• Aucun résultat trouvé

quelques notions employées par la suite

Chapitre 2 Les objectifs des politiques de transports et de mobilité en milieu urbain

2.1 La liberté de circuler et le droit au transport

2.1.1 La liberté de circuler : le moteur du progrès

En janvier 1964, M. Frybourg rédacteur de la rubrique « Circulation routière » du bulletin P.C.M2 annonce avec gourmandise la primeur de la traduction française du rapport

Buchanan , « …dont il est inutile de souligner l’importance. » précise-t-il. Quarante ans plus tard, le rapport de Colin Buchanan, publié au Royaume-Uni en 1963, apparaît comme le déclencheur d’une politique volontariste d’adaptation3 de la ville à l’automobile en France

comme au Royaume-Uni. La trajectoire professionnelle de C. Buchanan n’est pas sans lien avec le retentissement durable de son rapport : il quitte le Great London Council en 1965 pour fonder un bureau d’études qui s’est rapidement développé4.

Voici quelques extraits du rapport Crowther rédigé pour le ministre des transports par le groupe pilote (maître d’ouvrage de l’étude commandée au groupe d’experts présidé par C. Buchanan) dont la finalité était d’apporter un avis au ministre sur le rapport du groupe d’étude (dit « rapport Buchanan ») et de mettre l’accent sur certaines de ses conclusions :

« Notre groupe pilote fut crée en 1961 à l’occasion de l’étude entreprise par le ministère des transports sur les problèmes à long terme posés par la circulation dans les villes. […] Le groupe pilote a considéré qu’il agirait plus efficacement en ouvrant un débat plutôt qu’en déposant des conclusions, […] et nous avons décidé … d’exposer le problème tel qu’il nous est apparu d’une façon sommaire, dogmatique peut-être, […]. C’est à notre avis la première fois que l’on étudie le problème de la circulation urbaine d’une façon à la fois globale et quantitative. Le rapport associe deux sujets habituellement séparés : l’Urbanisme et la Circulation ».

Ces quelques lignes illustrent la méthode de mobilisation de l’expertise dans la décision publique au Royaume-Uni5. L’innovation du rapport Buchanan tiendrait de l’association des

deux domaines et de deux démarches : l’Urbanisme et la Circulation d’une part, l’approche à la fois globale et quantitative, d’autre part. Il revient aux historiens d’apprécier si la manière d’aborder le problème est novatrice. Pour notre part, considérons le rapport Buchanan comme le point de départ chronologique d’une expertise sur les transports urbains6. M. Frybourg en

souligne l’importance dans le bulletin PCM à destination des lecteurs français.

2 P.C.M. est l’abréviation de Ponts et Chaussées Mines. Cette revue était proche de la haute administration technique de l’Etat français à savoir le corps des Ingénieurs des Ponts et Chaussées (Ministère de l’Equipement) et le corps des ingénieurs des Mines (Ministère de l’Industrie).

3

Il ne s’agit pas d’adapter toute la ville à l’automobile : C. Buchanan ne préconise pas le « tout-automobile » mais une transformation des réseaux viaires de la ville afin de séparer les flux motorisés de la marche à pied.

4

Ce cabinet d’ingénierie-conseil comprenait 70 consultants en 1985 et 85 en 1995 [Baye 1997]. 5

Nous reviendrons longuement sur cette question dans la partie consacrée au système français d’expertise et sa comparaison avec le système britannique.

6

Le groupe chargé du rapport d’étude comprend des spécialistes des transports « transport planner » et des urbanistes « urban planner ». Il se place sur le champ de l’expertise dans une visée prospective.

Le rapport annonce l’avènement inéluctable de l’ère automobile et met en évidence le risque majeur de congestion généralisée en raison de l’inadéquation des villes britanniques à recevoir le flux automobile à long terme. Certains des dispositifs de régulation proposés par C. Buchanan telles l’interdiction d’accès, la réduction du stationnement, la taxation de l’automobile sont considérés comme des restrictions difficilement applicables ou de portée limitée face à l’ampleur du problème. Seul le développement des transports en commun paraît digne d’accompagner, là où l’offre routière ne pourra suffire, le gigantesque effort de transformation des villes pour garantir la fluidité automobile à long terme. Il préconise un nouvel urbanisme marqué par une hiérarchisation du réseau et la création de « zones d’environnement » au sein desquelles le transit ne serait pas possible. Dans les parties historiques des villes, les pénétrantes autoroutières se prolongeraient en souterrain et draineraient un réseau de desserte en surface (et de stationnement), les piétons seraient rejetés sur un rez-de-chaussée artificiel à quelques pieds de hauteur à l’abri des automobiles.

Force est de constater que les principes décrits ci-dessus ont déterminé l’urbanisme français des années 70. La Charte d’Athènes continuait d’inspirer les urbanistes européens. Quelles sont les valeurs sous-tendues et les solutions préconisées ?

En guise de conclusion, le rapporteur Crowther estime que le « problème de la circulation

constitue une menace évidente capable de jeter le trouble au cœur de notre civilisation ».

L’intérêt porté à la voiture particulière révèle sans ambiguïté les projections symboliques de toute une société sur cet objet : « notre bien le plus cher », un « accélérateur de l’existence », l’ « instrument de notre émancipation », le « symbole de l’ère moderne ». Il est aisé de comprendre pourquoi les mesures de régulation de l’automobile décrites dans le rapport Buchanan (restriction du stationnement, restriction de la circulation et taxation de l’usage de l’automobile) sont repoussées pour l’essentiel dans ce même rapport. La liberté de circuler (en voiture particulière) était indissociable de l’idée de progrès. Elle exigeait une adaptation de la ville européenne à l’automobile.

En France, les préoccupations étaient similaires. G. Dupuy a montré que le Ministère des Transports avait mis en place une veille technique sur la politique routière et les techniques de planification américaines dès les années 50 [Dupuy 1975]. Après leur transfert, les méthodologies de modélisation du trafic furent adaptées au contexte français durant les années 60. A cette époque, c’est une formidable machine technico-administrative qui prend son envol pour répondre au défi de la circulation urbaine. La Direction des Routes du Ministère de l’Equipement et le SERC7 qui lui est rattaché ont reçu mission d’assurer

l’adéquation entre l’équipement routier et le parc automobile croissant, en recherchant l’efficacité économique des investissements routiers.

7

Le S.E.R.C. (Service d’Etudes et de Recherches sur la Circulation) a été créé en 1954 au sein de la Direction des Routes.

Les méthodes d’évaluation économique sont mises au point. La doctrine technique routière est renouvelée : les concepts de « voie urbaine » et de « voie rapide urbaine » apparaissent, suscitant la rédaction de circulaires ministérielles et de manuels techniques à la fin des années 60 complétées par des textes sur les aménagements connexes (aire de stationnement, voie 2x2 voies, …) au cours des années 708.

Paradoxalement, les textes de loi sont rares sur la question routière urbaine. La Loi d’Orientation des Transports Intérieurs - que nous décrirons plus loin - n’est promulguée qu’en 1982. Elle abrogea des articles de lois antérieures. L’essentiel des articles abrogés relevait de lois de finances (de 1949, 1950 et 1952) contenant des dispositions diverses qui avaient été adoptées sans débat de fond. On peut supposer que le consensus des acteurs politiques (et à travers eux, celui de la société) sur les principes de la politique routière urbaine était tellement large qu’aucun débat parlementaire ne fut nécessaire dans les années 609.

Il faut attendre le début des années 70 pour que des voix suffisamment influentes s’inquiétent de la politique mise en œuvre10. D’une part, les transports collectifs souffraient d’une

désaffection croissante11 avec la démocratisation de l’automobile, et d’autre part, face à

l’ampleur des coûts d’adaptation de la ville à l’automobile, les transports publics paraissaient à certains experts plus opportuns pour résoudre les problèmes de circulation que des coûteuses et lointaines infrastructures [Dupuy 1975]. A noter qu’au Royaume-Uni, Colin Buchanan avait critiqué dès 1968 la politique d’adaptation de la ville à l’automobile en insistant sur les potentialités trop ignorées des transports publics [Baye 1997-2].

Infléchir la politique d’adaptation de la ville à l’automobile n’était pas une mince affaire car sa mise en œuvre atteignait le plein régime au début des années 70. La machine technico- administrative devenait pleinement efficace grâce à un arsenal cohérent de dispositifs : les schémas directeurs d’aménagement et d’urbanisme fournissaient enfin les chiffres de croissance à long terme dont avait besoin les planificateurs, les enquêtes ménages

8

Les références de ces textes réglementaires se trouvent dans un répertoire édité par le SETRA : Circulation et sécurité routières – répertoire des textes réglementaires et techniques, Ministère de l’Equipement des Transports et du Logement, Décembre 2000.

9

Une autre explication tient au fait qu’avant la décentralisation de 1982, les services du ministère de l’Equipement et les préfets sont les acteurs essentiels de la politique de transports, y compris dans les grandes et moyennes agglomérations, les orientations et dispositions peuvent donc être élaborées par les services centraux du ministère et adressées par décrets ou circulaires aux ingénieurs et techniciens de l’Etat.

10

Le colloque de Tours de 1970 qui réunissait des membres de l’administration centrale du ministère de l’Equipement, des exploitants et des maires de grandes villes de France marque symboliquement la prise de conscience par les autorités d’un nécessaire renouveau des transports collectifs [Offner 1993].

11

Plusieurs transporteurs urbains privés firent faillite dans les années 60. La désaffection des TC était telle que certaines villes françaises s’interrogeaient sur le maintien d’un service de transport public. Ce n’était pas le cas en région parisienne et particulièrement à Paris où la part de marché des TC s’est maintenue au-dessus d’un seuil non négligeable.

permettaient le calage des modèles de trafic. La typologie et les profils de voirie étaient précisément définis par les circulaires du ministère de l’équipement. Les ingénieurs des Ponts et Chaussées disposaient alors d’« arguments rationnels » pour justifier des percées de voies rapides urbaines dans les villes. La capacité de mise en œuvre du ministère de l’Equipement était démultipliée par l’expertise opérationnelle des Centres d’Etudes Techniques de l’Equipement qui pouvaient aussi intervenir auprès des départements et des communes.

Outline

Documents relatifs