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4. Contexte organisationnel et quotidien des CHSLD

4.1 Le contexte organisationnel

4.1.2 Des CHSLD en transformation : alourdissement de la clientèle et de la tâche

Au cours des dernières décennies, les critères d’admission en CHSLD se sont progressivement resserrés de sorte que ces milieux sont aujourd’hui réservés aux personnes qui présentent des pertes d’autonomie très importantes (voir la section 1.2.1, p. 28), pour qui le maintien à domicile ne peut plus être envisagé. Conséquemment, le profil des résidents s’est transformé. Les entrevues avec le personnel confirment, de façon unanime, que les résidents arrivent au CHSLD avec des pertes d’autonomie physiques et cognitives de plus en plus marquées. Plus souvent qu’auparavant, les résidents sont admis en fin de parcours, sinon en fin de vie. En fait, la durée de séjour avant le décès diminue d’année en année et le roulement des résidents s’accélère, déstabilisant les équipes qui doivent constamment accueillir de nouveaux résidents, apprendre à les connaître et adapter les plans de travail.

La dernière année, on a eu un taux de roulement de 51%40. Et juste pour la dernière

période terminée (4 semaines), j’ai eu 9 décès. C’est énorme! (…) Et je te dirais que de ces 9 décès là, j’en ai 2 que c’était… une admission de 3 jours, puis l’autre euh… je pense 2 semaines. (…) Et quand il y a un grand roulement, rapide, bien les équipes sont constamment en déséquilibre. (Gestionnaire)

Un alourdissement de la clientèle qui se traduit évidemment par des besoins accrus chez les résidents : « quand ils sont ici, c’est des pertes d’autonomie assez importantes. Et je te dirais, la majorité ont des démences et des comorbidités multiples » (professionnelle); « chaque résident qui est ici a besoin d’au moins trois heures de soins par 24 heures » (gestionnaire). Les soins à prodiguer deviennent de plus en plus complexes : aide totale pour les activités de la vie quotidienne, gavage, soins de plaies, etc. Les résidents atteints de TNC et

40 Ce qui signifie que le nombre de décès au cours de l’année équivaut à 51% du nombre de résidents dans le

qui présentent des comportements réactifs (ou symptômes comportementaux et psychologiques de la démence, SCPD), mobilisent – sinon, monopolisent – eux aussi énormément de temps : surveillance, accompagnement, diversion, etc41. En bref, le sentiment

que les tâches s’accumulent alors que les ratios de personnel demeurent inchangés est généralisé parmi les employés rencontrés et touche tous les titres d’emploi.

Les préposées sont toutes occupées à alimenter des résidents. J’entends des « ouvrez la bouche, Mme X. », des « Mmmmm » d’encouragement, des « avez-vous fini, Monsieur X. ? ». À un moment, regardant la salle remplie de résident, la préposée régulière lance « Ouin, bien, il y en a de plus en plus, maintenant, des résidents à alimenter… ». Elle se dirige, en prononçant ces paroles, vers une nouvelle résidente. (Notes d’observation, 19 juin 2017)

(Au niveau des loisirs) En fait, l’objectif, et c’est ce qu’on nous demande, c’est de répondre à tous les types de résidents. Bien sûr, c’est pas toujours évident, puisqu’on a souvent un ou maximum deux intervenants par centre. Fait qu’un moment donné, tu sais… (Professionnelle)

Cette surcharge de travail se traduit par des retards dans l’accomplissement des soins et des tâches, mais aussi par des demandes ou des besoins qui ne trouvent pas de réponse – le personnel n’avait pas le temps, remettait à plus tard puis oubliait, ou bien ignorait tout simplement la demande… Dans la grande majorité des cas, cette absence de réponse ne semblait pas attribuable à la mauvaise volonté du personnel, mais plutôt à une nécessaire priorisation des besoins des différents résidents dans un contexte de surcharge de travail. Malheureusement, et bien que cela ne représente pas la norme, il est arrivé que l’attitude des employés ou le ton utilisé face à ces demandes ait été discutable, comme dans le deuxième extrait présenté ici.

Les préposées me semblent assez occupées. Une résidente qui a terminé de manger demande d’aller à la salle de toilette, la préposée lui répond qu’elle doit attendre un peu : « on va finir le dîner des autres, Mme X. Il faut attendre que les autres aient fini de manger… Ça fait pas longtemps que vous êtes allée… ». (Notes d’observation, 19 juin 2017)

41 D’ailleurs, plusieurs membres du personnel me parlaient constamment d’eux au cours des entretiens, malgré

mes tentatives répétées de les recentrer sur les résidents aux stades plus avancés de la maladie et qui ne « dérangent plus ».

En passant dans le corridor, une préposée sort d’une chambre et je l’entends dire à la résidente d’un ton exaspéré : « Oui, elle le sait qu’elle doit vous changer. Vous êtes dans sa tournée. Elle ne viendra pas plus vite si vous sonnez ». (Notes d’observation, 17 novembre 2017)

En somme – et il s’agit là d’un constat central dans la compréhension du contexte organisationnel actuel des CHSLD – les membres du personnel, tous titres d’emplois confondus, ont dénoncé ce manque de temps qui se traduit par le sentiment de devoir faire un « travail à la chaine ». Ces préoccupations rejoignent d’ailleurs les conclusions accablantes du Rapport annuel 2017-2018 du Protecteur du citoyen (2018 : 73), qui dénonce une pénurie de personnel entraînant une difficulté à prodiguer les soins nécessaires et créant un état de situation « qui s’apparente à de la maltraitance » organisationnelle. Soulignons que les proches sont bien conscients des limites auxquelles le personnel est confronté : « Je sais que les gens ici font ce qu’ils peuvent. Mais quand t’en as 10 autres à t’occuper, bien c’est ça… (…) C’est la réalité des CHSLD… » (fille de Mme Tremblay). Ce constat n’est d’ailleurs pas sans impact chez les proches, souvent déjà méfiants envers le CHSLD.

4.1.3 Des préjugés négatifs tenaces envers les CHSLD : des impacts sous-

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