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L’entretien semi directif : construction du guide et exploitation des données

PROTOCOLE ET METHODOLOGIE

B. Entretiens semi-directifs et analyse qualitative

1. L’entretien semi directif : construction du guide et exploitation des données

Dès le début du programme de recherche, l’équipe de chercheurs en charge du volet « qualitatif » de l’enquête était convaincue de la nécessité de laisser la plus grande liberté de parole possible aux enquêteurs, de façon à pouvoir observer le mieux possible la construction des raisonnements politiques. Néanmoins, l’entretien ethnographique non directif n’était pas réellement envisageable, en raison des contraintes de temps et de budget inhérentes au programme, amenant ainsi à retenir l’entretien semi-directif comme outil d’enquête, de façon à être certains d’aborder les thèmes définis comme centraux pour la conduite de l’enquête. Le guide d’entretien ainsi défini (reproduit en annexe D) devait nous permettre d’aborder les quatre thèmes suivants : la perception du cadre de vie de l’enquêté, sa perception de la campagne présidentielle et son intérêt pour celle-ci, ses choix et opinions politiques en 2007.

La construction de la grille d’entretien s’est donc inscrite dans une définition « maïeutique » de la situation d’entretien. Selon cette définition, l’entretien de recherche a pour objectif le recueil du discours de l’enquêté, en suivant le déroulement du fil de sa pensée à haute voix, l’explicitation des cheminements intellectuels qui sous-tendent ses opinions, le tout intimement articulé à son vécu et à ses expériences personnelles (Blanchet et al. 2005). L’intérêt du recueil du discours de l’enquêté réside non pas tant dans la collecte d’informations personnelles que dans la façon dont celui-ci va présenter, agencer et livrer ces informations :

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Cette utilisation routinisée de l’entretien semi-directif dans l’analyse des politiques publiques en France a d’ailleurs fait l’objet en 2006 d’une critique assez lourde de la part de Pascale Laborier et de Philippe Bongrand : les deux auteurs voient dans l’utilisation de cet outil d’enquête un « impensé méthodologique » ou plutôt un impératif instrumental » (Bongrand Laborier 2006), où l’entretien s’est peu à peu imposé, assez implicitement, sans jamais faire l’objet d’une réelle réflexion ni sur les sources qu’ils constituent, ni sur les usages qui en sont faits.

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« Les entretiens ne nous livrent jamais des « faits » mais des « mots ». Ces mots expriment ce que le sujet vit ou a vécu, son point de vue sur « le monde », qui est « son monde » et qu’il définit à sa manière, en même temps qu’il l’apprécie et qu’il tente de convaincre son interlocuteur de sa validité. C’est à la découverte de ces « mondes » que sont destinés les entretiens de recherche centrés sur les sujets qui ont accepté le dialogue. » (Demazière Dubar 2004, p.7)

Dans cette perspective, il est nécessaire que l’enquêteur se fasse le plus discret possible dans sa manière de mener l’entretien. L’enquêteur doit en quelque sorte aider l’interviewé à « accoucher » de sa pensée, en adoptant une attitude d’empathie, favorable à la « confession » et à l’écoute objective du discours de l’enquêté. Cependant, il existe un écart indéniable entre la théorie de l’entretien semi-directif et sa pratique, encore plus dans le cadre d’une recherche collective, où chaque chercheur engagé mobilise sa propre pratique de l’entretien et son expérience plus ou moins conséquente de l’exercice. L’écoute de la soixantaine d’entretiens réalisés au cours du terrain qualitatif souligne bien cet état de fait : indépendamment de la qualité des entretiens, liée à la plus ou moins bonne qualité de la relation nouée entre l’enquêteur et l’enquêté, à l’aisance de l’enquêté ou à son intérêt pour les sujets évoqués, plusieurs pratiques de l’entretien sont repérables dans les différents entretiens réalisés. On repère ainsi des enquêteurs plus ou moins bavards dans leurs relances, ou encore des sujets qu’ils relancent plus que d’autres. Si ces modes spécifiques de mener l’entretien créent quelques disparités entre les entretiens, celles-ci ne sont pas de nature à remettre en cause leur exploitation.

La mise en forme de la grille d’entretien a ensuite tenté de ne pas brusquer le discours des enquêtés sur la séquence présidentielle de 2007. En effet, si notre terrain n’est pas à proprement parler un terrain difficile, en termes d’accès à l’objet étudié ou aux acteurs (Campana Boumaza 2008), il est nécessaire de prendre en considération les réticences, parfois assez fortes, des citoyens « ordinaires » à parler de politique, que ce soit en raison d’un faible intérêt pour la politique, d’un sentiment d’incompétence dans le domaine ou encore de difficultés à se sentir légitime à s’exprimer sur un objet perçu comme éloigné de leur quotidien et qu’ils ne manipulent pas fréquemment (Gaxie 1978). Il apparaissait donc nécessaire de ne pas transformer les entretiens en campagne d’inquisition et d’évaluation de l’intérêt des citoyens pour l’élection présidentielle de 2007. C’est la raison pour laquelle la grille d’entretien débute par une consigne80 liée à leur environnement quotidien réside, en plus du recueil d’information sur la perception des enquêtés de leur cadre de vie. Entamer l’entretien par les perceptions

80 « Vous habitez dans le secteur de (nom de la zone), OU nom de la commune XXXX (nom de la zone),

pouvez-vous me dire ce que pouvez-vous pensez de l’évolution de votre cadre de vie depuis que pouvez-vous pouvez-vous êtes ici ? » (Cf. annexe D)

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individuelles des cadres de vie des individus enquêtés nous a semblé être un mode « doux » pour introduire l’entretien, permettant de mettre en confiance l’enquêté. Cette introduction offre également l’avantage de subjectiver le récit de l’enquêté, en l’impliquant directement et dès le départ dans le récit qu’il va fournir. En outre, ce guide d’entretien a été conçu pour une utilisation en souplesse : hormis la question de départ, les enquêteurs n’avaient pas pour consigne de respecter l’ordre d’apparition des questions dans le guide mais d’essayer de relancer l’enquêté en s’appuyant sur la conversation en cours. Néanmoins, l’inconvénient de cette entrée en matière est de modifier la nature des entretiens qui s’éloignent du modèle des « conversations » entre un enquêté qui se livrerait totalement et un enquêteur qui serait une oreille attentive et désintéressée. Notons que cette entrée en matière par le « contexte », nous a permis de recueillir d’importantes données sur la perception qu’ont les individus de leur « territoire ».

Toujours dans l’objectif d’un accompagnement fin de la construction du discours des enquêtés, le guide adopte la technique des probabilités de vote81 dans le but de cerner au mieux les hésitations des enquêtés entre les différents candidats aux élections étudiées. Testée – avec succès – lors des sondages téléphoniques, cette technique des probabilités de vote est plus précise qu’une simple intention de vote et permet de suivre les hésitations des enquêtés dans leur choix de candidats. Au cours de l’entretien, cette séquence était la seule figure imposée de façon à obtenir, comme dans les sondages, une idée des hésitations des enquêtés. La question était posée sous la forme suivante :

« On va faire maintenant un petit jeu. Je vais vous montrer des cartes avec le nom des différents candidats à la présidentielle et vous allez me dire combien il y a de chances sur 10 pour que vous votiez au 1° tour de l’élection présidentielle pour chacun de ces candidats. Si vous êtes certain de voter pour lui, vous lui mettez dix. Si vous êtes certain de l’éliminer, vous lui mettez zéro. Entre les deux, vous pouvez nuancer votre réponse entre 1 s’il y a peu de chance et 9 s’il y en a beaucoup. »

D’une façon générale, cette question a bien fonctionné avec tous les enquêtés – seuls deux personnes sur les cinquante-sept interviewées ont refusé d’y répondre. Le fait d’introduire la question sous la forme d’un jeu à la fin de l’entretien, permettait de ressaisir l’attention de l’enquêté, qui commence à s’émousser après une heure de conversation portant sur des sujets dont ils n’ont souvent pas l’habitude de parler aussi longtemps. Grâce à cette question, nous avons pu recueillir un grand nombre d’informations sur la perception des candidats par les enquêtés ainsi que sur l’organisation de leurs opinions politiques, les enquêtés complétant le plus

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souvent leurs « chances » ou leurs « notes »82 d’un commentaire expliquant leur choix. Cependant, l’utilisation et l’analyse des réponses à cette question sont fondamentalement différentes de celles que l’on peut faire lorsqu’on utilise cette même question dans les questionnaires téléphoniques. Cette divergence s’explique par le mode de passation de la question : en effet, d’un côté, la question est posée à la fin d’un entretien long, en face-à-face, et présentée sous la forme d’un jeu, tandis que de l’autre côté la question apparaît au milieu des soixante questions d’un sondage téléphonique. D’un côté, on cherche donc à faire parler les enquêtés autour de chaque candidat en leur laissant le temps de la réflexion, de l’autre, on attend d’eux la réponse la plus simple et la plus rapide possible de façon à pouvoir la quantifier ensuite. Il n’est pas envisageable de se livrer à une analyse statistique sur ces résultats, d’une part en raison de la taille réduite de l’échantillon de l’axe qualitatif, et d’autre part parce que la question n’a pas été posée de la même façon à tout le monde, chaque enquêté n’ayant pas donné les mêmes informations, ni passé le même temps sur les candidats83. Cependant, ce matériau permet de mieux cerner les connaissances individuelles du jeu politique mais aussi, grâce aux hésitations des enquêtés entre les différents candidats, de comprendre comment chacun organise son propre « champ des possibles » en matière de politique. Avec cette question, et dans l’hypothèse de recherches futures, il nous parait intéressant de disposer également d’un enregistrement vidéo de façon à pouvoir analyser la communication non verbale des enquêtés. En effet, dans les entretiens que nous avons réalisés, il était extrêmement intéressant de voir les enquêtés manipuler les cartes représentant le nom des différents candidats à la présidentielle : certains optaient pour une classification entre les candidats pour lesquels ils pourraient potentiellement voter et ceux pour lesquels ils ne voteraient pas, d’autres préféraient une classification en familles politiques, d’autres encore ne touchaient pas les cartes, se contentant de les observer. N’ayant pas prévu en amont le recueil systématique de ces données visuelles, nous n’avons pu malheureusement que constater leur très grande richesse par le biais de prises de note.

Enfin, la lecture et l’écoute des entretiens réalisés montrent, de façon assez évidente, que les quatre zones n’ont pas été enquêtées de la même manière, du fait du nombre différent d’enquêteurs affectés à chaque zone84, mais aussi d’une certaine forme d’imposition de

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En effet, bien que la question précise « les chances de voter » pour un candidat, les enquêtés répondent le plus souvent à cette question en attribuant des « notes » aux différents candidats. Toutefois, étant donné que « notes » ou « chances » reflètent toujours l’ordre de préférence des candidats pour chaque enquêté, cela ne perturbe pas l’interprétation que nous pouvons en faire.

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Par exemple, la plupart des enquêtés n’a pas attribué de note à tous les candidats, rendant la comparaison statistique superficielle.

84 En plus des deux enquêteurs de l’équipe FJP affecté à chaque zone, le canton de Saint-Ismier et la commune d’Echirolles sont surreprésentés dans l’échantillon en raison de la participation des douze étudiants du Master 2 Professionnel « Progis. Etudes d’opinion, études de marché » de l’IEP de Grenoble, à la réalisation du terrain

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problématique, causée par les caractéristiques spécifiques de chacune de nos zones. Tout d’abord, de par le nombre d’enquêteurs et les interactions qui se nouent lors de chaque entretien, et malgré la construction d’un guide d’entretien commun et le respect des consignes fournies, chacun des cinquante-sept entretiens semi-directifs de notre échantillon constitue une situation d’interaction sociale tout à fait particulière. La dimension humaine et sociale, inhérente à la technique de l’entretien (Kaufmann 2007), quelle que soit la volonté initiale d’objectivation et de systématisation de la technique, nous conduit à souligner la spécificité de la relation particulière qui se noue lors de chaque entretien, ainsi que la nécessité pour le chercheur de développer sa propre pratique de l’entretien en fonction de ses propres attendus scientifiques. Ainsi, le canton de Pont-de-Chéruy, certes choisi pour sa tradition politique de soutien à la droite populiste et xénophobe, est la seule zone dans laquelle les personnes sont systématiquement interrogées sur les thèmes du Front National et de son leader, Jean-Marie Le Pen, ou sur Philippe de Villiers. De façon moins systématique, à Echirolles, commune de la périphérie grenobloise très marqué par l’habitat collectif et social, le thème des « banlieues » revient très fréquemment. Dans les deux autres zones enquêtées, ces thèmes ne sont évoqués qu’à l’initiative des enquêtés sans être abordé systématiquement. Si les banlieues et l’extrême-droite sont des caractéristiques objectives des territoires en question, logiquement au cœur des entretiens, ce manque d’uniformité dans la conduite des entretiens apparaît quelque peu regrettable, notamment en termes de systématisation des analyses que nous pouvons faire par la suite.

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