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Les perceptions de la délinquance : l’influence des représentations individuelles

QUATRE POINTS D’OBSERVATION EN ISERE

A. Des perceptions différenciées du cadre de vie ?

2. Les perceptions de la délinquance : l’influence des représentations individuelles

Le questionnaire comprenait une série de questions destinées à mesurer la perception de la délinquance et de l’insécurité par les enquêtés dans leur quartier ou dans leur commune. La première question nous permettant d’estimer le sentiment d’insécurité des individus est la suivante : « Avez-vous l’impression que la situation s’améliore, se dégrade, ou ne change pas à propos de la délinquance dans votre commune / quartier ? » (Q14_3)160. Les autres questions, tirées de recherches en criminologie (Roux 2007), mettent l’accent sur les gênes ressenties vis-à-vis de présences ressenties comme indésirables (femmes voilées, bandes de jeunes, gens du voyage)161, sur la perception de troubles ou de dégradations (dégradations du mobilier urbain, présence de graffitis ou rassemblements de jeunes, etc.)162 et sur le sentiment

158 R = -0,087, sig. = 0,005. 159

Source : enquête FJP vague 1, résultats non pondérés, NSP exclus de l’analyse.

160 Les modalités de réponse étaient les suivantes : « s’améliore / se dégrade / ne change pas / vous ne savez pas ».

161 Les questions Q15_1, Q15_2 et Q15_3 étaient formulées de la façon suivante : « Dans votre vie quotidienne, vous arrive-t-il parfois d’être gêné par la présence de femmes voilées / de bandes de jeunes / de gens du voyage ? », avec une rotation aléatoire des trois items. Les modalités de réponse étaient : « Très gêné / plutôt gêné / plutôt pas gêné / pas gêné du tout / (NSP) ».

162 Les questions Q16_1, Q16_2 et Q16_3 étaient formulées de la façon suivante : « Est-ce que autour de chez

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de menace (craintes d’être victime d’une agression). Ces questions insistent donc sur les aspects négatifs de la « vie en collectivité » ou sur les stigmates de certains quartiers, mettant en avant une vision largement dépréciative du cadre de vie.

Cette série de questions visait à saisir la perception du quartier ou de la commune, par les individus, en termes de « désordre », pour ensuite la rapporter à une prédisposition à voter en fonction de l’enjeu sécurité (Roux 2007). Dans cette perspective, les « désordres »163 consistent en des ruptures de l’ordre social local existant : dégradations du mobilier urbain, actes de vandalisme, présence de groupes considérés comme « fauteurs de troubles ». Les réponses à ces questions sur l’existence d’un sentiment d’insécurité ou sur la perception de dégradations confirment toutes la typologie mise en évidence précédemment (cf. Tableau 2.14 à Tableau 2.16) : en plus de constituer des environnements confrontés à des difficultés économiques et sociales majeures en comparaison des deux autres points d’observation, la commune d’Echirolles et le canton de Pont-de-Chéruy sont également des environnements perçus comme plus dégradés par les populations qui y résident. En effet, les dégradations matérielles ou les actes de vandalisme sont plus fréquemment mentionnés dans ces deux zones que dans les cantons de Saint-Ismier et de Villard-de-Lans, tout comme les présences gênantes ou la délinquance. Une tendance à une plus grande déclaration de ces comportements dans le canton de Saint-Ismier est observable : les enquêtés sont plus nombreux à penser que la situation de la délinquance se dégrade dans leur commune et à se déclarer fréquemment gênés par des rassemblements de jeunes.

trouve des graffitis, des tags, des traces sur les murs / il y a des jeunes qui se rassemblent dans des lieux publics ou des montées d’immeubles ? », avec une rotation aléatoire des trois items. Les modalités de réponse étaient : « Très fréquemment / assez fréquemment / peu fréquemment / jamais / (NSP) ».

163 La définition des désordres établie pour l’enquête FJP s’appuie sur celle de Skogan : « Disorder is apparent in widespread junk and trash in vacant lots, decaying and boarded-up buildings, vandalism and graffiti, and stripped and abandoned cars in the streets and alleys. It is also signalled by bands of teenagers congregating on street corners, prostitutes and panhandlers, public drinking, verbal harassment of women on the street, and open gambling and drug use. […] What these conditions have in common is that they signal a breakdown of the local social order » (Skogan 1999, p.42).

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Tableau 2.14

4 zones : perception de la délinquance dans la commune164

S’améliore Se dégrade Ne change pas Vous ne savez pas Total

Canton de Saint-Ismier 3,1% 10% 80,3% 6,6% 100% Canton de Villard de Lans 5,4% 13,4% 75,5% 5,7% 100% Echirolles 11,9% 18,7% 62,3% 7,1% 100% Canton de Pont-de-Chéruy 13,8% 26,0% 55,1% 5,1% 100% Moyenne 4 zones 8,5% 17% 68,4% 6,1% 100% Tableau 2.15

4 zones : perception d’une gêne due à la présence de groupes marginaux165

Saint-Ismier Villard Echirolles

Pont-de-Chéruy Moyenne 4 zones Femmes voilées V = 0,121 sig =0,000 Très gêné 4,6% 3,4% 9,1% 9,1% 6,5% Plutôt gêné 13,1% 9,2% 19,4% 19,3% 15,2% Bandes de jeunes V= 0,139 sig.=0,000 Très gêné 2,3% 1,1% 6,7% 6,3% 4,1% Plutôt gêné 9,7% 10,3% 21,4% 18,1% 14,8% Gens du voyage V=0,124 sig.=0,000 Très gêné 2,7% 0,8% 2,4% 5,5% 2,8% Plutôt gêné 18,5% 11,5% 10,7% 19,3% 15,0% Tableau 2.16

4 zones : perception de dégradations166

Saint-Ismier Villard Echirolles

Pont-de Chéruy

Moyenne 4 zones

Dégradations abribus etc.

V = non sig. Très fréquent 1,9% 3,4% 8,7% 10,2% 6,0% Assez fréquent 12,4% 6,5% 23,4% 20,5% 15,6% Graffitis, tags V = 0.084 sig. = 0.044 Très fréquent 3,5% 4,6% 8,3% 7,1% 5,8% Assez fréquent 16,2% 17,2% 19,8% 14,2% 16,9% Rassemblement de jeunes dans les halls

V = 0.154 sig. 0.000

Très fréquent 2,7% 2,3% 9,9% 15,7% 7,6%

Assez fréquent 20,5% 16,5% 21,4% 27,6% 21,4%

Une dernière série de questions portait sur la peur d’une agression à trois niveaux : pour soi autour de chez soi, pour soi dans les transports en commun, pour ses proches autour de chez soi167 (cf. tableau 2.17). D’une façon générale, le sentiment de menace n’est pas très prononcé dans les quatre points d’observation : en effet, les craintes pour sa sécurité s’élèvent au maximum à 21% à Echirolles et les craintes pour ses proches à 36% dans le canton de

164 Source : enquête FJP vague 1, résultats non pondérés, V de Cramer = 0,142 sig. = 0,000.

165 Source : enquête FJP vague 1, résultats non pondérés. Dans les tableaux suivants, par manque d’espace nous utilisons les noms « Saint-Ismier » pour le canton de Saint-Ismier, « Villard » pour le canton de Villard-de-Lans, « Pont-de-Chéruy » pour le canton de Pont-de-Chéruy.

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Source : enquête FJP vague 1, résultats non pondérés.

167 Les questions Q17_1, Q17_2 et Q17_3 étaient formulées de la façon suivante : « Vous arrive-t-il d’avoir peur d’une agression : pour vous, autour de chez vous / pour vous, dans les transports en commun ou lors de vos déplacements / pour vos proches, autour de chez vous », avec une rotation aléatoire des trois items. Les modalités de réponse étaient : « Très fréquemment / quelquefois / rarement / jamais / (NSP) ».

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Ismier. La peur d’une agression apparaît comme faiblement liée à la zone de résidence : elle est plus forte à Echirolles et dans le canton de Pont-de-Chéruy que dans les autres zones observées. Par contre, indépendamment, de la zone, la peur pour sa sécurité autour de chez soi et pour la sécurité de ses proches apparaissent extrêmement liées : lorsqu’on ne se sent pas en sécurité quelque part, on a tendance à étendre cette peur aux membres de son entourage168. Globalement, les transports en commun sont moins considérés comme des lieux particulièrement menaçants que les quartiers ou les voisinages ; en outre, cette peur est moins liée aux autres sentiments de menace que peuvent ressentir les individus169.

Tableau 2.17

4 zones : sentiment de menace pour soi ou pour autrui170

Saint-Ismier Villard Echirolles

Pont-de Chéruy

Moyenne 4 zones

Pour vous, autour de chez vous

V= 0.149 sig. = 0.000

Fréquemment 1,5% 0,8% 4,4% 5,5% 3,0%

Quelquefois 6,9% 5,0% 17,5% 15,4% 11,1%

Pour vous, dans les TC

V non sig.

Fréquemment 2,7% 3,1% 4,8% 6,7% 4,3%

Quelquefois 15,8% 17,6% 23,0% 18,1% 18,6%

Pour vos proches, autour de chez vous

V = 0.144 sig. = 0.000

Fréquemment 2,7% 3,1% 8,3% 9,1% 5,8%

Quelquefois 14,7% 11,1% 26,2% 27,6% 19,8%

Dans la seconde vague d’enquête, avait été reprise la question sur la crainte d’une agression (pour soi autour de chez soi) : il semble que le sentiment de menace soit légèrement plus ressenti, avec quelques points de plus par rapport à la première enquête171, mais sans que cela ne change la structure de la perception de cette menace. Une hypothèse d’explication pourrait se trouver dans la construction du questionnaire : en effet, dans la première vague, la série de questions sur la délinquance, les dégradations et l’insécurité est posée après la question sur la recommandation du quartier à d’autres personnes (cf. annexe C1), alors que cette question n’est pas posée dans la seconde vague. Comme nous l’avons vu précédemment, la corrélation entre les deux questions existe mais reste faible : toutefois, il est possible que les individus ayant déclaré qu’ils recommanderaient leur quartier ne fassent pas ensuite état de l’ensemble des troubles qu’ils peuvent constater quotidiennement.

Enfin, le fait de voter pour un parti ou un candidat défendant des positions strictes ou autoritaires en matière de sécurité et d’ordre public serait lié à un ensemble de valeurs ou de

168 R = 0,625 ; sig. = 0,000 entre la peur d’une agression pour soi autour de chez soi et la peur pour ses proches autour de chez soi.

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R = 0,475 ; sig. = 0,000 entre la peur d’une agression pour soi autour de chez soi et la peur d’une agression dans les transports en commun ou lors des déplacements.

170 Source : enquête FJP vague 1, résultats non pondérés.

171 Par exemple, les enquêtés échirollois sont 8% à déclarer avoir fréquemment peur d’une agression, alors qu’ils n’étaient que 4% dans la première vague d’enquête (V = 0,175 ; sig. = 0,000).

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préférences politiques, mais aussi, en partie, à la perception exacerbée de désordres publics dans son voisinage immédiat (Roux 2007). Cependant, la similarité des perceptions d’un cadre de vie que l’on pourrait qualifier de « dégradé » dans le canton de Pont-de-Chéruy et à Echirolles - en raison de la perception d’une délinquance élevée, de la présence de groupes considérés comme marginaux ou de dégradations matérielles effectives - sont loin de se traduire par une même orientation politique locale. En effet, alors que le vote FN se maintient à un niveau élevé dans le canton de Pont-de-Chéruy (15,3% des suffrages exprimés), à Echirolles le vote FN est inférieur à la moyenne nationale (9,1% contre 10,4%). Ce schéma se reproduit avec le vote pour Nicolas Sarkozy : le canton de Pont-de-Chéruy apporte un soutien massif au candidat de la droite (60,1%), alors qu’Echirolles est loin de lui donner la majorité de ses suffrages (42,2%). Si le sentiment d’un environnement dégradé est effectivement perceptible et perçu par les électeurs, celui-ci n’est manifestement pas interprété de la même façon par tous les électeurs : les représentations ou les systèmes de valeurs individuels pèsent sur les processus de traduction de ces perceptions en opinions et comportements politiques.

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