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PROTOCOLE ET METHODOLOGIE

C. Les élections de 2007 : quelle rupture ?

L’élection présidentielle conservant son statut d’évènement central de la vie politique française, ne serait-ce que d’un point de vue médiatique (Lehingue 2009), les commentaires produits à l’issue de la session électorale de 2007 sont nombreux, plus ou moins spécifiques, mais, au final, tous les segments de l’électorat et tous les partis politiques sont disséqués dans leurs comportements et leurs résultats73 en fonction des données de sondage et/ou des données électorales. Nous nous sommes ainsi largement appuyés sur ces nombreux commentaires électoraux pour cette présentation du contexte de notre travail de thèse. Cependant, avant d’aller plus avant dans la contextualisation et la présentation de notre protocole d’enquête, nous souhaitons nous attarder sur un aspect de ces commentaires électoraux qui a particulièrement retenu notre attention : l’idée d’une rupture électorale.

En effet, l’essentiel de ces analyses convergent sur un même argument : les élections présidentielles et législatives de 2007 sont largement considérées comme des élections qui marquerait une rupture dans l’ordre électoral français. Nous pouvons citer ainsi deux exemples de commentaires particulièrement orientés sur cette idée de rupture : l’ouvrage consacré par le CEVIPOF à la chronique électorale de 2007 porte le titre Le vote de rupture (Perrineau, 2008), le numéro de la Revue Politique et Parlementaire sur cette session électorale s’intitule « 2007 : élections du changement ? ». Chacune de ces deux publications alimente cette analyse en termes de « changement » ou de « rupture », en s’appuyant sur le repérage d’éléments structurants, indiquant selon eux l’apparition d’une nouvelle période dans l’histoire politique française. Ainsi, pour Pierre Bréchon (2007, p.1-2), « les changements apparaissent beaucoup plus spectaculaires que les continuités, au point qu’on peut parler d’une élection de rupture et qu’on peut avoir le sentiment d’être entré dans une nouvelle ère politique, soit pour une période, soit même pour une évolution à long terme des pratiques politiques ». Les changements repérés par l’auteur sont les suivants : une précampagne et une campagne qui ont beaucoup plus intéressés et mobilisés les électeurs (notamment au moyen des émissions télévisées de débat avec le public), le recentrement des candidats sur l’échiquier politique et leur rapprochement des électeurs, enfin le principal changement politique est le fort recentrement des votes sur les principaux candidats, doublé d’une force retrouvée de la droite, d’une usure de la gauche (et notamment de la gauche

73 On peut ainsi énumérer, sans être exhaustif : un numéro spécial de la RFSP, un numéro spécial de la RPP, les tables rondes consacrées à l’analyse des élections de 2007 lors du congrès de l’AFSP 2007 et du congrès de la SISP 2007, la publication de plusieurs ouvrages (Cautrès Muxel 2009 ; Perrineau 2008), sans compter les multiples interventions de politologues dans les différents médias (presse papier, télévision, matinales des radios, Internet etc.), mais aussi les analyses produites par les différents instituts de sondage et publiées sur leurs sites Internet, ou encore les analyses du CEVIPOF issues du baromètre électoral 2007 (également consultables sur Internet).

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protestataire), d’un affaiblissement du FN, et de la réapparition d’un centre autonome. Cependant, les législatives suivantes sont bien moins marquées par ces dynamiques de changement puisque l’on observe une faible mobilisation des électeurs, un redressement de la gauche au second tour et, comme lors de chaque élection législatives suivant une présidentielle, une logique de confirmation de l’exécutif mis en place par le nouveau Président. Les éléments repérés par Pascal Perrineau, l’amenant à conclure également à l’existence d’une rupture politique en 200774, sont sensiblement identiques à ceux de Pierre Bréchon : la forte volatilité des enjeux et des images lors de la campagne, la forte participation à l’élection présidentielle, le renversement des images des deux grands partis politiques avec une UMP « conquérante » et un PS déstabilisé et affaibli, l’apparition d’un centre renouvelé, et la chute de l’extrême-droite, mais aussi par le retour de « l’espérance » en politique, contraire au climat de « politisation négative » qui prévalait auparavant (Perrineau 2008, p.16).

Bien évidemment, pour reprendre l’argument de Patrick Lehingue (2007), le commentaire électoral est « partie prenante du processus électoral » (p.123) : l’exercice de « traduction » des résultats du scrutin est destiné tout autant à l’information du grand public qu’à une utilisation partisane. Mais, sans non plus prendre le parti pris inverse et analyser les élections de 2007 comme un « retour à la normale » (Franklin 2009, p.13) – avec un fort niveau de participation et une diminution du vote protestataire –, ces deux analyses de la rupture électorale que constituerait 2007 nous semblent surestimer la rupture provoquée par cet épisode électoral, notamment lorsque celui-ci est rapporté aux précédents. En effet, la mise en évidence d’une « rupture » ou de « changements », appuyée essentiellement sur le renouvellement de ce qui peut apparaître également comme des tendances de long terme, ne tient pas compte du schéma des élections législatives, qui se place pour sa part dans la continuité des précédentes élections. Ainsi, Pierre Martin (2007a, 2007b) ne parle de rupture que sur deux points : la récupération de l’enjeu immigration-sécurité dans le discours de l’UMP, qui lui permet d’étouffer la concurrence sur sa droite, et la fin de l’alternance politique existante depuis 1984-86 avec la reconduction exécutive de l’UMP. Le reste des processus observés lors de la séquence électorale constituent davantage des composantes d’une période « de réalignement » plus large, identifiée par P. Martin, au cours de laquelle les forces politiques se repositionnent progressivement selon le schéma suivant : recomposition des forces politiques au sein de l’aile droite du champ politique français c'est-à-dire avec une disparition progressive de l’extrême-droite, au profit d’une

74 « Décidément, ces élections sont bien celles d’une « rupture » qui pousse à leur point d’orgue des tendances de long terme, les révèle tout en inventant des attitudes, des comportements et des pratiques dont demain nous dira s’ils relèvent de l’éphémère ou s’ils annoncent une nouvelle culture politique », (Perrineau 2008, p.16-17)

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extension de l’emprise de l’UMP, une autonomisation progressive du centre ; de son côté, la gauche est en crise mais ne subit guère de modifications (le PC continue de décliner, tandis que l’extrême-gauche revient à ses niveaux précédents). Pour Pierre Martin, la rupture de 2007 n’a donc rien d’un événement isolé ou spectaculaire mais fait partie d’une recomposition de plus grande ampleur de l’ordre électoral français.

Plus qu’une rupture électorale, la session électorale nous semble constituer un renouvellement du rapport des citoyens à la politique. En effet, le long moment de crise de la représentation traversée par la démocratie française paraît être arrivé à un tournant : les citoyens sont certes « revenus aux urnes », mais moins sous l’effet d’un élan civique renouvelé, dû à la « fin d’un cycle politique associé au mitterrandisme et au chiraquisme » (Muxel 2007, p.315), que sous l’effet de l’intégration par les citoyens de la double vitesse du système électoral. En effet, les comportements protestataires et les attitudes de défiance à l’égard des hommes politiques sont toujours présents, comme le montrent les élections législatives de 2007, même si les résultats de l’élection présidentielle révèlent une réduction de la part protestataire des abstentionnistes (Muxel 2007). En raison de la conjugaison de plusieurs éléments, les citoyens semblent avoir ajusté leur rapport à l’élection présidentielle : la mémoire du 21 avril 2002 et du sentiment de dépossession du choix – fréquemment exprimé dans nos entretiens – nous y reviendrons par la suite –, l’apparition de figures nouvelles comme candidats principaux, mais aussi la dualité du système électoral français, constitué dorénavant d’une élection présidentielle « politique », suivie d’élections législatives de confirmation.

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II. Méthodologie de l’enquête

Maintenant que nous avons caractérisé le contexte dans lequel s’est déroulée notre enquête de terrain, il importe de se pencher plus spécifiquement sur cette enquête et d’entrer directement dans les « cuisines » de l’enquête. Nous reviendrons ainsi, dans un premier temps, sur les différents champs de recherche réunis par le programme FJP (A), avant d’expliciter le choix de l’entretien semi-directif (B) et de terminer par la présentation de nos données empiriques (C).

A. Programme d’enquête pluridisciplinaire et pratique collective de la

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