et vous y participez déjà / ça vous intéresse et vous seriez prêt à y consacrer du temps / Ça vous intéresse mais vous n’êtes pas prêts à y consacrer du temps / Ça ne vous intéresse pas / (NSP) ».

179 Les questions étaient les suivantes : « Depuis le début de l’année, avez-vous eu des activités, invitations ou sorties avec des personnes de votre quartier ? » (Q19) et « Vous arrive-t-il de rendre service à des gens de votre quartier ? » (Q21). Les modalités de réponse à ces deux questions étaient : « très souvent / souvent / rarement / jamais ».

180 Ainsi, Emile Durkheim, dès sa thèse de doctorat en 1893, mettait en évidence les effets de la densification démographique en milieu urbain sur la transformation des mécanismes de solidarité au sein des sociétés (Durkheim 1978 rééd.).

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Tableau 2.21

4 zones : s’occuper d’activités du quartier181

Intérêt et participe déjà Intérêt et prêt à y consacrer du temps Intérêt mais pas le temps Ça ne vous

intéresse pas Total

Canton de Saint-Ismier 17,4% 19,7% 52,1% 10,8% 100% Canton de Villard de Lans 26,1% 29,5% 37,9% 6,5% 100% Echirolles 18,3% 19,4% 41,7% 19,4% 100% Canton de Pont-de-Chéruy 24% 19,3% 42,9% 13,4% 100% Moyenne 21,4% 22% 43,7% 12,5% 100%

De la même façon, les questions sur l’insertion individuelle dans un cercle local de sociabilités (hors familial et amical) montrent des individus mieux insérés au niveau local dans les zones les plus « rurales » de notre échantillon182 : en effet, l’éloignement par rapport à un certain nombre de services et la faible couverture des transports en commun dans ces zones rendent plus fréquentes les pratiques d’entraide avec son voisinage que dans les communes plus proches des agglomérations, où il est plus facile d’être autonome. Toutefois, les enquêtés du canton de Pont-de-Chéruy déclarent moins souvent que la moyenne « avoir des activités avec des personnes du quartier » (32,5%), allant ainsi un peu à l’inverse de ce que l’on pouvait penser du fait de leur implication et insertion dans la vie locale. On peut, cependant, expliquer ce décalage en faisant l’hypothèse que beaucoup des habitants des communes de ce canton s’y sont installés en étant à la recherche d’un habitat individuel - pavillonnaire dans la plupart des cas - qui n’incite pas à l’ouverture vers les autres (Lévy Lussault 2003)183.

Tableau 2.22

4 zones : sociabilités locales (modalités de réponse : très souvent et souvent)184

Avoir des activités avec des personnes

du quartier Rendre service à des personnes du quartier Canton de Saint-Ismier 37,6% 49,6% Canton de Villard de Lans 48,8% 62% Echirolles 27,8% 48% Canton de Pont-de-Chéruy 32,5% 53,2% Moyenne 36,7% 53,2% 181

Source : enquête FJP vague 1, résultats non pondérés, NSP exclus de l’analyse. V = 0,122 sig. = 0,000. 182 Nous reviendrons plus en détail sur ces réseaux locaux de sociabilité dans le chapitre 4 de cette thèse. 183 Encore une fois, nous reprendrons ces hypothèses dans le chapitre 4 de façon détaillée.

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En conclusion, l’étude des rapports individuels aux cadres de vie confirme bien l’hypothèse de l’existence d’une perception différenciée des cadres de vie par les individus enquêtés résidant dans les quatre sites. Ainsi, nous sommes bien face à quatre cadres de vie distincts, dont les différences de contextes socioéconomiques, mises en évidence précédemment, se traduisent par des perceptions différenciées : les cantons de Saint-Ismier et de Villard-de-Lans, initialement choisis parce que constituant un cadre de vie relativement favorisé, apparaissent bien préservés, n’étant pas confrontés, aux yeux de la population qui y habite, à une mauvaise image, à un fort sentiment d’insécurité ou à une importante dégradation de l’école. A l’inverse, le canton de Pont-de-Chéruy et la ville d’Echirolles sont en prise avec de plus grandes difficultés socioéconomiques, qui se traduisent – sans surprise – par une image de commune moins « recommandable » par rapport aux deux autres zones « favorisées », un sentiment d’insécurité qui y est plus fort et plus répandu et une moins bonne appréciation de la qualité de l’école. Cependant, cette présentation de notre échantillon en deux images schématiques opposées ne doit pas faire oublier certaines variations : les perceptions de l’école sont par exemple différentes en fonction de la pratique qu’en ont les enquêtés, et la perception de l’insécurité diffère entre les zones d’Échirolles et Pont de Chéruy. Toutefois, il ne nous est pas possible ici de confronter chacune des dimensions interrogées (image de la commune, délinquance et insécurité, insertion dans des réseaux locaux de sociabilités) à son niveau effectif, en raison de l’absence de questions permettant de les caractériser. Nous pourrons toutefois approfondir ces dimensions dans les chapitres à venir, notamment au moyen des techniques d’enquête qualitatives également utilisées.

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