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PROTOCOLE ET METHODOLOGIE

C. Deux enquêtes d’opinion par sondage : questionnaires et échantillons

2. Présentation des données empiriques recueillies

Comme nous l’avons fait pour les données qualitatives, il importe de procéder à une brève présentation des données quantitatives. Ces données ont été recueillies, comme nous l’avons déjà évoqué, au moyen de deux enquêtes d’opinion réalisées par sondage. Les deux terrains ont été réalisés par l’institut de sondage BVA, selon un questionnaire présenté plus haut et des consignes précises fournies par l’équipe du projet FJP. La première vague de sondage a eu lieu du 5 au 10 février 2007, collectant les réponses de 1026 individus répartis dans les quatre zones ; la seconde vague de sondage s’est déroulée du 10 au 14 avril 2007 sur un échantillon de 1010 individus. L’échantillonnage a été réalisé selon la méthode des quotas, après tirage au sort du numéro de téléphone du ménage95 dans une base de numéros de téléphone96 : la méthode des quotas consiste à reproduire la structure sociale de la population mère, en fonction des critères jugés pertinents pour l’étude. Dans notre cas, la population mère était définie par la population inscrite sur les listes électorales dans les quatre points d’observation sélectionnés et l’échantillon était contrôlé par le genre, l’âge et la profession.

Une fois réalisé les sondages, il convient de contrôler la correspondance entre les échantillons obtenus et la population mère, de façon à vérifier qu’il n’existe pas de distorsion

95 Dans le cas d’un ménage comportant plus d’un individu, majeur, inscrit sur les listes électorales et parlant suffisamment le français pour répondre à l’enquête, l’individu interrogé était sélectionné par la méthode dite du « plus proche anniversaire », consistant à réaliser l’entretien avec la personne dont l’anniversaire à venir est le plus proche.

96 Cette base, établie par France Télécom, ne comprenait pas les numéros inscrits sur liste rouge et les numéros de portable, mais comportait des numéros de ligne dégroupée chez d’autres opérateurs.

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trop forte entre les deux, notamment en termes de structure socioprofessionnelle et de niveau de diplôme, dont l’influence est particulièrement importante dans la constitution des comportements politiques. Ainsi, les échantillons obtenus, composés d’au minimum 250 individus, sont globalement homogènes et proches de la structure sociale réelle, même si quelques distorsions sont observables. En ce qui concerne l’activité de la population enquêtée (cf. tableau 1.1), la première observation est celle de la légère surreprésentation des actifs et des retraités dans nos échantillons, à l’inverse les étudiants et les autres inactifs sont légèrement sous représentés, même si parfois des différences existent entre les deux échantillons : par exemple, les étudiants sont bien mieux représentés dans la vague 2 dans la ville d’Echirolles97. En ce qui concerne les chômeurs, on peut noter une légère sous-représentation de ce groupe, dans les deux vagues, dans le canton de Pont-de-Chéruy. Enfin, les seuls écarts véritablement importants entre la population-mère et notre échantillon se trouvent, à Echirolles, avec la sous-représentation des chômeurs dans la vague 2 (4% de chômeurs interrogés contre près de 10% dans la population active de la ville), et avec la sur représentation des retraités dans les deux vagues (respectivement 26,6% et 25% de retraités contre moins de 19% dans la population-mère).

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De la même façon, si on considère les deux échantillons, les étudiants sont mieux représentés à Echirolles et dans le canton de Saint-Ismier : sans empiéter sur la suite de notre développement, précisons que ce phénomène s’explique essentiellement par la plus grande proximité avec l’agglomération grenobloise et donc la plus grande facilité pour les étudiants de rester au domicile de leurs parents pour poursuivre leurs études.

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Tableau 1.2.

4 zones : activité de la population enquêtée98

Actifs ayant un emploi Chômeurs Retraités ou préretraités Etudiants Autres inactifs Total Canton de Saint-Ismier % FJP V1 56,4% 5,4% 22,8% 9,7% 5,8% 100% effectif 146 14 59 25 15 259 % FJP V2 52,2% 3,5% 23,1% 11,4% 9,8% 100% effectif 133 9 59 29 25 255 % INSEE 1999 54% 3,3% 20,5% 14,5% 7,7% 100% Canton de Villard de Lans % FJP V1 62,1% 5,7% 20,3% 5,0% 6,9% 100% effectif 162 15 53 13 18 261 % FJP V2 61,6% 3,6% 21,6% 6,4% 6,8% 100% effectif 154 9 54 16 17 250 % INSEE 1999 58,6% 4,2% 19% 9,8% 8,4% 100% Echirolles % FJP V1 49,2% 11,9% 26,6% 5,2% 7,1% 100% effectif 124 30 67 13 18 252 % FJP V2 45,2% 4,0% 25,0% 13,9% 11,9% 100% effectif 114 10 63 35 30 252 % INSEE 1999 48% 9,8% 18,8% 12,6% 10,8% 100% Canton de Pont-de-Chéruy % FJP V1 62,1% 5,5% 18,5% 6,3% 7,5% 100% effectif 158 14 47 16 19 254 % FJP V2 56,9% 4,7% 20,6% 6,3% 11,5% 100% effectif 144 12 52 16 29 253 % INSEE 1999 51,4% 7,8% 15,7% 12,6% 12,5% 100%

Ensuite, en ce qui concerne la composition socioprofessionnelle (cf. tableau 1.2), les écarts entre la structure de la population-mère et nos échantillons sont plus marqués. En effet, on observe globalement, dans les deux vagues et pour toutes les zones, une sous-représentation des agriculteurs et des petits commerçants et une sur représentation des cadres et professions intellectuelles, ainsi que des professions intermédiaires, les ouvriers et les employés étant à peu près bien représentés.

Enfin, la distorsion principale de notre échantillon, classique dans les enquêtes par sondage99, est la sur représentation des catégories les plus diplômées de la population : en effet, dans chacune des zones observées et dans chacune des vagues d’enquête, une très large majorité des enquêtés est au moins titulaire du baccalauréat ou d’un diplôme équivalent.

98 Source : INSEE (RGP 1999, population âgée de 15 ans et plus), enquête FJP vague 1 et 2 (population âgée de

18 ans et plus, résultats non pondérés).

99 Voir à ce sujet les débats qui ont eu lieu lors du 3ème colloque francophone sur les sondages en 2002 (Société française de statistique 2002).

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Tableau 1.3

4 zones : catégorie socioprofessionnelle de la population enquêtée100

Agricult. et PIC Cadres, prof. sup. Prof.

interm. Employés Ouvriers Chômeurs Total

Canton de Saint-Ismier % FJP V1 3,8% 45,0% 16,3% 20,0% 6,3% 8,8% 100% effectif 6 72 26 32 10 14 160 % FJP V2 6,3% 38,0% 24,6% 17,6% 7% 6,3% 100% effectif 9 54 35 25 10 9 142 % INSEE1999 8,8% 38,3% 24,4% 15,9% 6,4% 6,2% 100% Canton de Villard de Lans % FJP V1 7,3% 18,1% 20,3% 27,1% 18,6% 8,5% 100% effectif 13 32 36 48 33 15 177 % FJP V2 9,8% 16% 28,8% 21,5% 18,4% 5,5% 100% effectif 16 26 47 35 30 9 163 % INSEE 1999 14,1% 12% 23,7% 27,1% 16,1% 6,8% 100% Echirolles % FJP V1 1,9% 14,9% 20,8% 26,0% 16,9% 19,5% 100% effectif 3 23 32 40 26 30 154 % FJP V2 0% 18,5% 25,8% 26,6% 21% 8,1% 100% effectif 0 23 32 33 26 10 124 % INSEE 1999 2,8% 9,5% 21% 28,6% 21% 17% 100% Canton de Pont-de-Chéruy % FJP V1 5,2% 4,6% 26,2% 25,6% 30,2% 8,1% 100% effectif 9 8 45 44 52 14 172 % FJP V2 5% 13,1% 21,9% 22,5% 27,5% 10% 100% effectif 8 21 35 36 44 16 160 % INSEE 1999 6,5% 5,4% 19,7% 21,2% 34% 13,2% 100% Tableau 1.4

4 zones : Niveau de diplôme de la population enquêtée101

Inférieur au bac. Bac. et plus

Canton de Saint-Ismier % FJP V1 29,9% 70,1% effectif 53 206 % FJP V2 16,9% 83,1% effectif 43 212 % INSEE 1999 38,3% 61,7% Canton de Villard de Lans % FJP V1 47,3% 52,7% effectif 98 163 % FJP V2 37,6% 62,4% effectif 94 156 % INSEE 1999 58,2% 41,8% Echirolles % FJP V1 64,4% 35,6% effectif 127 125 % FJP V2 42,1% 57,9% effectif 106 146 % INSEE 1999 69,1% 30,9% Canton de Pont-de-Chéruy % FJP V1 68,3% 31,7% effectif 134 120 % FJP V2 54,5% 45,5% effectif 138 115 % INSEE 1999 78,3% 21,7%

100 Source : INSEE (RGP 1999, population âgée de 15 ans et plus), enquête FJP vague 1 et 2 (population âgée de 18 ans et plus, résultats non pondérés).

101 Sources : INSEE (RGP 1999, population âgée de 15 ans et plus), enquête FJP vague 1 et 2 (population âgée

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Il nous a semblé nécessaire de clarifier les écarts pouvant exister entre les données que nous avons recueillies par le biais des sondages et la réalité socioéconomique des points d’observation choisis en amont. En effet, les analyses que nous allons développer par la suite n’ont pas pour objectif d’être généraliser à l’ensemble de la population de ces quatre zones : il s’agit d’essayer de mettre en évidence de potentiels agencements locaux qui peuvent y exister, qui éventuellement influencerait les opinions et comportements politiques des électeurs. Pour cette raison, nous ne procéderons pas à des redressements des échantillons pour les faire en sorte qu’ils correspondent plus aux zones initiales, en n’utilisant donc qu’uniquement les résultats bruts et non pondérés, recueillis au cours des deux terrains des enquêtes par questionnaire. Ce choix, il convenait donc de faire cette comparaison entre échantillons obtenus et population mère pour prendre la mesure des distorsions pouvant exister et les avoir à l’esprit dans les analyses que nous proposerons par la suite de ces données quantitatives.

Pour terminer cette présentation des données, l’exploitation que nous allons en faire sera prudente, notamment en raison de la présence restreinte de certaines catégories dans nos échantillons (les ouvriers dans le canton de Saint-Ismier ou les cadres supérieurs et les professions intellectuelles dans le canton de Pont-de-Chéruy), conformément à la réalité socioéconomique des zones. Précisons également que, dans les analyses qui suivront, lorsque nous mobilisons les catégories socioéconomiques, nous nous concentrons sur les catégories actives de la population, en laissant de côté les « agriculteurs et petits commerçants » qui sont trop peu nombreux dans nos échantillons.

Pour conclure cette présentation de la méthodologie de l’enquête FJP et des données quantitatives et qualitatives recueillies dans ce cadre, nous opérerons un glissement vers un thème, plus fréquemment étudié par la sociologie – mais restant tout de même connexe à la science politique –, celui de la structuration sociale française, et plus particulièrement de la thèse de la « moyennisation » de la société française. Du fait de l’importance accordée dans les différents modèles de constitution des opinions et choix électoraux des citoyens, ce rapide détour par la sociologie des classes sociales nous semble en mesure d’apporter un éclairage sensiblement différent sur la question de la construction du jugement politique.

Cette thèse de la « moyennisation » de la société française, c'est-à-dire de la dissolution des classes ouvrière et dirigeante dans une classe homogène sous l’effet conjoint d’une urbanisation accélérée, d’une élévation du niveau d’étude, d’une mobilité sociale ascendante et d’une diffusion croissante des pratiques sociales dans tous les segments de la société, a connu un grand succès à partir des Trente Glorieuses (Chauvel 2006). Pourtant, aujourd'hui,

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ce mouvement vers une homogénéisation de la société ne semble plus aussi assuré : les anciennes inégalités sociales perdurent et de nouvelles apparaissent, tant au niveau économique (Castel 1995), scolaire (Beaud 2003) que social (Peugny 2009) ; dans le même temps, les anciennes lignes de fractures entre possédants et travailleurs ne sont plus suffisantes pour décrire la société française et les enjeux auxquels elle est confrontée. Cependant, malgré les remises en cause empiriques de cette thèse de l’homogénéisation de la société dans une vaste classe moyenne, le concept a largement pénétré les discours politiques et médiatiques au point que 75% des Français déclarent, en 2005, appartenir à la classe moyenne (Chauvel, 2006).

Une autre vision largement répandue permettant l’analyse des évolutions des sociétés contemporaines est celle de la salarisation de la société au XXème siècle (Castel 1999). Pour celui-ci, ce mouvement de salarisation est avant tout l’histoire d’une défaite, celle de la classe ouvrière débordée par la généralisation du salariat à la quasi-totalité de la population. L’extension massive du salariat conduit le sociologue à repenser la notion de travail qui de rapport technique de production, dans un schéma marxiste classique, devient « le support privilégié de l’inscription dans la structure sociale » (Castel 1999, p.17), définissant trois « zones de cohésion sociale » : la zone d’intégration, la zone de désaffiliation et la zone de vulnérabilité sociale102. La fragilisation du statut salarial, et donc de la position sociale des individus, de plus en plus fréquente dans la société salariale contemporaine entraîne, selon Robert Castel, une altération de la construction identitaire individuelle et sociale par le travail. Ainsi, l’instabilité de la vie professionnelle, lorsqu’elle est subie, entraîne un défaut d’intégration sociale et l’impossibilité de se construire une identité positive grâce au travail : la multiplication et l’interchangeabilité des fonctions occupées finissent par conforter les individus précaires, à leurs yeux comme aux yeux de la société, dans une image d’individus instables et insuffisamment compétents pour prendre part à la vie sociale et politique. Si l’emploi salarié stable est également de plus en plus stressant et insécurisant, il n’en permet pas moins une meilleure construction et une majeure consolidation des identités sociales au sein de la « société salariale » (Aglietta Brender 1984, pp.67-69)103.

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La zone d’intégration serait la situation idéale, où l’individu dispose d’un emploi stable et d’une solide insertion relationnelle. A l’inverse, la désaffiliation est le double mouvement de perte de l’emploi et du réseau social. Enfin, la zone de vulnérabilité correspond à une position intermédiaire de fragilisation de l’emploi et du réseau social, où le basculement, que ce soit vers l’intégration ou vers la désaffiliation, est possible.

103

Selon Michel Aglietta et Anton Brender, la société salariale l’avènement d’un capitalisme originel dans lequel la production et l’accumulation du capital se détacherait de la propriété individuelle et privée des moyens de production par la classe bourgeoise. La mission de l’accumulation du capital est confiée à une part (minoritaire) de la population salariale, conduisant à un effacement de la poursuite de l’enrichissement individuel au profit d’un enrichissement de l’entreprise. Ainsi, la société salariale est déterminée par la matrice organisationnelle de

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Si la production d’une définition claire et précise des bornes des catégories sociales n’est pas évidente à formuler, la combinaison de ces deux thèses cherchant à expliquer les évolutions sociales contemporaines nous fournit des clés pour caractériser nos données et les replacer dans un cadre plus large. En effet, lorsque Louis Chauvel (2006, p.19) rapporte les différents classements qui peuvent être faits, la « catégorie moyenne » de la société peut rassembler de 10% à 70% de la population. Il propose donc d’opter pour la définition des classes moyennes comme étant celles dont les revenus sont les plus proches de la moyenne, occupant des positions intermédiaires dans la hiérarchie socioprofessionnelles, ayant le sentiment d’appartenir à ce groupe, dont l’idéologie dominante est celle de l’ascension sociale. Cette définition des classes moyennes nous permet en fait d’englober l’essentiel des différents échantillons d’individus enquêtés que nous avons constitué. Du côté de la théorie de la désaffiliation, les zones d’intégration et de vulnérabilité sociale regroupent également la plupart des individus enquêtés, que ce soit avec des outils quantitatifs ou qualitatifs, c'est-à-dire que nous n’avons pas été confrontés à des individus en situation de désaffiliation sociale. Ainsi, ce travail de thèse, centré sur l’analyse des représentations et des utilisations du territoire dans la formation du jugement politique des électeurs, peut également être lu comme un tableau des raisonnements politiques des individus au sein de l’espace moyen de la société française.

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