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La cohésion sociale comme moteur du renouvellement de la planification urbaine

quelques notions employées par la suite

Chapitre 2 Les objectifs des politiques de transports et de mobilité en milieu urbain

2.3 La cohésion sociale et le renouvellement urbain

2.3.4 La cohésion sociale comme moteur du renouvellement de la planification urbaine

A travers le prisme de la spirale de transformation, nous avons découvert les interactions entre cohésion sociale, urbanisme et transports. On peut cependant s’interroger sur les raisons qui ont poussé le législateur et les services du ministre de l’équipement à relier transport, urbanisme et cohésion sociale dans un même texte de loi. Inversement, pourquoi les a-t-on si longtemps dissociés?

La relation cohésion sociale / urbanisme

Plusieurs statistiques révèlent une congruence entre ségrégation spatiale et ségrégation sociale parallèlement à la démocratisation de l’automobile [Orfeuil 2001]. Ce phénomène a été constaté à l’intérieur des agglomérations68. Experts, aménageurs et élus urbains ont pris

conscience que l’objectif de cohésion sociale exigeait aussi un traitement spatial à une large échelle. Les échecs successifs de la « politique de la ville », initialement ciblée sur les seuls « quartiers défavorisés », ont conduit à l’extension territoriale de son application. Avec la loi SRU, les limites de l’agglomération sont franchies pour englober l’aire urbaine. Après 20 ans de décentralisation et d’autonomie communale, le législateur a voulu renforcer la solidarité des territoires « éclatés » des métropoles à travers la co-élaboration d’un projet de développement urbain.

La liaison urbanisme / transport.

L’urbanisme des années 60 et 70 était fondé sur une division fonctionnelle de l’espace facilitée par l’essor de l’automobile. Le ministère de l’Equipement a développé une organisation centralisée et sectorielle de ses services. Ils ont mis en œuvre une politique routière ambitieuse sur l’ensemble du territoire national et une politique d’aide au logement favorisant l’habitat périurbain (en particulier pour les couches moyennes de la population à la recherche d’un foncier moins coûteux). Par ailleurs, le législateur a progressivement autorisé le développement de réseaux de transports en commun par un financement local69 ainsi

qu’une maîtrise foncière par les communes. Libre aux communes d’utiliser ces outils, on observe de fortes disparités des politiques70 menées par les villes dès les années 70. En

caricaturant les stratégies d’acteurs territoriaux avant la décentralisation on pourrait affirmer que l’Etat menait des politiques sectorielles (transport, logement) qui de facto conduisaient à un étalement urbain, tandis que quelques villes71 tendaient à contrer cet effet par le

développement de l’offre de transport en commun (Nantes, Grenoble, Strasbourg) ou par la maîtrise foncière72 (Rennes, Montpellier). La division sectorielle de la technostructure

administrative (Etat, Département, Commune) en charge des politiques d’urbanisme lato

68

Mobilité urbaine et structure spatiale de la ville, Analyse des déplacements à Toulouse et Bordeaux, Collection Références Certu, 1993, 79p.

69

L’enquête annuelle du GART et du Crédit Local de France de 1998 montrait que l’Etat n’a financé en 1997 que 2% des dépenses totales (fonctionnement et investissement) des réseaux de transports publics urbains hors région Ile-de-France.

70

Le Moniteur des Travaux Publics du 20 septembre 2002 passe en revue les politiques foncières de sept grandes villes françaises. La maîtrise foncière menée depuis 30 ans à Rennes et Montpellier permet une métropolisation dense, tandis que Lille et Toulouse qui n’ont pas eu de politique foncière se distinguent par un « gaspillage foncier » et plus récemment par un blocage de la construction du fait de la flambée des prix du foncier.

71 Beaucoup de villes moyennes ainsi que Bordeaux et Toulouse ne se sont pas donné pas les moyens pour limiter l’étalement urbain.

sensu (transport, logement, développement économique) caractérise l’héritage des années 60- 70.

En 1982, la décentralisation a confié au maire la décision finale en matière d’urbanisme et de voirie communale et au Conseil Général les voiries départementales73. En dehors des zones

les plus agglomérées, l’urbanisation extensive s’est faîte en roue libre, sans pilotage par l’Etat, mais avec ses encouragements74. Dans les villes, des politiques moins exclusives de

l’automobile se sont développées pour répondre aux aspirations des habitants (transport en commun en site propre, zone 30, renforcement des passages prioritaires piétons, limitation de vitesses, …). A la fin des années 90, les Plans de Déplacements Urbains ont obligé les agglomérations à établir un état des lieux et à afficher des orientations en matière de déplacements urbains. L’élaboration des PDU a fait ressortir75 des incohérences imputables à

une division territoriale de l’autorité publique sur les transports et l’urbanisme76 au sein des

aires urbaines françaises.

La liaison cohésion sociale/transports

Par transitivité, les deux paragraphes précédents expliquent comment les acteurs des politiques de cohésion sociale et de transports ont pu si longtemps ignorer mutuellement leurs interactions. Il s’est écoulé une vingtaine d’années après la décentralisation avant que le souci de cohésion sociale ne conduise à modifier la loi fondamentale qui régit l’organisation des transports en France (la LOTI), rompant ainsi avec la tradition française d’autonomisation des politiques de transports et des politiques sociales de l’Etat77, y compris au sein du ministère de

l’Equipement entre les directions centrales en charge de l’urbanisme, de l’habitat et des différents modes de transport. D’une certaine manière, l’Etat renoue avec l’ambition planificatrice intersectorielle par la collectivité comme dans les années 60, mais il prend acte

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Les Conseils généraux ont évidemment conservé l’autorité d’organiser les transports publics départementaux qu’ils financent seuls.

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L’effet de seuil des plafonds de l’allocation logement et des prêts à taux zéro ont incité de nombreux ménages modestes à faire construire eux-mêmes des maisons individuelles partiellement achevées sur du foncier à bas prix.

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Les villes centres, les structures intercommunales d’agglomération, les régions et souvent les représentants de l’Etat partagent ce diagnostic. Cependant, peu de Conseils Généraux ont établi un consensus en leur sein sur ces questions. Bien souvent, les routes et les transports publics relèvent de commissions ainsi que de vice-présidences différentes.

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Des chercheurs, les agences d’urbanisme et des CAUE ont souvent tiré la sonnette d’alarme mais en vain. Aucune institution politique ne s’est emparée sérieusement de ces problèmes. Les diagnostics, lorsqu’ils existent, conduisaient souvent à rejeter les torts sur l’autre. Quant aux associations du cadre de vie ou des usagers, peu avaient une visibilité sur l’ensemble du territoire du bassin de vie [Pradeilles 1997].. Une association pionnière comme l’ADTC de Grenoble n’a étendu son périmètre d’action à l’ensemble de la Région Urbaine Grenobloise qu’en 2001. Inversement, les associations de préservation de l’environnement, se sont préoccupées tardivement de la question urbaine : la FRAPNA-Isère, composante iséroise du réseau France Nature Environnement, a mis en place une commission « écologie urbaine et pollutions atmosphériques » au milieu des années 90.

de la décentralisation en laissant les collectivités locales jouer un jeu dont il fixe préalablement les règles.

On notera cependant que la rupture avec la tradition administrative de l’Etat a été quelque peu « forcée » par le politique et en particulier par les ministres du Logement (Louis Besson jusqu’en juin 2001) et de l’Equipement (Jean-Claude Gayssot jusqu’en mai 2002). J.-M. Offner constate que les administrations du même ministère de l’Equipement ont rapidement repris leur pratique autonome [Offner 1996]. En appui à cette thèse, l’organisation du texte de la loi SRU en quatre titres correspondant chacun à une direction ou sous direction du ministère de l’Equipement révèle la persistance du cloisonnement de l’action des directions correspondantes du ministère.

A travers l’analyse de la loi SRU, nous faisons la part belle à l’Etat, que ce soit de sa représentation (parlement, ministre) ou de ses services. Cependant, la définition des orientations et l’intensité des actions seront déterminées par ceux qui mettront en œuvre le renouvellement urbain et la canalisation de la croissance des métropoles : c’est à dire les collectivités locales et les structures de coordination ou d’action qu’elles mettent en place. Comme nous l’avons constaté pour l’environnement, le renouvellement urbain était déjà en œuvre avant la promulgation de la loi. Les exemples abondent pour le prouver, citons seulement quelques opérations conçues au cours de la décennie précédente :

• Dans les quartiers où les logements sociaux sont dominants, les politiques de réhabilitation du bâti démarrées au cours des années 80 ont progressivement évolué vers une réorganisation des espaces et des circulations (piéton, voiture, TC) dans et autour de ces quartiers. P. Panerai, architecte-urbaniste propose le concept de « résidentialisation78 » en redessinant une hiérarchie des espaces en complément d’un

projet de redensification et de mixité sociale dans un quartier qui avait été conçu dans les années 50 comme une « zone d’environnement79 ».

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La transformation du quartier Teisseire de Grenoble illustre une réflexion combinant urbanisme et déplacement. La résidentialisation et l’organisation des circulations visent, entre autre, à ce que des collectifs intermédiaires puissent exercer un contrôle sur des espaces semi-publics afin de sécuriser ces espaces.

• Dans la plupart des grandes agglomérations, certaines friches industrielles ou logistiques ont été transformées en quartier pluri-fonctionnel en utilisant des procédures de type ZAC80. Le quartier Europôle à Grenoble, conçu comme un quartier d’affaires

(monofonctionnel) au milieu des années 80 et relié par une avenue à 2x2 voies au réseau de voiries rapides urbaines, a finalement accueilli plusieurs programmes de logements en accession et en location sociale ; la pénétrante s’est muée en une avenue urbaine (deux fois une voie). Le quartier Euralille construit plus tardivement a fait l’objet d’une attention particulière à la mixité fonctionnelle et à la continuité piétonne avec son environnement urbain.

• Les statistiques démographiques de l’INSEE montrent un repeuplement de plusieurs villes centres au cours des années 90 (Lyon, Grenoble, Rennes, …), malgré le contexte général de métropolisation et de diminution du nombre de personnes par logement. Ces villes avaient entrepris dès la fin des années 80 un programme de reconstruction de la ville sur elle-même. Le renouvellement urbain touche aussi des communes de première couronne.

On remarquera que le renouvellement urbain, au sens de transformation de la ville sur elle- même ne favorise pas automatiquement la mixité sociale. Le tramway, qui permet une amélioration du cadre de vie ainsi qu’une densification des zones qu’il dessert peut conduire à une gentrification du centre ville ou autour de certaines stations [Gerber 2000]. Si la loi SRU révèle la généralisation de la préoccupation de cohésion sociale, elle peut être aussi utilisée pour une transformation de la ville sur elle-même qui ne serait pas nécessairement favorable à la mixité sociale. Cette loi contient un ensemble de dispositions hétéroclites modifiant des dispositions réglementaires antérieures. Elle s’appuie sur l’expérience de quelques grandes villes en matière de renouvellement urbain. Il a fallu que les pionniers du renouvellement urbain soient confrontés à des obstacles (imposition d’un seuil minimum de place de stationnement par exemple, ou rigidité du droit des sols incompatible avec une contractualisation public/privé) pour que l’ « on »81 songe à toiletter ou renouveler les

processus de planification. Nous allons voir que les apports de la loi SRU relèvent plus de la méthode et de la pédagogie, que de l’orientation qui, elle, sera donnée par les collectivités locales.

80

Quelques unes des souplesses offertes par la procédure ZAC ont été étendues par la loi SRU à l’ensemble du territoire urbanisable et urbanisé de la commune (possibilité de ne pas définir de façon exclusive la finalité d’un terrain dans les futurs PLU).

81

Le mot « on » désigne l’ensemble des acteurs qui ont participé, directement ou indirectement, à la préparation du projet de loi.

2.3.5 Une nouvelle forme de gouvernance pour le renouvellement

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