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Évolutions et héritages des manifestations littéraires

1. Questions de définitions

1.3. Ce qu’en disent les chartes

1.3. Ce qu’en disent les chartes

C’est dire que ce n’est pas du côté des professionnels, pourtant les premiers concernés, que nous puiserons des définitions claires et communément partagées. Les entretiens menés auprès de trois professionnels ont le mérite de nous éclairer sur les problèmes terminologiques que posent ces mots au sein même de la profession. En résumé, la nomenclature n’est pas établie et les barrières entre les termes étudiés ne sont pas définies. Malgré tout, un point semble obtenir l’assentiment collectif : le Livre sur la Place est considéré comme un salon du

1 S’ajoute à cela le fait que certains salons professionnels internationaux sont communément appelés « foire » : « foire du livre de Francfort » (1949), traduction de « Frankfurter Buchmesse », « foire du livre de Londres » (1971), traduction de « London Book Fair ». Il est probable que le terme de « foire » en français, dont la définition usuelle comporte une acception dépréciative, c’est-à-dire faisant état d’un lieu bruyant et désordonné, se soit vu préférer le terme plus neutre – sans pour autant faire l’objet d’un consensus – qu’est celui de « salon ». C’est sans doute pour cette raison que les chartes déontologiques rédigées par les Centres régionaux du livre – ayant pour but de définir ce que sont les « manifestations littéraires » et de les codifier – n’emploient jamais le terme de « foire ».

71 livre, au sens où il repose sur un projet professionnel au sein duquel la rencontre et la

discussion avec l’auteur sont primordiales. Par conséquent, la coprésence1 est un élément

majeur qui sera repris par l’ensemble des chartes rédigées par les CRL de France. Ces dernières – sorte de code déontologique à destination des organisateurs de manifestations littéraires – expliquent en quelques points ce que doivent recouvrir les événements fondés sur la rencontre entre des écrivains et un public. Ainsi peut-on lire dans la charte lorraine des manifestations littéraires : « Une manifestation littéraire a ceci de particulier qu’elle intègre en un temps donné, celui de l’événementiel, l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre et, tout à

la fois, offre l’opportunité idéale du contact direct entre l’auteur et son lecteur »2. À la lecture

des différentes chartes régionales, c’est l’expression même de « manifestation littéraire » qui est interrogée, bien plus que celles, plus spécifiques, de « salons », de « fêtes » ou de « foires ». Ainsi, pour celles des régions Lorraine et Aquitaine, s’agit-il d’expliquer ce qu’est une « manifestation littéraire » à proprement parler. La région Auvergne s’adresse aux organisateurs de « fêtes du livre », quant à la Bourgogne, elle se donne pour objectif d’établir la marche à suivre pour organiser une « manifestation qui tourne autour de l’objet livre », et plus particulièrement des « salons et des fêtes du livre ». Enfin, la Haute-Normandie et la

région Rhône-Alpes3 proposent une charte des « manifestations de promotion du livre ».

Aucune charte nationale n’a pour le moment été rédigée, confirmant de surcroît la difficulté d’une entente unanime sur les principes de fonctionnement propres à ce type d’action culturelle.

Toutefois, certaines propriétés semblent être inaltérables ; elles constituent les conditions nécessaires à l’obtention d’une subvention demandée auprès de la Région ou du CNL. Le cahier des charges rédigé par la Région Lorraine en fait la liste. Il décline les objectifs qu’un événement littéraire doit remplir :

1 Rappelons que sous le terme « manifestation » (qui se manifeste, qui a lieu) sont entendus à la fois la dimension événementielle et le critère de coprésence physique d’acteurs.

2 Dans le cadre de l’enquête, nous avons eu la chance de faire partie du groupe de travail en charge de l’élaboration de cette charte. Ce groupe de travail, piloté par l’ancienne directrice du CRL de Lorraine, Aurélie Marand, comprend plusieurs organisateurs de manifestations littéraires de la région. Les réunions se sont déroulées au printemps 2008.

3 Charte Rhône-Alpes (1999). Accès : www.arald.org/charte.php, Bourgogne (2001). Accès : www.livreaucentre.fr/img/fivhier/15_mem6.pdf, Haute-Normandie (2008). Accès : www.arl_haute_normandie.fr/Agenda-Pour-une-charte-des-manifestations-de-promotion-du-livre-690.htm?recherche2=arl, Auvergne (1995), Accès : www.letransfo.fr, Midi-Pyrénées (2005). Accès : www.crl.midipyrenees.fr, Aquitaine. Accès : www.arpel.aquitaine.fr, Lorraine (2009). Accès : www.lorraine.eu/livre.fr.

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« Les manifestations littéraires ont pour but de rendre le livre vivant par la présence d’auteurs, par la rencontre des professionnels du livre avec le public, de créer du lien autour du livre en impliquant différents acteurs et associations, en favorisant les échanges, de dynamiser le territoire et de contribuer par là-même à la vie culturelle, sociale et économique d’un espace. Les manifestations ponctuelles sont complémentaires d’une action menée à l’année et en ce sens s’inscrivent pleinement dans la chaîne du livre au même titre que les auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires… »1.

Les salons du livre s’inscrivent donc dans un projet de politique culturelle fondé sur la mise en réseau d’acteurs, principalement locaux. Ainsi, pour obtenir une subvention de la part de la Région, faut-il encore que le projet déposé respecte la chaîne du livre (présence des éditeurs, rencontres avec des auteurs et vente par des libraires), qu’il réserve une communication similaire quelle que soit la notoriété des auteurs (édités en région ou dits « nationaux »), qu’il favorise les savoir-faire régionaux et enfin sollicite un large public. Pour cela, la gratuité de la manifestation est recommandée, l’attention portée sur les jeunes publics, sur les publics dits « empêchés », est préconisée, et les rencontres en dehors du lieu central de l’événement sont fortement encouragées.

1.4. « C’est quoi un salon du livre ? », la parole est donnée aux visiteurs

Au vu des difficultés rencontrées par les organisateurs à distinguer le salon de la fête, de la foire et du festival du livre, il nous a paru intéressant de demander aux visiteurs de définir en quelques mots ce que représente à leurs yeux le Livre sur la Place. Au même titre que les organisateurs interrogés à ce sujet, nous constatons que les publics des manifestations littéraires rencontrent eux aussi des difficultés d’ordre définitionnel, preuve en est les fréquents silences et hésitations qui précèdent les réponses. Certains, estimant la question trop ardue, n’hésitent pas à l’exprimer ouvertement : « C’est difficile comme question » (entretien, homme, 16 ans, 18/09/09), « C’est dur comme question » (homme, 34 ans, 18/09/09), d’autres iront jusqu’à préférer ne pas y répondre : « J’avoue que là je n’ai pas de réponse » (homme 60 ans, 18/09/09), « C’est difficile. Je suis à court d’idées, je ne sais pas » (femme, 40 ans,

1 Site du Conseil régional de Lorraine. Accès : http://www.lorraine.eu/jahia/webdav/site/e-internet/shared/documents/Lien_social/culture/Politique_du_livre/2010/ri_livre_manifestations_litteraires_2010. pdf, consulté le 31/05/2010.

73 19/09/09). Quant à ceux qui ont répondu, soulignons un fait saillant : seules onze personnes sur quarante ont défini le Livre sur la Place par la catégorie culturelle ou le genre culturel auquel il appartient ou serait susceptible d’appartenir (manifestation littéraire, salon du livre, fête du livre). Trois d’entre elles décrivent le Livre sur la Place comme étant « un salon du livre », quatre comme un « salon littéraire », deux comme une « manifestation littéraire », une comme « une manifestation autour du livre, des œuvres littéraires » et une dernière parle de

« manifestation culturelle incontournable »1. L’extrême variété de ces réponses confirme le

caractère mouvant et hybride de cet événement.

Plus largement, le Livre sur la Place est défini à partir du sentiment éprouvé par les visiteurs lorsqu’ils se rendent sur les lieux de l’événement, à l’instar de ces quelques exemples : « Un lieu zen à l’odeur du papier » (entretien, femme, 36 ans, 18/09/09), « un bon moment » (entretien, femme, 47 ans, 18/09/09), « c’est un petit moment particulier. Un moment de détente » (femme, 32 ans, 18/09/09). On notera également la forte propension à assimiler le Livre sur la Place à l’idée d’une rencontre : « Des rencontres avec des auteurs, des échanges » (homme, 37 ans, 18/09/09) ; « une rencontre plutôt sympathique, plutôt joviale » (femme, 38 ans, 18/09/09) ; « ça peut être une rencontre intéressante » (homme, 60 ans, 18/09/09) ; « c’est une rencontre entre des gens, des bons moments à passer » (femme, 28 ans, 19/09/09) ; « je dirais une rencontre entre le lecteur et l’auteur » (homme, 16 ans, 18/09/09). Ainsi la manifestation littéraire est-elle avant tout désignée par l’action principale qu’elle occasionne : la rencontre avec des écrivains. Dans une moindre proportion (quatre interrogés sur quarante), c’est l’effet de concentration qui devient significatif et signifiant. Tour à tour qualifié d’« immense » ou de « grande » bibliothèque (femmes, 62 et 70 ans, 19/09/09), de « librairie géante » (homme, 34 ans, 18/09/09), de « marché aux livres, un marché à l’envie de lire plutôt » (femme, 43 ans, 19/09/09) ou encore de « grande foire aux livres » (homme, 60

ans, 19/09/09)2, le Livre sur la Place est ici défini par le nombre de livres – les superlatifs sont

légion – qu’il permet de réunir dans un temps et un lieu donné, mais aussi par la concentration de personnes (écrivains et publics) qu’il occasionne. Alors que les professionnels du livre s’attachent à donner des définitions qui se veulent communément partagées mais ne sont

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À noter que parmi ces onze personnes interrogées, figurent trois bibliothécaires, une avocate, un chargé d’étude, une inspectrice de l’Éducation nationale et une doctorante, soit autant de professions intermédiaires et de cadres supérieurs qui justifient, sans doute, le fait que ces personnes connaissent davantage la terminologie appropriée et aient un avis plus tranché sur la question.

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paradoxalement pas arrêtées, les visiteurs ont fait le choix, quant à eux, de passer par la traduction de leurs émotions, raison pour laquelle les définitions sont si hétérogènes. Nous

verrons ultérieurement que la variété des réponses est corrélative à celle des pratiques1.