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4. Contexte organisationnel et quotidien des CHSLD

4.1 Le contexte organisationnel

4.1.1 Un contexte démotivant : la réforme « Barrette » et le roulement du personnel

La collecte de données pour cette thèse s’est déroulée à un moment particulier, avec une entrée sur le terrain quelques mois après la « réforme Barrette », du nom du ministre

responsable de cette dernière d’une série de réformes venues modifier en profondeur le réseau public de la santé et des services sociaux au Québec (voir section 1.2.2, p. 26). Bien que les entrevues avec le personnel se soient tenues environ deux ans après la mise en œuvre de cette réforme et que le canevas d’entretien ne comporte aucune question spécifique sur ce sujet, ils sont nombreux à y avoir fait référence pour aborder leur contexte de travail actuel, qu’ils décrivent comme difficile. Ils peinent encore à faire sens des nombreux changements survenus et des multiples exigences ministérielles qui « descendent » vers les milieux39 sans ajout de personnel. Si les références à la « réforme Barrette » pour expliquer le contexte organisationnel actuel ont été nombreuses, on sent bien qu’en réalité, plusieurs difficultés nommées par le personnel se sont installées progressivement bien avant cette réforme, dernier coup à un climat de travail déjà détérioré.

Je disais à mon équipe : « On peut travailler avec le cœur même si on est dans la marde! ». Mais depuis deux ou trois ans, non. Personne n’est content. (Hausse les épaules en signe de résignation) Deux ans… Encore deux ans (avant la retraite). (Infirmière)

C’est sûr que la réalité est différente depuis la réforme de monsieur Barette. (…) Et quand ça a un impact sur le climat de travail des équipes, sur la mobilisation, et bien ça en a un sur la clientèle nécessairement… Puis ils ont de la misère à… à comprendre tout ça, puis à faire sens avec ça. (…) Ça fait que d’essayer de garder le cap sur le résident dans le contexte actuel c’est assez difficile. (…) Quand moi je me promène, je ne vois plus (le centre) comme avant. Il est encore très bien coté, là… mais il y a une détérioration de la qualité des soins. Puis ça, ça me préoccupe vraiment beaucoup, beaucoup, beaucoup. (Gestionnaire)

Je vous dirais que présentement, avec les contraintes budgétaires, tout le réseau de la santé est optimisé pour être efficace. Ça fait qu’on perd un petit peu de qualité de temps ou de disponibilité. Ça c’est un gros défi. Il faut pas l’oublier. Il faut arriver à tout faire puis en restant disponible. Puis à l’écoute. (Gestionnaire)

Au-delà d’une période d’adaptation normale face à toute transition, les témoignages laissent entrevoir une certaine lassitude et une démobilisation préoccupante. De nombreuses

39 Parmi ces changements, on a mentionné notamment l’harmonisation des politiques et procédures internes

(administratives, cliniques, etc.), les mesures d’optimisation budgétaires, la programmation loisirs sur sept jours, l’animation du milieu de vie par les préposées, la relocalisation des résidents présentant un profil ISO-SMAF de moins de 10 (considérés trop autonomes pour le CHSLD, voir Annexe 1), l’offre obligatoire d’un deuxième bain par semaine à tous les résidents…

tensions traversent les milieux; les discussions informelles « de corridor » informent d’un climat crispé, en lien notamment aux questions touchant les conditions de travail : manque de personnel, ajout constant de tâches, modifications aux routines ou aux horaires de travail, etc. Sur ce plan, le lien de confiance entre les employés (qu’il s’agisse de relations entre collègue ou encore des liens avec les supérieurs) est apparu fragilisé. Les discussions entre collègues faisaient aussi régulièrement référence à l’importance de « prendre soin de soi », certains discutant ouvertement de leurs réflexions autour de la possibilité de diminuer les heures de travail, de devancer le moment de la retraite ou de changer d’emploi. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que le recrutement et la rétention du personnel aient été présentés comme l’un des grands défis auxquels doivent faire face les gestionnaires des CHSLD.

On a des difficultés de recrutement, particulièrement chez les préposés. Et ça fait qu’il y a des absences non comblées, ça fait qu’ils sont toujours en manque de ressources, ou avec des ressources non habituées… Donc ça, ça perturbe l’équipe de travail et ça perturbe aussi le résident… (Gestionnaire)

La présence de personnel non régulier sur les unités de soins vient en effet déstabiliser les équipes. Ce personnel provient parfois d’agences privées externes, ou alors il s’agit d’employés de l’établissement qui n’ont pas encore de poste stable : « Parce que moi, je viens de commencer, je n’ai pas de poste, ça fait que je me promène sur tous les étages, dans les quatre centres » (préposée). Il revient alors au personnel régulier, déjà débordé, de soutenir et d’encadrer ces employés qui ne sont pas familiers avec les routines de l’unité ou les besoins des résidents.

Évidemment, le personnel qui fait du remplacement, le personnel qui vient des agences, il y a des employés qui sont merveilleux dans ça, mais on s’entend qu’ils n’ont pas la même connaissance que le personnel régulier… (Professionnelle)

Durant le repas, je vois quatre préposées. L’une des préposées semble être nouvelle, ou non régulière : les autres préposées lui disent quoi faire à tout moment : « tu peux ramasser les cabarets de ceux qui ont fini », « tu peux aider monsieur X à manger », « tu peux amener monsieur X à sa chambre »… (Notes d’observation, 10 août 2017)

En somme, la « réforme Barrette » semble cristalliser un sentiment déjà présent depuis de nombreuses années au sein du personnel des CHSLD, devenant une sorte de symbole du manque de considération pour le travail accompli au quotidien auprès des résidents. Elle se

pose en continuité de transformations déjà en cours qui changent le visage des CHSLD, appelés à accueillir des résidents à la santé de plus en plus précaire.

4.1.2 Des CHSLD en transformation : alourdissement de la clientèle et de la

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