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La part belle aux acteurs de la rencontre (2009-2010)

6. Une méthodologie en deux temps

6.2. La part belle aux acteurs de la rencontre (2009-2010)

Une fois ces données recueillies, nous nous sommes intéressée aux visiteurs et aux écrivains qui fréquentent le Livre sur la Place et y participent. C’est la raison pour laquelle les deux principaux acteurs de la rencontre occupent une place de choix dans ce deuxième temps de l’enquête.

Présente à L’Été du Livre – le salon du livre de Metz4 – les 5 et 6 juin 2009 et sachant que la

plupart des écrivains présents participent également à celui de Nancy en septembre, nous avons jugé opportun de profiter de cet événement pour solliciter les auteurs. Nous avons pu programmer, de juin à juillet 2009, sept entretiens avec des auteurs participant à la fois aux salons de Metz et de Nancy. Il s’agit de Patrick-Serge Boutsindi, Muriel Carminati, Florence Lhote, Yasmina Khadra – lequel est sans doute l’écrivain le plus populaire des sept –, Steve

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Pour se rendre sous le chapiteau, le public doit passer sous l’arc Héré, lequel sépare la place Stanislas de la place de la Carrière – là où se tient le salon. De cet arc à l’entrée du chapiteau, de nombreuses animations théâtrales, musicales, littéraires, ainsi qu’une mise en scène florale sont proposées aux visiteurs (voir le chapitre 2).

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Le Livre sur la Place est le lieu où sont décernés entre trois et quatre prix littéraires par an. Nous avons pu assister à deux reprises à celle de la Bourse Goncourt de la biographie (éditions de 2008 et de 2009), à celle de la Feuille d’or le 20 septembre 2008 et enfin à la cérémonie de remise du prix Stanislas le 21 septembre 2008. Le lecteur trouvera une étude plus approfondie de cette croissance des prix littéraires dans le chapitre 8. Nous y proposons notamment l’analyse du prix des lecteurs remis en 2009 à P. Claudel pour son livre Les Âmes grises (Paris, Éd. Stock, 2003) lequel a été couronné « meilleur roman de ces trente dernières années ».

3 Nous étions présente aux discours d’inauguration des éditions 2008 et 2009.

4 Créé en 1987, L’Été du Livre se déroule, au même titre que le Livre sur la Place, sur la place centrale de la ville et sous un chapiteau.

53 Rosa, Pierre Hanot et Maud Lethielleux. Sept autres écrivains ont également été interrogés de mai 2009 à juin 2010 et ont été contactés pour des raisons plus particulières. Bernard Appel a été sollicité parce qu’il est un auteur autoédité – particularité qui conduit à s’interroger sur la place qu’occupe l’autoédition au salon et au sein du monde du livre –, Guy Untereiner comme illustrateur, Vincent Boly parce qu’il rencontre des difficultés à obtenir une place au salon de Nancy, Maryvonne Miquel – épouse de l’écrivain-historien Pierre Miquel et elle-même auteur – parce qu’elle fréquente, depuis ses origines, le Livre sur la Place, Henriette Bernier considérant qu’elle jouit d’une importante renommée dans la région, Philippe Claudel parce qu’il ne fréquente aucun autre salon que celui de Nancy et enfin Gilles Laporte, puisqu’il assure avoir participé à la première édition du Livre sur la Place, non en 1979, mais en 1978.

Quatorze écrivains1 ont donc été amenés à répondre à une quinzaine de questions portant sur

les raisons de leur présence au Livre sur la Place, sur la manière dont ils vivent la rencontre avec les visiteurs, sur la pratique de la dédicace, mais aussi sur leur participation à d’autres activités paralittéraires, telles que les lectures publiques, les rencontres en librairie, les interventions en milieu scolaire... Il faut rappeler que la plupart des écrivains que nous avons interrogés bénéficient d’une reconnaissance relative, c’est-à-dire qu’ils sont connus dans leur région et très peu à l’extérieur. Ce choix est délibéré dans la mesure où nous voulons comprendre le rôle que jouent les salons du livre dans la construction de l’écrivain. En effet, nous supposons que la participation à des salons du livre n’est pas vécue de la même façon par un auteur de renommée internationale que par un écrivain nouvellement publié. Il ne fait aucun doute que l’enquête aurait été tout autre dans la mesure où seuls des auteurs de reconnaissance nationale auraient été interrogés. Toutefois, nous avons été surprise de voir combien les réponses de Yasmina Khadra ou de Philippe Claudel pouvaient être similaires à celles de Vincent Boly ou de Patrick-Serge Boutsindi. Dans les deux cas, la teneur des

entretiens est loin d’être celle des interviews réalisées par Nathalie Heinich(2000) et Bernard

Lahire (2006). Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point.

Au-delà des données qualitatives qui les caractérisent, ces entretiens sont traduits d’un point de vue statistique et sont un élément d’illustration de nos propos. Précisons que les six entretiens d’écrivains réalisés en 2008 lors de notre enquête exploratoire ne seront pas

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intégrés à ces données chiffrées. En effet, ces derniers n’ayant pas été administrés dans les mêmes conditions, il nous était difficile de les inclure dans un échantillon unique. Ils feront l’objet de mobilisations plus ponctuelles, mais enrichiront néanmoins la recherche.

Une fois la parole donnée aux écrivains, l’étude s’est portée sur les publics du Livre sur la Place à partir d’une série d’entretiens semi-directifs conduits sur les lieux de l’événement les

18 et 19 septembre 20091. L’objectif était de dépasser la stricte enquête de fréquentation et de

comprendre de quelle manière les visiteurs vivaient cette manifestation littéraire. Quarante personnes ont ainsi été interrogées de manière accidentelle à la sortie du salon. Celles-ci ont été invitées à répondre à une vingtaine de questions portant essentiellement sur leur pratique des manifestations littéraires : pour quelles raisons vous rendez-vous au Livre sur la Place ? Avez-vous discuté avec un écrivain ? Quel fut le sujet de discussion ? Avez-vous fait dédicacer votre livre ? Cet échantillon comprend 23 femmes et 17 hommes. Les répondants sont âgés de 16 à 73 ans, 61,5 % d’entre eux habitent dans le Grand Nancy (dont 75 % à Nancy même), 7 résident à Metz et une femme vient de Perth (Australie). 52,5 % d’entre eux occupent un statut professionnel élevé (10 cadres et 11 professions intermédiaires) et 12,5 % sont employés. On notera également le nombre conséquent de retraités (9 au total, dont 4 de l’Éducation nationale). À travers ces deux types d’entretien réalisés auprès d’écrivains et de publics, nous avons pu mettre à jour l’importance du salon comme lieu où se joue, et s’exacerbe, un rapport très particulier à l’auteur et au lecteur. En effet, la rencontre physique constitue un moment clé au cours duquel la figure de l’écrivain et celle du lecteur sont « mises à l’épreuve » pour reprendre une expression de Nathalie Heinich (1999). De cette confrontation résulte un certain nombre d’implications à la fois culturelles, sociales, humaines et symboliques que nous tenterons d’éclairer.

Le deuxième temps de la recherche fut également consacré à la conduite d’entretiens auprès des représentants de différentes institutions culturelles et littéraires. La chef du bureau « vie littéraire » au Centre national du livre (CNL) à Paris, ainsi que Jacques Deville, Conseiller

1 Parmi ces quarante entretiens, nous avons inclus les deux réalisés aux mois de mai et juin 2009 et qui ont servi de tests à notre trame d’entretien. Tous les entretiens n’ont pas été retranscrits en annexes. Le choix opéré a été déterminé par un souci de pertinence. En effet, la durée de ces entretiens étant, pour la plupart, très courte (entre sept et vingt minutes), ils sont nombreux à être redondants et par conséquent la totalité de leur retranscription s’avère peu opérante. Les entretiens sélectionnés sont donc ceux qui nous ont permis de répondre à notre problématique et dont nous avons extrait un certain nombre de citations. Voir annexe 6.

55 « Livre et Lecture » à la DRAC Lorraine, ont été interrogés sur la politique culturelle régionale et nationale en matière de livres, de lecture et de manifestations littéraires. L’objectif initial de ces deux entretiens, conduits pour le premier le 21 décembre 2009 et le second le 2 février 2010, était d’apporter un point de vue extérieur sur les manifestations littéraires et plus spécifiquement sur le Livre sur la Place (voir annexe 7.2). Ainsi avons-nous pu attester l’idée selon laquelle le salon du livre de Nancy, et plus généralement les salons en France, étaient fondés sur un monde relativement clivé, mais dont l’image véhiculée est volontairement consensuelle et harmonieuse. Dans cette même optique qui consiste à apporter un démenti aux discours communs et/ou officiels, il nous a semblé intéressant de recueillir les propos de Jean-Bernard Doumène, Président de l’association des libraires « Lire à Nancy » et intermédiaire entre les librairies nancéiennes et la ville de Nancy. Rencontré le 14 avril 2010, Jean-Bernard Doumène a ainsi ouvertement expliqué ce qu’un tel événement littéraire représentait pour une petite librairie indépendante, telle que la sienne, en termes de retombées médiatiques et surtout économiques. Cet entretien (voir annexe 8.1) apporte un regard nouveau et explicite sur le Livre sur la Place. Ce dernier n’est pas seulement perçu comme un événement culturel favorisant la rencontre entre un public, souhaité large, et les livres, mais comme une manifestation générant un chiffre d’affaires salvateur pour les libraires, surtout dans la période creuse située entre la rentrée et les fêtes de fin d’année.

L’objet principal étant le Livre sur la Place, ses propriétés et ses implications, l’étude d’autres manifestations littéraires aurait augmenté les problèmes déjà considérables d’organisation des données. Pourtant, cette étude n’aurait pu aboutir sans une série d’observations menées au sein d’autres manifestations littéraires. Pendant ces trois années, nous nous sommes intéressée

aux événements suivants : le Salon du livre de Paris1, l’Été du Livre à Metz, les Imaginales à

Épinal2, le Salon du livre de Colmar3, et enfin celui consacré aux auteurs lorrains à Laxou4.

1 Créé en 1981, le Salon du Livre de Paris a lieu tous les ans au mois de mars Porte de Versailles. Il est aussi considéré comme un salon professionnel au cours duquel éditeurs et attachés de presse négocient les prochaines publications.

2 Également appelé festival des mondes imaginaires, les Imaginales ont lieu tous les ans au mois de mai depuis 2001. Le festival accueille des auteurs de livres fantastiques, de science-fiction et de fantasy. C’est le seul salon du livre en France à proposer cette thématique.

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Créé en 1990, le Salon du livre de Colmar a lieu tous les ans au mois de novembre. Les auteurs, tous genres confondus, sont réunis dans le parc des expositions de la ville. En cela, le dispositif matériel se rapproche étroitement de celui de Paris.

4 Une trentaine d’auteurs lorrains – dont un certain nombre sont autoédités ou à comptes d’auteur – se sont réunis au château de madame de Graffigny à Laxou le 28 mars 2010. Ce salon lorrain existe depuis quatre ans.

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Bien que le terrain primaire de notre recherche soit le Livre sur la Place, ces différentes formes d’événements ont fait l’objet d’observations et d’analyses ponctuelles, lesquelles serviront à mettre en perspective quelques points de notre recherche. Ainsi faudra-t-il considérer que la problématique, la méthodologie et certains des résultats construits à partir du Livre sur la Place sont transposables et réutilisables à d’autres formes événementielles liées au livre et impliquant la présence de l’écrivain.

Enfin, il aurait été regrettable, alors que nous avions interrogé l’écrivain Yasmina Khadra, de ne pas profiter de sa venue à Nancy le 6 avril 2010 pour une rencontre littéraire à la librairie « L’Autre Rive ». Celle-ci a donc fait l’objet d’une étude et a fourni quelques éléments comparatifs permettant de poser les premiers jalons d’une étude comparative entre la nature de la médiation telle qu’elle se réalise en salon et telle qu’elle se réalise en librairie. Plus précisément, c’est l’observation du déroulement de la rencontre, l’analyse du jeu des questions-réponses auquel s’est plié l’auteur, et la conduite d’une série d’entretiens

semi-directifs auprès de six personnes venues assister à ladite rencontre1 qui nourriront les

réflexions consacrées aux différents dispositifs de médiation. Les lecteurs interrogés ont été amenés à répondre à une dizaine de questions portant sur ce qu’ils avaient pensé de cet événement littéraire, s’il correspondait à leur attente et si eux-mêmes participaient à d’autres

activités paralittéraires2.

Cette méthodologie décomposée en deux temps a pour objectif d’embrasser les différentes facettes du dispositif et les manières de fréquenter, de percevoir et de pratiquer le Livre sur la Place. Si les facettes sont si nombreuses, c’est en partie le fait du caractère hybride du dispositif (interrelations multiples entre les mondes et les acteurs). En effet, l’hybridité sur laquelle il repose le rend particulièrement difficile à étudier parce qu’elle fait de lui un objet de recherche erratique et hétérogène. Par conséquent, il est impossible de le saisir sous un seul angle tant ses articulations sont mouvantes. Il faut donc, dans la mesure du possible, sortir d’une optique soit totalisante, soit fragmentaire pour conserver sa pluralité. Toute la difficulté

1 Sauf mention contraire, ces six entretiens ne seront pas intégrés dans l’échantillon de visiteurs interrogés en 2009.

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consiste ensuite à articuler1 l’ensemble de ces angles pour extraire les tenants et aboutissants

d’une rencontre physique entre un visiteur et un écrivain et dans laquelle se dessinent, en creux, des questions d’identité, de statut, de sociabilité, bref une représentation particulière du monde du livre.

Nous souhaitons clore cette introduction générale en précisant que la particularité de notre parcours universitaire n’est pas sans lien avec l’objet de recherche et la façon dont nous allons le traiter. Une double formation en Lettres et en sciences de l’information et de la communication justifie notre intérêt pour le livre, la littérature et la lecture, et explique que ceux-ci soient entendus non comme le corpus de « grands textes », à l’entité textuelle close, mais comme objets, pratiques et constructions matérielles, sociales et symboliques. Nous privilégierons donc une approche croisée entre ces deux disciplines, dont Serge Bouchardon

et Oriane Deseilligny (2010)2 rappellent le caractère poreux de leurs frontières et la richesse

de leur articulation3. Ainsi aurons-nous l’occasion de nous référer aux travaux relatifs aux

sciences de l’information et de la communication, à la sémiotique, à la sociologie de la lecture et à l’histoire du livre afin de comprendre de quelle manière se structurent les relations entre auteurs, lecteurs, libraires, scolaires... et en quoi cela renseigne sur le monde du livre contemporain : place de la lecture et du livre, statuts et rôles des lecteurs, des écrivains, des libraires... En outre, précisons que cette recherche s’inscrit dans la continuité d’un travail de mémoire de Master 2 consacré à un autre dispositif de médiation : les villages du livre (Clerc, 2008 ; 2010a). Enfin, à l’instar de Howard S. Becker qui est un pianiste de jazz, nous sommes

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En cela, on retrouve les propos tenus par M. Foucault (1994: 65) lorsqu’il souligne l’importancede « la nature du lien qui peut exister entre les différents éléments hétérogènes » composant le dispositif.

2 « Pour étudier les rapports entre SIC et études littéraires, nous proposons une analyse fondée sur le travail des concepts d'une discipline à l'autre, mais aussi sur la manière dont les deux disciplines se saisissent – en écho, en complémentarité ou en rupture – d'objets scientifiques et les construisent. Nous analysons ainsi comment certains concepts communs aux deux disciplines circulent, sont travaillés voire transformés dans chacune d'entre elles. Nous nous penchons ensuite sur l’apport d’une approche SIC aux objets littéraires » (Bouchardon, Deseilligny, 17e congrès de la SFSIC, Dijon, 2010).

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Un exemple probant de cette articulation est la journée d’étude « l’idée de littérature à travers les médias et les médiations » qui a eu lieu le 21/03/11 dans le cadre du réseau « Littérature et communication » et de l'ANR HIDIL (Histoire de l'idée de littérature). Organisée par le GRIPIC (CELSA Paris-Sorbonne) et le RIRRA 21 (Montpellier 3), elle regroupe des communications de chercheurs qui abordent la littérature au prisme des sciences de l’information et de la communication.

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convaincue que notre passion pour la lecture aura joué une part importante dans la conduite et l’aboutissement de cette recherche.

Sans plus attendre, entamons l’étude du Livre sur la Place comme transposition du monde du livre ce, en analysant la genèse des manifestations littéraires en France et la représentation du livre et de la lecture en salon.

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PARTIE I