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5. Les réalités des troubles neurocognitifs au stade avancé en CHSLD

5.2 Le quotidien des résidentes accompagnées

5.2.1 Entre la chambre et la salle commune

Comme pour les autres résidents, le quotidien des résidentes accompagnées est prévisible et routinier, organisé autour de leurs soins : les repas, les soins d’hygiène, le lever au fauteuil ou le retour au lit, la prise de médication ou autres soins infirmiers (soins de plaies, gavage, etc.). Mais l’état de dépendance fonctionnelle sévère dans lequel se trouvent les résidentes accompagnées les place dans une situation plus précaire : alors que certains résidents plus autonomes se déplacent dans ou même à l’extérieur du centre, les participantes sont complètement tributaires de l’accompagnement qu’elles peuvent recevoir du personnel. Leur univers, dès lors, se réduit le plus souvent à leur chambre et à la salle commune de leur unité (salon ou salle à manger). Une réalité constatée, d’ailleurs, dans le cadre d’études européennes auprès de personnes atteintes de TNC sévère et demeurant en milieu d’hébergement :

In the nursing home's specialized unit for people severely progressed in their disease, most residents were unable to communicate verbally or move by themselves, and they spent the day lying in bed or sitting in a wheelchair. (Gjodsbol, Koch, et Svendsen 2017: 119)

D’abord, les résidentes passent plusieurs heures par jour alitées et les accompagnements auprès d’elles, surtout en avant-midi ou en fin de journée, se déroulaient au chevet de leur lit.

Je la vois couchée dans son lit. Je lui souris et la salue, et dépose mes choses. J’approche une chaise près de son lit. Mme Lavoie me regarde et me sourit. (Notes d’observation, 2 mars 2017)

Il est maintenant un peu plus tard que 11h00. La porte de M Therrien est fermée. Je déduis qu’ils sont en train de le lever au fauteuil. Mme Lambert se trouve dans sa chambre, couchée dans son lit, éveillée. (…) Je me dirige vers la chambre de Mme Cloutier. Elle est couchée dans son lit, un peu sur le côté regardant vers la porte de la chambre. (Notes d’observation, 15 juillet 2016)

Au final, en combinant les observations effectuées à différents moments de la journée ainsi que les informations transmises par les proches ou le personnel, on comprend que plusieurs de ces résidentes ne passent que 5 ou 6 heures par jour au fauteuil. L’extrait suivant démontre l’empressement avec lequel le personnel souhaitait mettre Mme Cloutier au lit, après que nous l’ayons alimentée pour son repas du soir.

En un peu moins de 30 minutes, Mme Cloutier a mangé toute sa soupe et son plat principal, ainsi que sa compote de poires et son eau. Dès que j’ai déposé son bol de compote sur le comptoir, une préposée est venue pour ramener Mme Cloutier à sa chambre. Il est 17h15 et la salle à manger est déjà presque vide. (…) (Vers 17h30), la porte de la chambre de Mme Cloutier est fermée, et je comprends qu’ils sont en train de la coucher. Elle aura été un peu moins de 4 heures au fauteuil dans sa journée. (Notes d’observation, 15 septembre 2017)

Au-delà des critiques à l’effet que les centres les « abandonnent » au lit par manque de personnel, il faut comprendre que cela peut répondre à leurs besoins. Des études démontrent que la progression de la maladie entraîne un besoin de sommeil plus important, les personnes atteintes passant régulièrement jusqu’à 13 heures par jour à dormir (Fetveit et Bjorvatn 2006). La prévention ou le traitement de plaies de pression peut aussi justifier de limiter le nombre d’heures consécutives dans une même position, incluant la position assise au fauteuil. Néanmoins, le constat de ces longues périodes passées au lit n’est pas sans créer, chez certains proches, un sentiment de tristesse et de pitié, ainsi qu’un questionnement quant à la qualité de

vie qui en résulte pour leur parent. La réaction de la fille de Mme Tremblay à la vue de cette photo, prise en fin de matinée alors que sa mère était allongée au lit, éveillé, est révélatrice.

Figure 4. Photographie de Mme Tremblay, éveillée dans son lit (14 juillet 2017)

Ah mon dieu… pauvre cocotte… (…) Ce qu’on m’a dit, je ne suis pas là le matin, elle est difficile à éveiller et tout ça. Ils la laissent couchée jusqu’à l’heure du repas du midi, là… Et après ça, ils la lève mais c’en est une qu’ils couchent plus tard le soir47. (…) Tu sais, ça doit tu être long, passer l’avant-midi couchée dans le lit, toute seule? (Fille de Mme Tremblay)

Il arrivait que, bien qu’installées dans leur fauteuil roulant, les résidentes soient laissées à leur chambre. Nous les trouvions alors seules, leur fauteuil placé entre leur lit et la porte de leur chambre. Parfois, elles étaient assoupies, la tête renversée sur l’appui-tête du fauteuil; à d’autres moments, elles étaient éveillées et semblaient même être intéressées par le va-et-vient et les bruits en provenance du corridor.

Je tourne dans le corridor de gauche et me rends à la chambre de Mme Chrysostome. Elle s’y trouve, assise dans son fauteuil roulant entre son lit et la porte d’entrée. Elle a les yeux fermés, les bras déposés sur son ventre, les pieds nus croisés sur le repose-pied. (Notes d’observation, 12 août 2016)

Mme Veilleux détourne toujours le regard vers le corridor lorsqu’elle entend du bruit : une résidente qui passe en fauteuil roulant, en avançant avec ses pieds, un employé d’entretien qui passe la machine pour cirer les planchers, une préposée qui passe en parlant fort à une résidente qui se trouve encore au salon. (Notes d’observation, 20 juillet 2016)

Je continue et je vois que Mme Cloutier se trouve à sa chambre. Elle est assise à son fauteuil, entre la porte de la chambre et son lit. (…) Je lui dis bonjour, ajoutant qu’elle est bien belle dans sa robe. Mme Cloutier tourne la tête dans la direction générale où je me trouve et fronce les sourcils, mais ne fait pas de contact visuel avec moi. (…) Plus tard, alors que mon téléphone cellulaire tombe au sol, elle a encore une fois une réaction au bruit : elle sursaute, tourne la tête et fronce les sourcils, comme si elle cherchait à savoir d’où venait le bruit. Je remarque le même comportement à quelques reprises, lorsque des bruits de voix plus forts se font entendre dans le corridor. (Notes d’observation, 1er décembre 2016)

Les raisons justifiant de laisser ces résidentes à leur chambre, alors qu’elles sont assises au fauteuil et pourraient facilement être amenées dans les salles communes, sont demeurées obscures. Il s’agit de situations davantage observées chez certaines participantes et au contraire, jamais constatées pour Mme Tremblay, par exemple. Peut-on assumer que ces différences résultent de demandes de la famille? Ou encore, peuvent-elles être liées à une connaissance de la personnalité de chacune de ces résidentes, certaines pouvant être de nature plus solitaires ou sociables? Nos données ne permettent pas d’apporter une réponse claire à ces questions.

Lorsqu’elles n’étaient pas à leur chambre, les résidentes accompagnées pouvaient exceptionnellement se trouver ailleurs dans le centre avec un membre de famille (surtout dans le cas de Mme Lambert, Mme Beauchamp, Mme Veilleux et M Therrien), à la coiffeuse (Mme Lambert et Mme Cloutier), ou en de rares occasions aux activités de loisirs de l’établissement (Mme Lambert, Mme Cloutier, M Therrien et Mme Veilleux)48. Sinon, elles étaient immanquablement dans la salle commune, assises dans leur fauteuil toujours au même endroit, somnolentes ou endormies, ou semblant fixer le vide.

Mme Lavoie est dans le salon, au même endroit que la semaine dernière. La télévision est allumée mais personne ne semble la regarder. Je m'assoie à côté de Mme Lavoie, qui dort. (Notes d’observation, 22 juillet 2016)

Mme Cloutier se trouve dans son fauteuil, seule dans cette partie du salon. (…) Je me demande pourquoi Mme Cloutier est systématiquement installée de ce côté du salon, seule, alors qu’il n’y a pas beaucoup de résidents de l’autre côté. Elle aurait très bien pu

48 La participation aux loisirs pour ces résidentes est facilitée lorsque l’activité se déroule sur l’unité (dans le cas

des troubadours, notamment) ou de façon individuelle (accompagnement par des bénévoles, sorties à l’extérieur avec une préposée, stimulation sensorielle pour Mme Veilleux).

être installée avec les autres résidents, le manque d’espace ne peut pas justifier son retrait aujourd’hui. Une question d’habitude ? Je remarque que les résidents sont souvent installés au même endroit exactement, jour après jour… (Notes d’observation, 10 février 2017)

En entrant sur l’unité, je vois tout de suite Mme Tremblay, assise dans son fauteuil au petit salon à ma droite. Cinq autres résidents s’y trouvent aussi. Mme Tremblay est placée près du mur vitré qui donne sur la cour avant et la rue. (…) Elle a les yeux ouverts et regarde en direction de la télévision, qui est ouverte et diffuse les nouvelles. (…) (Vers 16h45), Mme Tremblay est assise exactement au même endroit qu’à mon arrivée au centre, à 12h30. J’ignore si elle a passé tout l’après-midi à cet endroit. Je tire une chaise et je m’assoie près d’elle, à sa gauche. (Notes d’observation, 12 septembre 2017)

Bien qu’elles soient alors dans un espace commun propice aux contacts sociaux, qu’elles s’y trouvent « parmi » d’autres résidents, on ne peut s’empêcher de ressentir une certaine solitude. Une solitude qui découle d’une part de leur incapacité à entrer en communication de façon autonome avec les gens qui les entoure, et d’autre part, du fait que ceux-ci ne font que rarement l’effort d’aller vers ces résidentes. Dans les salles communes, les résidentes accompagnées demeurent silencieuses, comme dans leur monde, un constat qui a aussi été fait dans le cadre de d’autres travaux.

It is perhaps little surprise that as the dementia progresses, the body becomes silent in the absence of activity. This also is a kind of blankness as the person becomes less involved in the world in a bodily way. The person sits quietly, having nothing to do, nothing to say, and seemingly nothing to reflect upon. (Phinney et Chesla 2003: 294)

Face à ces constats, on ne peut que se questionner sur ces journées marquées par un certain isolement social : ces résidentes vulnérables, incapables de formuler des demandes ou de se mobiliser de façon autonome, sont-elles en quelque sorte « oubliées » dans le quotidien des CHSLD?

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