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4. Contexte organisationnel et quotidien des CHSLD

4.1 Le contexte organisationnel

4.1.3 Des préjugés négatifs tenaces envers les CHSLD : des impacts sous-estimés

Les préjugés très négatifs envers les CHSLD sont palpables chez plusieurs membres de famille. Une employée souligne qu’on référait auparavant au CHSLD comme étant des « mouroirs » : « des fois je me dis que le nom a changé mais je veux que tout change aussi, tu comprends-tu? Puis je ne veux pas qu’ils se sentent parkés ici pour attendre la mort… » (préposée). Plusieurs entrevues font référence à cette volonté de briser l’association entre le CHSLD et la mort. Pourtant, dans ce que les politiques publiques appellent ces « milieux de vie », la mort, sans être omniprésente, est bien palpable et ne peut être ignorée : dans la « disparition » de certains résidents, rapidement remplacés; dans les photos régulièrement accrochées sur le babillard « in memoriam » près de l’ascenseur; dans cette voix plus ou moins anxieuse qui transmet un « code bleu » (arrêt cardiorespiratoire) à l’intercom; dans ces

discussions furtives entre préposées, qui s’apprennent entre elles le décès d’un résident ou le fait qu’un autre est en fin de vie…

Mais en creux de cette association du CHSLD à la fin de vie, on sent que le véritable nœud des représentations sociales se situe davantage sur le plan de la qualité de vie et de soins qui est offerte aux résidents. Même les proches qui ont une appréciation très positive du centre réfèrent à l’image négative qu’ils ont des CHSLD « en général » et construisent leur discours en contraste avec les stéréotypes largement véhiculés sur ces établissements. Ainsi, en expliquant que leur proche reçoit de bons soins, ou que la chambre est grande et toujours propre, ils ajoutent, comme pour convaincre, « ici, c’est pas pareil, c’est un bon centre ».

Parce que j’ai une amie… (…) On a fait le tour des résidences, parce qu’elle voulait se trouver une résidence après sa maison… Puis, il y en a là que… J’ai dit, ‘je mettrais pas ma mère ici’…Qui font dur, tu sais, ils sont… (pause) Mais (le centre), jusqu’à date, j’ai rien à dire contre eux autres… (Fils de Mme Cloutier)

Certains font alors référence à des expériences vécues dans des milieux d’hébergement précédents ou des épisodes d’hospitalisation. Plus largement, plusieurs soulignent d’une façon ou d’une autre le rôle des médias dans la construction de ces représentations sociales négatives des CHSLD et de la qualité des soins qui y sont offerts.

La madame est devant moi, là, puis elle est sûre qu’elle s’en vient placer sa mère et qu’on va la frapper, on la nourrira pas, elle aura pas une chambre qui a de l’allure. Tu sais, je veux dire, l’enfer! Elle a un scénario là… Puis là, je la regardais et j’étais découragée… J’ai dit « madame, je ne sais plus quoi vous dire pour vous rassurer ». Toutes les nouvelles, tout ce qu’elle entendait sur le CHSLD, c’était épouvantable. (Professionnelle)

Bien, c’est parce que les médias, tu sais, c’est assez sensationnaliste. Mais je crois qu’une fois qu’ils viennent ici, les familles, puis qu’ils remarquent comment ça se passe, je crois que leur perception change… Comme moi, ma perception a changé une fois que j’ai travaillé ici, là… Quand j’ai commencé à travailler, j’avais ce préjugé-là, on va dire… Qu’en CHSLD, c’est tout le monde en phase terminale, tout le monde alité, il n’y a plus de vie, c’est morbide comme ambiance… Mais non! (Professionnelle)

(Le fils) fait allusion à la couverture médiatique récente concernant les repas dans les CHSLD. Il dit qu’il n’a jamais vraiment mangé un repas ici, sauf le repas de Noël qui était très bon. Mais il pense que la nourriture est correcte, puisque sa mère a pris du poids et elle mange bien. (Notes d’observation, 22 novembre 2016)

Cette image négative des CHSLD a d’abord un impact démotivant pour le personnel : « Quand on entend ça dans les médias, tu te dis, tabarnouche, arrêtez de mettre tout le monde dans le même panier, maudite affaire! » (préposée). Peut-être plus insidieusement, cela affecte aussi le lien de collaboration qui se construit, ou non, entre les équipes et les proches. Ceux-ci, ayant intégré ces représentations négatives, sont nombreux à adopter conséquemment une attitude suspicieuse et méfiante. Si la majorité sont rapidement rassurés suite à l’admission, comme on le voit dans l’extrait ci-dessus, d’autres demeurent toujours « sur la défensive ». Les relations entre ces proches et le personnel sont tendues et reflètent des points de vue contradictoires qui peuvent sembler irréconciliables : alors que le discours des proches s’articule en terme de défense des droits des résidents et de la responsabilité de s’assurer de leur bien-être, le personnel parle de familles exigeantes, d’attentes irréalistes, d’ingérence dans les soins… La question des caméras de surveillance42, sujet d’actualité au moment du terrain, a d’ailleurs été abordée par des proches et des membres du personnel. Si les opinions sur la pertinence d’une telle mesure divergent, les discours viennent confirmer qu’au cœur de cette controverse se trouve le manque de confiance entre les proches et les CHLSD. Elle reflète le sentiment, partagé par plusieurs proches et exprimé de diverses façons, de devoir « surveiller » le centre et le personnel, endossant en quelque sorte le rôle de « chien de garde » pour le résident.

Puis là, on entend assez d’affaires partout dans les résidences, qu’ils sont maltraités puis tout ça… Moi, je trouve que… tu sais, jusqu’à date, ils ont l’air corrects. J’y vais jamais à la même heure. Comme ça, ils peuvent pas savoir quand j’y vais… (Enfant d’une participante43)

Je veux m’assurer qu’elle va bien… (…) Combien de fois je suis arrivée puis elle avait un des bras de pogné dans la tablette (de son fauteuil gériatrique), puis qu’on était venu lui mettre son tablier pour le souper mais on ne s’était pas aperçu qu’elle avait la tablette encavée dans le bras, là… Fait que tu sais, je me dis, si je ne fais pas la police, puis si je

42 Au cours des dernières années, l’installation de caméras de surveillance dans la chambre de résidents de

CHSLD par la famille, parfois sans en informer le personnel, fait périodiquement la manchette. La volonté des proches de surveiller la qualité des soins offerts est ici confronté aux droits des employés; cela interpelle aussi une réflexion éthique sur le droit à la vie privée des résidents inaptes, incapables de consentir à l’installation de telles caméras captant leur intimité.

43 Étant donné le caractère délicat des extraits sur ces thématiques, et afin de préserver l’anonymat des proches

ne viens plus… bien… est-ce qu’ils vont faire autant attention? Je suis pas sûre, là tu sais… (Enfant d’une participante)

Les familles aujourd’hui, elles sont informées, puis c’est correct, mais tu sais… ça fait qu’ils deviennent médecins, infirmières… (…) Je pense qu’ils ont le droit de questionner, de remettre en question des choses, de nous pousser dans nos réflexions, ça c’est parfait qu’on travaille ensemble. Mais il faut qu’il y ait une certaine confiance en le médecin, en l’équipe d’infirmières, en l’équipe de préposées. (…) Les caméras! Les caméras dans les chambres, avec une surveillance à distance, un appel directement au chef d’unité ou à l’infirmière quand il y a quelque chose qui est vu. Mais… (pause) Il y a tellement de choses qui ont été galvaudées par rapport à… (Il y a comme) une aura de… de suspicion. (Gestionnaire)

Il faut donc retenir de ce bref portrait que le contexte organisationnel actuel en CHSLD pose des défis importants aux équipes et aux proches qui gravitent autour des résidents. Les représentations sociales très négatives, les besoins croissants chez les résidents, l’alourdissement de la tâche et le sentiment d’un travail à la chaîne, le manque de reconnaissance : autant d’éléments qui contribuent à un discours empreint d’impuissance et de démotivation chez le personnel, et ce, malgré que les entrevues réalisées laissent aussi entrevoir un réel attachement pour les résidents et une volonté de contribuer à leur qualité de vie. Voyons maintenant comment ce contexte de travail difficile se traduit dans le quotidien des résidents qui demeurent en CHSLD.

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