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2. Cadre théorique et conceptuel

2.1 Interactionnisme symbolique

2.1.2 Défis et apports de l’interactionnisme à l’étude

Tel qu’exposé précédemment (voir section 1.1.2, p. 24), les études portant sur les aspects sociaux des TNC ont largement contribué à notre compréhension de la maladie et de ses effets sur les personnes qui en sont atteintes et leurs proches. De nombreuses études parmi celles-ci ont adopté un cadre théorique interactionniste. Non sans rencontrer des défis importants, elles ont permis de produire des connaissances novatrices et porteuses sur les plans théorique, méthodologique et clinique. Il ne s’agit pas ici de faire une présentation exhaustive de chacune de ces études, mais bien d’en dégager un certain nombre de pistes permettant

16 Goffman utilise le terme de « carrière morale », d’autres auteurs parlent simplement de « carrière » ou de

d’illustrer comment les différents concepts de l’interactionnisme peuvent s’articuler dans le domaine précis des TNC. Ces quelques pistes pourront, plus avant, alimenter les analyses réalisées dans le cadre de cette thèse.

Soulignons d’abord que les TNC, surtout dans les stades avancés, appellent à un élargissement, un assouplissement de certains concepts interactionnistes, qui doivent être revisités alors que la maladie progresse et que l’interaction (notamment verbale) devient plus difficile pour la personne atteinte. Il en va ainsi de l’agentivité et de l’interprétation. Si de plus en plus d’études démontrent qu’il est possible de déchiffrer la communication pour accéder à l’interprétation et la réflexivité des personnes atteintes (Batra et al. 2016; Godwin et Waters 2009; Nygård 2006; Surr 2006; Beard 2004), le défi peut sembler insurmontable aux stades très avancés de la maladie alors que la personne ne parle plus et n’a que peu de réactions à son environnement. Pourtant, de nombreuses personnes côtoient quotidiennement ces résidents et sont en relations avec eux : les préposées et infirmières, les proches, les autres résidents. Le fait que les personnes ayant un TNC aux stades avancés ne peuvent plus participer de la façon socialement attendue aux interactions ne les en soustrait pas pour autant ; elles demeurent tout de même en interaction constante avec le monde qui les entoure. Et ces interactions sont soumises non seulement aux mêmes contraintes sociales, mais aussi à l’interprétation individuelle de tous ceux qui sont appelés à côtoyer les personnes atteintes de démence. Comment ces interlocuteurs perçoivent-ils le TNC et la personne qui en est atteinte ? Comment cela affecte-t-il l’interaction ? Et comment les réactions de la personne atteinte, plus ou moins rares ou franches, influencent-elles aussi l’interaction ?

Si l’étude des TNC, surtout au stade avancé, exige donc de repenser certains concepts centraux de l’interactionnisme, le défi s’avère prometteur : de nombreuses études ont démontré l’apport de cette théorie au développement des connaissances dans le champ des pertes cognitives. D’abord, comme il l’a fait pour l’étude de la déviance, l’interactionnisme a permis un déplacement du regard sur les TNC et les comportements « anormaux » qui les accompagnent. Adoptant une posture qui affirme l’importance du point de vue subjectif, des auteurs de plus en plus nombreux ont remis en question les présupposés entourant l’absence de réflexivité et l’impossibilité de témoigner chez les personnes atteintes. Cela s’est traduit notamment par des choix méthodologiques conséquents, remettant au cœur des travaux la

parole des personnes atteintes elles-mêmes et ce, jusqu’à des stades relativement avancés de la condition.

Contemporary efforts to enhance communication and involvement have demonstrated the enduring ability of forgetful people to meaningfully interact (Allen & Killick, 2000; Wilkinson, 2001), despite stigma resulting from their inability to navigate the social world in a manner deemed normatively acceptable by others. (…) We propose understanding the disease from the perspectives of forgetful people to counter social trends that have silenced the voices of people with Alzheimer’s. (Beard et Fox 2008: 1510-1511)

Replacer ainsi la perspective des personnes atteintes au centre des intérêts de recherche a permis d’aborder les TNC à travers les notions, chères aux interactionnistes, d’étiquetage ou de stigmate. Des auteurs les ont mises à profit pour tenter de saisir les mécanismes à l’œuvre dans le cadre du processus de diagnostic de la condition. Hanson (1997), par exemple, a mis en lumière que le cheminement amenant les proches à rechercher un diagnostic était moins lié à la présence de symptômes de pertes cognitives qu’à leur difficulté à gérer ceux-ci. De la même façon, le concept de carrière ou de trajectoire de maladie a été repris afin d’illustrer les changements qui s’opèrent dans les relations aux autres et dans l’identité personnelle, dès l’annonce du diagnostic. Beard et Fox (2008), par exemple, associent l’obtention du diagnostic de TNC à un « rite de passage ». Dans le même ordre d’idées, l’étude de Langdon, Eagle, et Warner (2007) expose comment les personnes atteintes négocient ce changement de statut et les différentes stratégies qu’elles mettent en œuvre dans la gestion conséquente de leur identité personnelle. Enfin, quelques travaux ont mis à profit l’interactionnisme afin d’analyser la façon dont les représentations sociales de la maladie peuvent influencer les personnes atteintes, ainsi que l’interprétation des proches dans leurs interactions avec elles. Dans nos sociétés contemporaines, les discours sociaux entourant les TNC, marqués par les pertes et la déchéance, se trouvent exacerbés par la surmédicalisation de la condition : « Since experiences are socially created, individuals who find themselves on uncharted terrain draw on the narrative resources available to them » (Beard et Fox 2008: 1518).

C’est d’ailleurs dans ce contexte de résistance face à la surmédicalisation des TNC et en réaction au risque élevé de stigmatisation et d’exclusion, de dépersonnalisation et,

ultimement, de déshumanisation des personnes atteintes (Chaufan et al. 2012; Behuniak 2010; Poveda 2003) que le concept de personhood s’est développé.

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