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Quand le monde du livre rime avec divertissement

1. (Dé)territorialisation et (dés)institutionnalisation du livre et de la lecture

2. Corps lisant et mise en scène du livre

2.3. Quand le monde du livre rime avec divertissement

D’autres indices permettent d’analyser un dispositif fondé sur le caractère divertissant de la littérature et plus largement du monde du livre en général. Dans cette optique et en vue d’opérer l’articulation entre ce qui peut paraître une contrainte (la lecture) et le loisir, c’est la dimension ludique et participative qui semble la plus prisée. Par exemple, en 2008, des conteurs vêtus de costumes bigarrés déambulent sous l’arc Héré et s’adonnent à des lectures publiques plusieurs fois par jour. Dans le même ordre d’idée, les visiteurs – et pour certains de « simples » passants – croisent le chemin d’une femme, toute de bleu vêtue, qui leur tend ostensiblement une canne à pêche au bout de laquelle est suspendu un autographe de l’auteur fictif Jean Sommeil (voir supra). Le but est évidemment d’essayer d’attraper l’autographe, d’autant plus précieux qu’il est réalisé par un auteur peu disponible pour les dédicaces puisque somnolent.

2.3.1. Conjuguer littérature et nature

Autre exemple, le service des parcs et jardins de la ville de Nancy a réalisé en 2009 et pour la

cinquième année consécutive le « jardin éphémère »1 situé à l’entrée du chapiteau2. Un

parterre floral, qui mène le visiteur jusqu’à l’entrée du salon, fait figure de fil d’Ariane et construit un imaginaire particulier autour du livre et de la lecture.

1 Le « jardin éphémère » de 2008 a été conçu par les architectes Agnès Hausermann et Natacha Delannoy. On notera que cette réalisation ornementale n’a aucun lien avec le thème de l’édition.

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Le « jardin éphémère » du Livre sur la Place reprend une forme connue des Nancéiens : les jardins éphémères annuels (de fin septembre à début novembre) sur la place Stanislas. Réalisés par les services « parcs et jardins » de la ville, les jardins sont des parterres floraux qui occupent l’ensemble de la place Stanislas. Depuis 2004, un thème est défini : jardins japonais en 2008, « Majorelle et la poésie végétale » en 2009, « la Lorraine au fil de l’Onde » en 2010.

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Photographie 22 : Livre sur la Place. 2008. « Jardin éphémère ». © Adeline Clerc, 2008.

Photographie 23 : Livre sur la Place. 2009. « Jardin éphémère » conduisant à l’entrée du chapiteau sur la place de la Carrière.

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Photographie 24 : Livre sur la Place. 2009. « La roue à aube ». Dispositif participatif invitant à « tourner la manivelle » pour actionner la roue et créer un courant d’eau dans le labyrinthe.

© Adeline Clerc, 2009.

Imaginé autour du thème de l’eau, le jardin 2009 est composé

d’« îlots invitant le visiteur à s’arrêter et à faire vivre les bassins sous différentes formes d’interaction. […] Des manipulations simples vont permettre de mettre en vie ce jardin. Les plus petits comme les plus grands seront partie prenante de l’installation et invités à créer eux-mêmes la pluie, le vent, les bouillonnements ou le courant du torrent. […] Par le jeu entre masse végétale, volumes abrités et bassins en eau, le jardin proposera un parcours aux multiples orientations qui conduira d'événements littéraires en jeux d'eau et de lectures végétales en reflets mouvants » (dossier de presse du Livre sur la Place, 2009).

Le thème de la nature associé à la lecture est récurrent et régulièrement réinvesti dans l’aménagement spatial des manifestations littéraires. Celle de Chanceaux-près-Loches en Touraine, intitulée « Forêt des livres », et organisée par Gonzague Saint-Bris tous les derniers week-ends d’août, en est un exemple particulièrement éclairant. En effet, chaque année, près de 150 auteurs y dédicacent leurs livres à l’ombre d’une allée d’arbres âgés de plus de cent ans. Les topoï de la nature et de l’évasion, associés à la littérature, ne sont pas sans rappeler

les représentations de l’écrivain romantique tel qu’il est dépeint dans la littérature du XIXe

siècle. En quête de solitude et d’inspiration, ce dernier trouve en la nature un refuge et un moyen de s’accomplir. Les écrits de cette époque sont d’ailleurs empreints de symboles, de

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personnifications et de prosopopées impliquant les éléments naturels. Ce n’est donc pas un hasard si la scénographie des salons du livre se nourrit, aujourd’hui encore, de cette imagerie en vue de créer un univers où le livre, l’imagination, la détente et la nature se confondent pour ne faire plus qu’un.

2.3.2. Le livre, un objet de médiation ludique

L’ouverture au plus grand nombre passe donc par une approche participative qui tend à modifier le format de certaines œuvres littéraires (la lecture à voix haute d’œuvres « classiques » par des acteurs ou par des auteurs en est un exemple) afin que leur diffusion et leur réception soient plus aisées et plus rapides. En somme, le livre, entendu comme objet de médiation ludique et distrayante (Dumazedier, 1962, 1966), a donné lieu à de nombreuses initiatives, associations d’objets et situations quotidiennes. Cependant, la participation du visiteur n’est pas chose récente. Depuis les premières éditions du Livre sur la Place, il fait régulièrement l’objet de sollicitations diverses. Quelques exemples patents ponctuent ces trente dernières années. En 1981, soit deux ans après la première édition, un «

rallye-lecture »1 est organisé. Dans la même optique, en 1998, est créé en partenariat avec le lycée

Poincaré à Nancy un quiz littéraire appelé « En passant par la Lorraine ». Le principe est simple : il suffit de récolter des indices dispersés sur les stands des auteurs et sur le site internet du lycée puis de répondre à des questions portant sur le salon, ses origines, sa configuration, sur la littérature en général et enfin sur la région Lorraine. En ce cas, le quiz est un mode particulier d’appropriation de la culture reposant sur la fonction ludique. En 2008, c’est un dérivé du crossbooking qui fait son entrée au Livre sur la Place. À l’initiative du jeune collectif « L’art Sain » qui souhaite « faire descendre l’art dans la rue » (L’Est

Républicain, 20 septembre 2008), le principe du « passe-livre »2 repose sur l’idée que le livre est un objet partageable, circulant, mais aussi et surtout un objet de médiation. Un dernier

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Le « rallye-lecture » a été mis en place par Nicole Granger, fondatrice de l’association « Lecturique » à Nancy. Pour répondre aux questions, les joueurs devaient trouver des indices dispersés dans différents lieux symboliques de la ville. L’objectif n’était pas seulement d’inviter à la lecture, mais aussi de faire (re)découvrir la cité ducale.

2 Il s’agit de cacher un livre – de préférence que l’on a aimé – dans un lieu public, puis d’organiser une « chasse au livre » pour que de futurs lecteurs intéressés puissent le retrouver, le lire et enfin le cacher à nouveau. Un site internet recense l’ensemble des livres « cachés ». Accès : www.bookcrossing.com, consulté le 28/08/10. Pour plus d’informations sur ce sujet, lire l’article « Nouveaux formats et pratiques littéraires : le bookcrossing, ou comment trouver l’équilibre entre objet-livre et nouvelles technologies » de Y. Brultey (2010 : 251-264) et celui de C. Duteille (2006, 2008).

129 exemple, plus récent, montre que la participation du public ne se limite pas à l’espace où se déroule l’événement. En effet, depuis 2009, plusieurs activités autour du livre (lecture de conte, saynètes...) sont organisées dans le hall d’une galerie marchande nancéienne très connue. Il s’agit du centre « Saint-Sébastien », autrement dit le lieu marchand du centre ville. Dans l’optique de « réenchanter les lieux de consommation » (Greffe 2002), ces formes culturelles attestent leur caractère trivial, i.e. circulant. Dans tous les cas, ces différents dispositifs génèrent le commentaire et la surprise de la part des visiteurs. Ils engagent certaines formes de sociabilité et de convivialité, tel ce petit rassemblement, autour d’un banc :

Photographie 25 : Livre sur la Place. 2010. Petit rassemblement autour d’un banc. Une femme debout tient un livre dans sa main. Celle qui est assise, en feuillette un autre.

© Adeline Clerc, 2010.

De plus en plus souvent, le livre est au cœur d’un dispositif participatif dans lequel la figure du lecteur est émancipée. Dans tous les cas cités précédemment, l’objectif est triple : décloisonner les livres, les genres et investir des lieux jugés jusque-là insolites, voire illégitimes car exclus des lieux institutionnels (premier temps du processus de territorialisation) ; associer le livre et la pratique de la lecture au divertissement en les

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convertissant en des formes ludiques et de spectacularisation (à l’image de cet enfant qui joue sur une lettre géante disposée à l’entrée du chapiteau) ; enfin, susciter la participation du visiteur.

Photographie 26 : Livre sur la Place. 2010. Un enfant joue sur la lettre « H ». © Adeline Clerc, 2010.

En créant un espace de rassemblement physique et en regroupant diverses actions dans un même lieu – entendues comme autant de dispositifs de médiation –, les organisateurs recherchent la mise en contact du livre et de la lecture avec le public et la construction d’un lieu de vie. La foule, le bruit, la chaleur, l’effervescence – propriétés propres aux rassemblements collectifs tels que les foires par exemple – donnent l’impression aux visiteurs de partager un moment « vrai » et « vivant » avec leurs proches.