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La superposition des objectifs des politiques de transports et de mobilité et le développement durable

quelques notions employées par la suite

Chapitre 2 Les objectifs des politiques de transports et de mobilité en milieu urbain

2.5 La superposition des objectifs des politiques de transports et de mobilité et le développement durable

Nous avons présenté les quatre objectifs des politiques de transports et de mobilité déclinables tant au niveau de la Nation que des villes dans l’ordre chronologique de leur montée en puissance :

• liberté de circuler, • droit au transport,

• cadre de vie et la préservation de l’environnement, • cohésion sociale (qui motive le renouvellement urbain).

La mise en avant de telle ou telle valeur n’efface pas les autres : ces valeurs se combinent et se superposent aux autres à une même époque et souvent dans un même projet de service ou d’infrastructure de transports. Des justifications parfois contradictoires se juxtaposent dans la sphère (élus, hauts fonctionnaires, experts) de l’aménagement du territoire et de la ville durant la même décennie des années 90.

• La liberté de circuler apparaît comme un fondement de la Nation à travers la métaphore du corps humain : P. Zembri cite Roger Brunet qui établit en 1993 un parallèle entre l’irrigation du territoire par le réseau routier et celle du corps par le réseau artériel [Zembri 1997].

• Les notions de désenclavement et de maillage du territoire corollaires du droit au

transport (quel que soit le mode) restent de puissantes justifications de l’action

publique qu’elle soit nationale97 ou locale98.

• Les préoccupations environnementales et en particulier la lutte contre la pollution atmosphérique sont à l’origine de la loi sur l’air. L’exposé des motifs du projet de loi est

explicite99 sur une nouvelle finalité assignée aux politiques publiques de transports.

97

Voir l’article 18 de la Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le développement du Territoire de 1995 [Annexe C Lois et réglements] consacré au réseau autoroutier français.

98

Alain Chenard président de l’AOTU de Nantes justifiait le détour du tramway dans des quartiers périphériques par le droit au transport. Source : Lettre du Gart n° 103

99

« Il apparaît nécessaire de prendre en compte les impératifs de lutte contre la pollution atmosphérique dans la définition des autres politiques publiques, telles que l’urbanisme et/ou les transports, dont elle doit devenir une composante à part entière » Citation de Corinne Lepage, Ministre de l’Environnement, rapportée par P. Zembri [Zembri 1997]. Dans un article consacré au Plan de Déplacements Urbains, en charge d’une cellule de prospective au sein de ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, D. Dron identifie trois risques consécutifs à la pollution atmosphérique et aux émissions de gaz carbonique : l’impact sur la santé de la population, la détérioration de la production agricole et l’effet de serre. A noter qu’elle place aussi son argumentation dans le registre de l’économie lorsqu’elle s’inquiète de la dépendance énergétique face au Moyen-Orient qui détiendra la quasi- totalité des ressources pétrolières à l’horizon 2050. Réduire la pollution et les déplacements contraints, in Dossier sur les Plans de Déplacements Urbains, Diagonal, n° 124, avril 1997, pp 27-28. [Dron 1997]

• Dans la plaquette de présentation du projet de loi relatif à la Solidarité et au Renouvellement Urbains (SRU), J.-C. Gayssot, alors ministre de l’Equipement, du Logement et des Transports met en exergue la prédominance de la voiture dans la ségrégation sociale du territoire urbain100. La préoccupation du lien social est aussi

portée par l’expertise en environnement sous une forme éthologique101.

L’article 28 de la LOTI modifié par la loi SRU, qui traite des Plans de Déplacements Urbains, illustre aussi la superposition des motifs. « Le PDU vise à assurer un équilibre durable entre

les besoins en matière de mobilité et de facilité d’accès, d’une part, et la protection de l’environnement et de la santé, d’autre part. Il a comme objectif un usage coordonné de tous les modes de déplacements, notamment par une affectation appropriée de la voirie ainsi que la promotion des modes les moins polluants et les moins consommateurs d’énergie. Il précise les mesures d’aménagement et d’exploitation à mettre en œuvre afin de renforcer la cohésion sociale et urbaine et le calendrier de …». Les quatre motifs des politiques de transports se

retrouvent dans ces quelques lignes, avec des nuances.

• La liberté de circuler et le droit au transport apparaissent en filigrane sous une acception opérationnelle relative à l’outil de planification qu’est le PDU : « besoins de

mobilité et de facilité d’accès ». Ceci ne constitue pas une atténuation de ces droits du

fait du contexte urbain mais une adaptation du vocabulaire à l’outil : ce que le législateur considère comme un droit, devra être pris en compte comme un besoin de la population par le planificateur ou le gestionnaire public dans le cadre du PDU.

• L’environnement apparaît ici sous une forme encore défensive (protection de l’environnement et de la santé) qui correspond à l’esprit de la loi sur l’Air de 1996 qui a réactivé les PDU. Cet alinéa de l’article 28 n’a pas été toiletté par la loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement Durable du Territoire de 1999 ni par la loi SRU. Le concept d’« équilibre » entre les besoins de mobilité et la protection de l’environnement souligne que ces deux objectifs étaient encore considérés comme contradictoires.

100

« L'évolution de la ville a nourri les cassures, le mur de l'argent, les privilèges, les inégalités. Les risques d'éclatement et de "ghettoïsation" sont là. La prédominance de la voiture, la consommation de masse ont modelé le paysage urbain. Face à ces évolutions naît l'envie d'un autre regard, en un mot de vivre autrement ». Plaquette « Solidarité et renouvellement urbains » Ministère de l'Equipement, des Transports et du Logement, Secrétariat d'Etat au Logement, janvier 2000.

101

« Leur but est également d’essayer de rendre la ville plus vivable, rendre les rues plus agréables et plus sûres, d’encourager les réflexions portant sur les rapports entre l’urbanisme et les transports. Il faudrait …. . Au risque de paraître idéaliste, il faudrait dire que le PDU doit servir à rendre la ville plus conviviale et plus propice à l’épanouissement des personnes.» [Dron 1997].

• Le renforcement de la cohésion sociale et urbaine a été discrètement inséré comme finalité des mesures d’aménagement et d’exploitation par l’amendement n° 227 proposé par un député lors de la discussion de la loi SRU par la commission de la Production de l’Assemblée Nationale102. Il est étonnant que cet objectif soit la seule finalité affichée

des mesures d’aménagement et d’exploitation. Le député amendeur a probablement considéré qu’il était plus simple de glisser cet entrefilet ici plutôt que de réécrire la phrase sur « l’équilibre durable entre les besoins de mobilité … et la protection de

l’environnement … ».

Le principe de superposition des valeurs motivant les politiques de transports en milieu urbain est bien illustré par cet article 28. Cependant, sa rédaction laisse supposer qu’il existe une contradiction entre les besoins de mobilité et la protection de l’environnement. Le concept de développement durable n’a pas suffisamment imprégné le législateur pour que celui-ci renonce à une formulation d’opposition entre les deux objectifs.

Les autorités organisatrices de transports urbains en charge de l’élaboration des Plans de Déplacements Urbains aiment à rappeler les anticipations locales par rapport à la loi sur l’air. En préambule au document présentant le Plan de Déplacements Urbains de Grenoble, il est écrit : « Lors de la réunion du comité syndical du SMTC du 7 octobre 1996, il a été décidé de

lancer plusieurs dossiers importants et stratégiques pour l’agglomération, à court et moyen terme : - la seconde phase de l’étude de faisabilité de l’axe est-ouest […] - le lancement de la démarche d’élaboration du nouveau plan de déplacements urbains de l’agglomération grenobloise (PDU). Ainsi même avant la promulgation de la loi sur l’air, les élus du SMTC ont montré leur volonté de réunir tous les efforts pour […] La publication de la loi sur l’air au journal officiel du 30 décembre 1996 a permis, peu de temps après cette délibération du SMTC, d’accélérer la mise en œuvre de la démarche et d’en fixer les délais. » Autrement dit,

des grandes villes s’étaient engagées dans une planification multimodale des déplacements urbains avant la promulgation de la loi sur l’air. Les dispositifs, les orientations et les objectifs de la loi SRU de 2001 étaient-ils déjà en germe dans les PDU consécutifs à la loi sur l’air? « Pour la première fois, la mobilité est […] articulée avec les thématiques

environnementales, … il ne s’agit pas seulement d’augmenter l’usage d’un mode de transport […] mais aussi d’améliorer la qualité urbaine ou la sécurité … » rapportent un groupement

d’experts du GART, du Certu et du CETE de Lyon après avoir compulsé les vingt-sept PDU les plus avancés au milieu de l’an 2000 [GART-Certu 2000-2]. De nombreuses autorités organisatrices des transports urbains reprennent à leur compte les motifs et les orientations du PDU telles que les stipule l’article 28 de la LOTI réécrit par la loi sur l’air. Portons notre

102

Amendement du député François Brotte portant sur l’article 35 de la loi SRU. Source : Rapport de M. Patrick Rimbert au nom de la commission de la production, n° 2229 (tome I : discussion générale et examen des articles ; tome II : tableau comparatif), Assemblée Nationale, Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 mars 2000.

attention aux formulations ou aux orientations qui diffèrent : elles révèlent des préoccupations profondes puisqu’elles ont nécessité un effort intellectuel et des constructions collectives supplémentaires par les acteurs locaux :

• prise en compte de l’environnement (souvent en matière de qualité de l’air, parfois en matière de qualité sonore),

• sécurité routière souvent avec une attention particulière aux usagers les plus vulnérables (piétons, cyclistes, …),

• vie commerciale, et particulièrement celle du centre-ville,

• maîtrise de l’étalement urbain plus souvent décrit comme un moyen d’une politique plus rationnelle de transport que comme un objectif de cette politique,

• amélioration des espaces urbains avec des objectifs de mixité des fonctions (habitat, activités, …), d’attractivité résidentielle et commerciale voire de survie des bourgs, et, de cohésion urbaine (suppression des effets de coupure),

• équité et solidarité sociale très souvent en référence aux transports collectifs et aux quartiers ou aux populations en difficulté et parfois aux personnes à mobilité réduite. On constate que quelques PDU intégraient la préoccupation de cohésion sociale et urbaine avant que la loi SRU ne soit discutée et soumettaient la planification des transports et de la mobilité à cet objectif. L’amélioration des espaces urbains, qui est assez souvent citée, répond à une finalité d’attractivité de nouvelles populations qui, est certes corollaire à la notion de renouvellement urbain, mais qui s’inscrit aussi dans une stratégie générale d’attractivité urbaine et de développement économique local.

A ce propos, le PDU de Grenoble est particulièrement révélateur de l’instrumentalisation du PDU au profit d’une politique plus globale de développement urbain. « Le nouveau PDU de

l’agglomération grenobloise doit permettre à la cité de mettre en cohérence l’amélioration de la qualité de vie urbaine avec la préservation de son environnement naturel exceptionnel et la dynamisation de ses richesses économiques et sociales en proposant un renversement durable des tendances en termes de pratiques de déplacements»103. Il n’est plus question d’un

équilibre entre la protection de l’environnement et le développement économique et social mais de leur mise en cohérence avec la qualité de vie urbaine. Cette mise en perspective de la politique de transport et mobilité préfigure l’adoption généralisée du concept de développement durable. Porté par les milieux écologistes à la fin des années 80, ce concept a conquis l’ensemble des institutions en 2002.

103

SMTC Grenoble, Le plan de déplacements urbains de l’agglomération grenobloise, adopté par le comité syndical le 29 juin 2000, Syndicat Mixte des Transports en Commun, publication 163 pages, téléchargeable sur le site http://www.smtc-grenoble.org/PDU/sommaire.htm

D’une certaine manière, ce concept prend acte positivement de l’ensemble des objectifs qui apparaissaient autrefois contradictoires dans leur mise en œuvre. A travers, l’accessibilité et certaines qualités - telles que la rapidité, le confort, la visibilité - de l’offre de transports, qui préoccupent des acteurs du développement économique, ce sont les notions de liberté de circuler et de droit au transport qui sont mises en avant. L’approche durable du développement intègre plus fortement les impacts environnementaux et sociaux à long terme. A des approches duales de questions de transports, de mobilité et d’aménagement du territoire telles que la liberté de circuler ou le droit au transport, la liberté de déplacement ou la protection de l’environnement, le développement économique ou la cohésion sociale succède une instruction beaucoup plus complexe. Les acteurs décisionnels ont besoin d’apprécier plus systématiquement et consciemment la pertinence de leurs futures décisions par rapport à plusieurs objectifs104 eux-mêmes reconnus comme interdépendants, et ceci, à tous les stades

de la décision : orientations de la politique, adoption des principes des projets et des dispositions, étude de définition et concertation. L’adéquation des moyens aux objectifs, devenus plus nombreux, justifie l’élargissement du recours à l’expertise.

2.6 Tendances et prospective des politiques des transports et de

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