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1. Problématique

1.2 Hébergement et soins de longue durée

1.2.2 Réformes successives et défis actuels des CHSLD

Mener une étude en CHSLD implique une incursion dans un univers organisationnel complexe, dont les rouages et implications concrètes sur le personnel et les résidents ne peuvent être pleinement pris en compte en-dehors d’une compréhension, au moins minimale, de la récente évolution du système québécois de santé et de services sociaux.

Apparus au tout début des années 1970, les CHSLD – alors appelés « centres d’accueil » – ont été mis sur pieds dans la foulée de la naissance de l’État-Providence et du développement du réseau de santé et de services sociaux universel (soins hospitaliers, services à domicile, etc.). L’admission dans ces institutions n’était pas soumise aux mêmes contraintes qu’aujourd’hui et on atteindra au cours des années 1970 un taux d’institutionnalisation des personnes âgées de 8%, un phénomène sans précédent dans l’histoire du Québec (Charpentier 2002). À la fin de la décennie suivante cependant, la récession économique et la crise des finances publiques entraînent l’émergence d’une idéologie résolument néo-libérale et la remise en question de l’universalité des différents programmes sociaux. Pour les institutions du réseau public, mises sur pieds à peine 20 ans auparavant, cela se traduit par deux premières réformes majeures. D’abord, la réforme Côté, en 1990, dans laquelle les « centres d’accueil » deviennent officiellement les CHSLD, maintenant placés sous l’égide des Régies régionales de

la santé et des services sociaux11, transformées en Agences de la santé et des services sociaux

en 2003. Ensuite, la réforme Rochon en 1994, connue pour ce qu’on a appelé le « virage ambulatoire », a résolument orienté les politiques publiques vers le maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie. Ces deux réformes, se succédant à seulement quatre ans d’intervalle, ont amorcé une transformation en profondeur des CHSLD, dans une volonté avouée de désinstitutionalisation des personnes âgées12 : c’est à cette époque que les critères d’admission pour les CHSLD commencent à se resserrer, réservant dorénavant ces milieux aux personnes présentant des pertes d’autonomie plus importantes. Les représentations sociales autour des CHSLD sont alors en transformation : présentées comme un droit universel lors de leur création, ils sont maintenant perçus comme des institutions coûteuses qui devraient n’être utilisées qu’en « dernier recours » (Bickerstaff-C. 2003; Charpentier 2002).

Parallèlement, différentes voix se font entendre pour dénoncer les conditions de vie des résidents. Cela donne éventuellement lieu, en 2003, à la publication d’orientations ministérielles exigeant l’humanisation des soins offerts en CHSLD (MSSS, 2003). Prônant une approche « milieu de vie », ces orientations visent à éviter la (sur)médicalisation du quotidien en CHSLD en misant sur la reconnaissance de l’individualité, des besoins globaux et des droits des résidents. Cette volonté d’entreprendre un tournant vers la personnalisation des soins et du quotidien en CHSLD trouve d’ailleurs écho dans les milieux d’hébergement au plan international (Mallon 2001). Mais alors que les CHSLD amorcent l’adaptation de leurs pratiques à cette philosophie, une nouvelle réforme majeure du système de santé et services sociaux se met en place au Québec. En 2004, le système public décide de miser sur les « réseaux locaux de services » afin d’assurer une meilleure cohérence dans le continuum de soins offerts à la population. On assiste alors à la création, sous l’égide des Agences régionales (anciennes Régies régionales), des Centres de santé et de services sociaux (CSSS), mégastructures fusionnant des institutions auparavant indépendantes mais desservant un même

11 On compte alors une Régie régionale de la santé et des services sociaux dans chaque région administrative du

Québec ; elles coordonnent les services offerts par les différents établissements publics de santé sur leur territoire et agissent comme médiateur entre les établissements et le Ministère de la santé et des services sociaux.

12 Au début des années 2000, une série de politiques et rapports gouvernementaux confortent la priorisation du

maintien à domicile des aînés et le recours accru aux services communautaires et privés dans la réponse à leurs besoins – pensons par exemple à la politique « Chez soi, le premier choix » (2002), à la certification des résidences privée (2006), ou au rapport Castonguay (2008).

territoire : les Centres locaux de services communautaires (CLSC) responsables, entres autres, des services à domicile; les Centres hospitaliers, ainsi que les CHSLD. Ce remaniement complet de la structure du réseau s’est accompagné, pour les établissements, d’une réorganisation majeure sur les plans organisationnel, administratif et clinique visant une harmonisation des politiques, procédures et pratiques.

Les établissements auront eu à peine une décennie pour s’adapter à cette réforme. Dès 2015, la toute dernière réforme en profondeur du système public québécois se mettait en place. Cette réforme menée par le ministre Barrette, alors ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, a été majeure. D’abord, les Agences régionales ont été abolies. Mais surtout, les 182 établissements de santé et services sociaux existants sur le territoire québécois (94 CSSS, quelques centres hospitaliers et CHSLD indépendants, ainsi que 16 Centres jeunesse) ont été fusionnés en 34 nouvelles mégastructures appelées Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) ou Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS – si affiliés à un pôle universitaire). Ainsi, en plus de quelques centres hospitaliers ou centres de services spécialisés demeurés indépendants, le Québec compte aujourd’hui 13 CISSS et 9 CIUSSS, relevant directement du ministère de la Santé et des Services sociaux. Le défi de ces CISSS/CIUSSS est de taille : coordonner et harmoniser les services offerts sur leur territoire, de la petite enfance jusqu’au grand âge, et dans tous les secteurs de la santé et des services sociaux (soins à domicile, hébergement de longue durée, soins hospitaliers, réadaptation en déficience physique et intellectuelle, protection de l’enfance).

Ces remaniements structurels successifs dans les dernières décennies, justifiés par une volonté d’améliorer l’efficacité du système public et la qualité des soins offerts à la population, ne semblent pas atteindre ces cibles en ce qui concerne les CHSLD. Le constat du Protecteur du Citoyen, organisme indépendant chargé d’assurer le respect des droits des citoyens dans leurs relations avec les services publics, est cinglant. Les CHSLD ne disposent pas des ressources humaines et financières nécessaires pour assurer des soins de qualité, si bien que « la situation actuelle s’apparente à de la maltraitance » :

Le personnel en CHSLD (peine) à suffire à la tâche. Cette situation découle entre autres d’absentéisme, de roulement de personnel ainsi que d’un ratio personnel-résidents qui ne tient pas compte, dans certains cas, des besoins plus lourds d’une partie de la clientèle hébergée. (…) C’est ainsi que des équipes de soins doivent fréquemment composer avec

des quarts de travail à effectifs incomplets. (…) Dans ce contexte de pénurie de personnel, les personnes qui ne reçoivent pas les soins et les services dont elles ont besoin subissent un préjudice. Le Protecteur du citoyen considère qu’un tel état de situation s’apparente à de la maltraitance. (Protecteur du citoyen 2018 : 69-70)

De même, la consultation des nombreux rapports de visites ministérielles en CHSLD13 permet de constater des variations importantes dans le niveau d’application de l’approche « milieu de vie » dans les centres québécois. Bien que les orientations ministérielles datent d’une quinzaine d’années, force est de constater que leur intégration et leur application dans le quotidien rencontrent encore aujourd’hui des obstacles importants.

Ce regard rétrospectif sur l’évolution du réseau de la santé et des services sociaux québécois permet finalement de saisir que la présente recherche doctorale s’intéresse aux CHSLD à une époque de grands bouleversements. Au moment d’amorcer l’étude, la très récente « réforme Barrette », dernière d’une longue série de réformes déstabilisantes, se traduisait encore par une grande incertitude au sein des CHSLD (transformation de l’organigramme de gestion, modification des tâches et responsabilités, coupures ou fusionnement de postes, uniformisation des politiques internes, harmonisation et mise à jour des procédures et pratiques cliniques, etc.). Ce portrait est préoccupant, d’autant plus que ces milieux accueillent des personnes en très lourde perte d’autonomie. Parmi celles-ci, les personnes atteintes de TNC majeurs au stade avancé apparaissent tout particulièrement vulnérables, se situant au croisement de plusieurs axes de fragilisation.

1.3 Problématisation des troubles neurocognitifs majeurs en

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