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quelques notions employées par la suite

Chapitre 4 Enquête sur l’offre d’expertise 1 innovante

4.1 Application des sciences humaines et des sciences des organisations à l’analyse de l’innovation

4.1.1 Quelques concepts scientifiques utilisés pour l’analyse des systèmes

L’analyse des systèmes (chapitre 1) présente l’avantage de pouvoir être appliquée à de nombreux types d’objets et à différentes échelles. C’est d’ailleurs une des principales critiques qui lui est adressée car elle s’autorise à transposer des résultats d’une discipline scientifique à une autre. Nous pourrions épiloguer sur les controverses scientifiques qu’elle suscite au sein de chaque discipline mais ce n’est pas notre propos ici.

On imagine bien que les innovations de l’expertise considérées à l’échelle d’un pays ne résultent pas simultanément de l’ensemble des composantes de ce système. On peut en dire autant des innovations apportées par une composante. En poursuivant le raisonnement, on arrive rapidement à l’individu : à son processus d’apprentissage et à ses créations dont certaines peuvent être considérées comme une innovation par d’autres personnes.

Les trois concepts développés ci-dessous couvrent des domaines de pertinence distincts en terme d’ampleur du système à étudier.

Les processus d’apprentissage et de transformation des organismes

L’individu, et par extension un système, peut être considéré comme un tout intérieur et extérieur qui s’adapte et se transforme. Le concept d’équilibration que J. Piaget [Piaget 1947]

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a développé en Psychologie repose sur l’alternance et la combinaison de deux mécanismes contradictoires et complémentaires. L’assimilation désigne la réintégration d’éléments externes nouveaux dans une structure interne préexistante. L’accommodation caractérise une certaine adaptation de la structure interne aux variations externes qu’elle ne réussit pas à assimiler.

Pour J. Piaget, un organisme préserve sa forme structurellement stable sur un fond perpétuel d’instabilités, de changements, de bruits, de contradictions, d’obstacles. Lorsque ce concept est étendu aux organisations sociales, l’accommodation peut aller jusqu’à une transformation de la structure par elle-même.

Les processus de changement des organisations

Dans les années 60, en réaction à la conception mécaniste des organisations, des travaux habituellement regroupés sous l’intitulé « Théories de la contingence » ont émergé dans les sciences du management. Ils postulent que les organisations tendent à développer des formes structurelles en adéquation avec certains éléments de leur contexte organisationnel (interne ou externe, tel que la taille, la technologie, la structure de l’environnement, etc.). Les principaux facteurs de contingence étudiés étaient la taille, la nature de la technologie et la structure de l’environnement. P.R. Lawrence et J.W. Lorsch avec leur “structural contingency theory” (théorie de la contingence structurelle) sont à l’origine de cette désignation [Lawrence & Lorsch 1979 (1989)]. Leur ouvrage met en évidence la contradiction entre deux nécessités fondamentales et enchevêtrées, la nécessité d’une différenciation organisationnelle née des relations que l’organisation entretient avec un environnement composite et différencié et la nécessité d’intégration organisationnelle qu’imposent les tensions, conflits et tendances centrifuges générés par la différenciation. Actuellement, l’approche système des organisations conduit à considérer la dynamique « intégration/différenciation » comme inhérente à l’organisation et indépendante des acteurs parties prenantes. Certes, ces acteurs peuvent agir sur la dynamique organisationnelle par la mise en place de dispositifs favorisant la différenciation et/ou l’intégration. Quoiqu’il en soit, on constate que, dans un contexte d’augmentation de la différenciation, une dynamique intégratrice finit par émerger, quels que soient les acteurs.

Les processus d’innovation technique

Dans un ouvrage consacré à l’innovation technique, P. Flichy apporte une analyse historique et épistémologique des sciences sociales vis à vis de l’innovation. Le dernier paragraphe de son ouvrage résume sa conception. : « Le processus innovatif consiste à stabiliser des

relations entre les différentes composantes d’un artefact d’une part, entre les différents acteurs de l’activité technique d’autre part. Le cadre sociotechnique ordonne des différentes relations, il permet d’ajuster les actions individuelles. L’innovation n’est pas l’addition d’un génial Eurêka et d’un processus de diffusion. Elle est bien au contraire rapprochement d’histoires parallèles, ajustements successifs, confrontation et négociation, réduction de

l’incertitude. Ce processus de stabilisation concerne tout autant le fonctionnement opératoire de la machine que ses usages, les concepteurs que les utilisateurs, les fabricants que les vendeurs. » [Flichy 1995 p236].

En employant le terme processus innovatif, P. Flichy relativise les graduations selon lesquelles les économistes discriminent l’innovation. Ces derniers, attachés à la notion de cycles économiques [Freemann & Perez 1988], reprennent les concepts développés en sciences du management3 [Chandler 1962] depuis les années 60. Ils distinguent quatre

niveaux décrits ci-dessous accompagnés des commentaires de P. Flichy (en italique) :

• les innovations incrémentales correspondent à des changements mineurs mais cumulativement importants (pour Flichy, elles désignent un ensemble continu d’actions

articulant des opportunités techniques dans le cadre de trajectoires déjà définies et des propositions des utilisateurs).

• les innovations radicales qui correspondent à un facteur de nouveauté (facilement identifiable) et ouvrent de nouvelles perspectives d’usages (elles correspondent à des

évènements discontinus qui ne se situent pas dans un cadre technique déjà défini, elles entraînent ou révèlent une rupture que traduit la notion de paradigme ; les innovations radicales sont plus dépendantes des initiatives de recherche-développement que des pressions de la demande).

• les changements de systèmes technologiques qui combinent les deux premières avec des modifications organisationnelles (la radio-télévision en est un exemple, elle

impacte plusieurs secteurs économiques).

• les changements de paradigme technico-économique qui conduisent à la création de nouveaux produits et de nouvelles industries. Pour Freeman, le chemin de fer et l’énergie électrique en sont des exemples.

P. Flichy estime que la classification dépend de la focale utilisée. Il préfère donc employer le terme de « cadre de référence sociotechnique » pour désigner aussi bien l’état du(des) système(s) technologiques(s) que le paradigme technico-économique. Cette expression a

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C’est en 1962 que Chandler affirme que « la stratégie d’une entreprise détermine sa structure » en se fondant sur une étude systématique de l’histoire de quelques très grandes entreprises nord-américaines. Il distingue trois modes selon lesquels la structure doit s’adapter et évoluer de façon concomitante en fonction des changements de stratégie sous peine d’inefficacité et/ou d’inefficience :

- le mode incrémentaliste : l’adaptation de la structure procède d’une accumulation (sédimentaire ou foisonnante) de changements de type ajustement jusqu’au moment où un réagencement est perçu comme indispensable. - le mode brutal (réactif) : l’adaptation de la structure procède d’une transformation radicale (nouvel organigramme, nouvelles affectations des responsables…) et symbolise alors la volonté de changement stratégique des dirigeants.

- le mode planifié (proactif) : l’adaptation de la structure se fonde sur une anticipation d’infléchissement de la stratégie et procède d’une adaptation programmée et d’un apprentissage organisationnel progressif des nouveaux modes d’action exigés.

L’approche de Chandler, et en particulier son modèle des trois modes de la relation Stratégie/Structure a été largement reprise et développée par la suite comme le montre les écrits de Freemann et Perez.

l’avantage de rappeler explicitement l’importance du périmètre choisi par l’observateur. P. Flichy rappelle l’importance de la période temporelle de l’observation. Bien avant lui, Lévi- Strauss4 avait insisté sur la dimension spatiale de la focale dans l’observation des systèmes

anthropiques, nous pensons que le périmètre d’observation détermine aussi la classification5.

Le deuxième apport de P. Flichy réside dans l’idée de stabilisation temporelle du processus, comme si une innovation ou un nouveau cadre de référence sociotechnique existait parce qu’il dure un temps suffisamment long pour qu’il puisse être observé …. et obtenir ce statut d’innovation (respectivement de cadre de référence). Cela suppose que les différents observateurs utilisent les mêmes focales et s’accordent sur un objet repère. Si l’étude de l’innovation technique réunit les anthropologues, les sociologues, les historiens et les économistes, c’est peut être parce que l’innovation technologique prend une forme matérielle qui peut être datée de façon relativement consensuel par les observateurs. Le marquage d’une innovation de l’expertise est beaucoup plus discutable si l’on exclut les « découvertes » relatives à des théories formelles6. L’idée de stabilisation laisse entendre le fait que les cadres

de référence se situent eux-mêmes dans des mouvements de longue durée ; P. Flichy affirme qu’une rupture de cadre peut être préparée par de longs mouvements plus ou moins souterrains du technique et du social. Il essaie ensuite de modéliser la genèse d’un cadre de référence.

Aux origines d’un cadre sociotechnique, se trouvent toute une série d’imaginaires techniques qui constituent l’une des ressources mobilisées par les acteurs pour construire le cadre de fonctionnement (que P. Flichy définit comme un cadre technologique, institutionnel et économique autorisant et/ou favorisant le fonctionnement des innovations technologiques). Parallèlement et de façon imbriquée, un imaginaire social oriente un cadre d’usage7. Une

innovation ne devient stable que si les acteurs techniques réussissent à créer un alliage entre le cadre de fonctionnement et le cadre d’usage. Le cadre de référence sociotechnique n’est pas la somme du cadre d’usage et du cadre de fonctionnement mais une nouvelle entité.

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En constatant dans les années 50 que l’«on tend à étaler dans l’espace des formes de civilisation que nous étions portés à imaginer comme échelonnées dans le temps.», Lévi-Strauss fait le procès d’une ancienne ethnologie trop imprégnée de l’idée d’un progrès chronologiquement inéluctable.

5 En étudiant les processus internes à une entreprise qui ont conduit à ce qu’elle produise une innovation radicale, il est vraisemblable que l’on observerait une multitude d’innovations incrémentales. Le caractère radical de l’innovation révèlerait la capacité de l’entreprise ou de l’organisme à produire et à préserver en interne pendant une certaine période des innovations incrémentales. La confidentialité serait une condition pour laquelle la combinaison d’innovations incrémentales apparaît comme une innovation radicale. (Le terme « apparaître » met en évidence le poids de l’observateur).

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G.Dupuy a daté la « découverte » de la loi de gravité des déplacements par Voorhees, qui constitue, encore aujourd’hui, la base de la modélisation des déplacements [Dupuy 1975].

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P. Flichy cite la mobilisation successive de plusieurs imaginaires sociaux qui correspondent chacun à un cadre d’usage envisagé pour le télégraphe. Au XVIII°, les aristocrates l’associaient à la correspondance amoureuse ; de la révolution française à 1830, il fut un outil de consolidation de l’unité de l’Etat ; il devint ensuite un monopole d’Etat en 1837 pour éviter une inéquité d’accès aux informations boursières qui aurait compromis le développement du capitalisme.

4.1.2 Transfert des approches de l’innovation technique à l’innovation

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