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4. Contexte organisationnel et quotidien des CHSLD

4.2 Le CHSLD vu de l’intérieur : un quotidien qui s’étire

4.2.3 De l’entraide à la violence : la difficile cohabitation entre les résidents

De façon générale, les liens entre les résidents sont assez ténus : des résidents qui se croisent sans vraiment se rencontrer, des présences en parallèle dans un même lieu, une absence d’échanges et de contacts… En de rares occasions, nous avons tout de même été témoin de discussions et de relations amicales entre des résidents, comme cette résidente qui vient en chercher une autre à sa chambre pour descendre « jouer au bingo », en lui disant qu’elle s’était inquiétée de ne pas la voir au souper la veille (notes d’observation, 25 août 2017). D’autres s’entraident, comme cette résidente en fauteuil très alerte qui demande à une voisine de replacer l’angle de son dossier avant ou après sa sieste. Somme toute, cependant, ces interactions positives apparaissent peu fréquentes.

À de nombreuses reprises, à l’opposé, nous avons été témoin de tensions entre les résidents, des tensions qui s’actualisaient parfois de façon très violente (violence psychologique ou menace de violence physique). Sans que l’on puisse parler d’une norme dans les relations entre résidents, ces épisodes de violence ont été trop nombreux pour qu’il s’agisse d’exceptions. En ce sens, nos données rejoignent les conclusions d’études de plus en plus nombreuses portant sur la cohabitation difficile et la maltraitance entre les résidents dans divers milieux collectifs (Caspi 2018; McDonald et al. 2015; Charpentier et Soulieres 2013). Ces tensions peuvent être liées à l’occupation de l’espace, notamment dans l’ascenseur aux moments de grande affluence ou encore, comme dans l’extrait suivant, dans les salles communes.

À un moment, une résidente arrive seule, avançant doucement dans son fauteuil roulant. Elle manœuvre pour se glisser dans un trou entre deux chaises berçantes. Une autre résidente, assise dans le fauteuil berçant à sa gauche et que je n’avais pas entendu depuis mon arrivée, lui dit éventuellement : « Heille ! Recule pas sur moi, avec ton gros carrosse, là toé ! Parce que je vais te mettre mon poing dans face ! ». La résidente en fauteuil roulant ne répond rien, ne semble pas s’en occuper. (…) La première résidente reprend : « C’est juste ça qu’elle comprend, mon poing… ». (…) Je suis saisie par la violence de ces propos, et je constate qu’aucun membre du personnel n’en a été témoin. (Notes d’observation, 11 novembre 2016)

Le plus souvent, cependant, les tensions dont nous avons été témoin étaient liées à la cohabitation avec des résidents présentant des déficits cognitifs et ayant des comportements réactifs dérangeants pour les autres (SCPD).

Les deux autres résidentes sont assises à une même table, face à face. La première, que j’ai déjà vue, a un discours très répétitif : « Je vais me lever ? Je sais pas comment ». Elle répète sans cesse ces phrases, avec une intonation particulière, toujours la même, à mi-chemin entre la question et la chanson. La répétition, l’intonation, le timbre de voix un peu haut perché : tout cela rend la situation rapidement agaçante. La résidente assise en face d’elle, qui m’a fait un beau sourire quand je suis entrée, semble impatiente : « Non, tu te lèves pas, tu fais rien… Je t’ai dis que tu fais rien là… Ben oui, on le sait. On le sait que t’es pas intelligente… ». Exaspérée par le comportement de la résidente, qui ne réagit pas du tout à ses paroles, j’entends celle qui m’a sourie sacrer alors que je sors du salon avec Mme Beauchamp. (Notes d’observation, 14 novembre 2016)

Le témoignage spontané d’une résidente très alerte concernant le quotidien avec une résidente faisant de l’errance intrusive sur son unité illustre bien qu’à la base de ces tensions

ne réside pas seulement un manque de compréhension ou de connaissances sur les symptômes associées aux TNC, mais bien un impact direct de ces symptômes sur la qualité de vie des autres résidents.

Résidente : C’est dur de dormir, la nuit… - Moi : Ah oui ? Pourquoi vous dites ça ? - Résidente : Ben elle ! (en me montrant de la tête la porte du salon d’où la résidente qui fait de l’errance vient de disparaître) Elle rentre dans toutes les chambres, elle touche à tout, elle prend tes dentiers et les jette dans la poubelle… - Moi : Ah oui… Et ça vous empêche de dormir ? - Résidente : Oui, moi, ça me réveille… Alors là, je suis fatiguée. (Notes d’observation, 21 septembre 2017)

Les actes les plus violents dont nous avons été témoin de la part de d’autres résidents étaient d’ailleurs tous dirigés vers cette résidente « errante » et très dérangeante pour les autres, malgré les efforts constants de l’équipe pour gérer ses comportements. La violence de certains propos et gestes à son endroit était parfois surprenante et, carrément, choquante.

Au bout du corridor, le résident « chien de garde » se trouve dans le passage, devant la porte de sa chambre. (…) Il m’interpelle quand il me voit arriver, pour me dire « elle, là- bas, vous la voyez (en me désignant la résidente qui fait de l’errance intrusive) ? C’est une voleuse. Il faut le dire au monde, là-bas, c’est une voleuse, elle… ». (…) Il me répète que c’est une voleuse. « Elle s’en vient là, vous allez voir que je vais la revirer de bord, moi », sur un ton fâché. (…) Dans mon dos, je l’entends se mettre à parler plus fort : « retourne dans ton trou, toi ! Va-t-en d’icitte, retourne dans ton trou ! » (Notes d’observation, 13 juin 2016)

Un résident avance dans le corridor avec ses pieds dans son fauteuil roulant. Il croise la résidente qui fait de l’errance intrusive, et mime de la frapper : le résident était trop loin pour qu’on prenne au sérieux le risque, mais le mouvement était quand même très réaliste et la résidente s’est retournée pour le regarder, comme surprise. Lui avait continué son chemin. (Notes d’observation, 3 août 2016)

Le plus souvent, ces incidents se sont produits en l’absence du personnel. Lorsque témoin, le personnel ne semblait pas prendre l’incident au sérieux, ou savoir comment réagir, apparaissant plutôt dépourvu devant ces situations.

Une résidente sort de l’ascenseur et, s’adressant à une autre résidente qui était déjà au sous-sol sur un ton sec, empreint de mauvaise humeur : « C’est pas fin ce que vous avez fait. Il y avait de la place pour nous autres dans l’ascenseur tantôt ! ». Ne semblant pas comprendre, la résidente lui répond gaiement : « Ben certain ! ». La première, en marchette, passe devant elle en soupirant bruyamment. À ce moment, une employée (…) leur dit : « Pas de chicane, les enfants… ! ». (Notes d’observation, 20 décembre 2016)

À côté de Mme Lavoie, une résidente dans son fauteuil mangeait son sandwich. (…) À un moment, elle se fâche contre la résidente qui est assise à sa droite, parce que celle-ci continue de tremper sa cuillère dans son plat bien que celui-ci soit vide. La résidente lui dit (ou plutôt lui crie par la tête) : « Y’en a plus! Y’est vide, là! Sans dessin, y’a en plus! ». L’autre ne réagissant pas, la résidente se fâche et répète encore plus fort, puis lui tape la main. Deux préposées sont témoins de la scène mais ne font rien. (…) La seule intervention faite a été de donner un autre plat à la résidente, qui se met immédiatement à manger. Évidemment, après quelques minutes, ce deuxième plat se vide à son tour. La résidente reprend ses récriminations dès qu’elle voit sa voisine qui gratte le fond du bol vide avec sa cuillère : « Sans dessin! Y’a en plus! ». Elle la frappe à nouveau sur l’avant- bras. L’autre préposée régulière, témoin de la scène, me jette un coup d’œil rapide et dit, sur un ton de reproche : « Mme X…! ». La préposée s’approche en souriant et déplace le fauteuil, de manière à ce que la résidente ne puisse plus l’atteindre pour la frapper. Elle sourit en le faisant, semblant prendre la situation bien à la légère. (Notes d’observation, 10 octobre 2017)

En somme, les relations entretenues entre les résidents apparaissent distantes, marquées par une certaine indifférence. Lorsque ce n’est pas le cas, les expériences négatives semblent malheureusement plus fréquentes, surtout pour les résidents qui présentent des comportements dérangeants. Voyons maintenant ce qu’il en est de leurs relations avec les autres acteurs centraux dans leur quotidien, les membres du personnel.

4.2.4 De l’esprit de « famille » aux « petites » maltraitances : les relations

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