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Un public fidèle et familier du monde du livre

Quels publics pour quelles pratiques ?

2. Caractéristiques communes à l’échantillon de visiteurs

2.2. Un public fidèle et familier du monde du livre

Tableau 7. Fréquentation des bibliothèques et des médiathèques. Enquête 2008.

Nombre de réponses Pourcentages Non 77 42,8 % Oui, occasionnellement 33 18,3 % Oui, de manière fréquente 70 38,9 % Total 180 100 %

Tableau 8. Fréquentation des librairies. Enquête 2008.

Nombre de réponses Pourcentages Non 24 13,3 % Oui, occasionnellement 49 27,2 % Oui de manière fréquente 107 59,4 % Total 180 100 %

On l’a vu, le discours dont est investi le Livre sur la Place laisse penser que le livre n’est plus consigné dans des espaces qui lui étaient destinés habituellement, à savoir les bibliothèques et les librairies. Conformément à ce discours, il serait alors tout à fait justifié de supposer que les personnes qui fréquentent cette manifestation publique ne sont pas des usagers familiers des bibliothèques et/ou des librairies. Or l’enquête de fréquentation réalisée en septembre 2008

149 révèle que 57,2 % des personnes interrogées fréquentent au moins une bibliothèque de manière occasionnelle ou régulière, 59,4 % d’entre elles déclarent fréquenter une librairie de manière fidèle et 27,2 % de manière occasionnelle. Ces taux sont en fait relativement élevés. Pour preuve, l’enquête – constituée d’un échantillon de cent personnes âgées de quinze ans et plus – réalisée par Olivier Donnat (2009a) sur les pratiques culturelles des Français met en lumière les résultats suivants : sur ces cent personnes, 72 déclarent ne jamais être allées à la bibliothèque-médiathèque au cours des douze derniers mois, 20 déclarent y être allées moins d’une fois par semaine. Seules sept s’y rendent une fois par semaine ou plus.

Malgré les « effets de légitimité »1 (Bourdieu, 1985 : 284) et les déclarations biaisées et autre

« bluff culturel » contre lesquels Pierre Bourdieu met en garde, force est de constater – à mesure que l’on compare ces résultats – que le public du Livre sur la Place est déjà familier du monde du livre. En cela, nous pouvons supposer que ces pratiques culturelles (fréquentation des librairies, des médiathèques et des bibliothèques) indiquent l’existence de dispositions cultivées. Par sa composition sociale, le public de cet événement littéraire obéit aux « déformation par le haut » propres à tous les établissements culturels. Rappelons que sur les 180 répondants à l’enquête de fréquentation, 16,1 % sont lycéens ou étudiants, 16,7 % sont de profession intermédiaire – dont quatre professeurs des écoles, trois libraires et un documentaliste – et enfin 21,1 % sont cadres ou de profession intellectuelle supérieure – dont treize professeurs (34,2 %). Quant aux entretiens semi-directifs, les résultats sont sensiblement identiques. Sur quarante interrogés, 25 % sont cadres supérieurs (dont trois enseignants), 27,5 % exercent une profession intermédiaire (dont trois bibliothécaires et une libraire) et 10 % sont scolarisés dans le secondaire ou le supérieur. De même, on notera que sur les neuf retraités interrogés, quatre le sont de l’Éducation nationale. Bien que nous ne prétendions pas étudier la distribution de la pratique des salons du livre dans les différentes couches de la société, mais le sens et les effets d’une telle pratique quand elle existe, et bien que nous refusions l’idée de figer la pratique du Livre sur la Place dans des catégories socioprofessionnelles, nous ne pouvons pas nier l’importance de ces déterminants en lien avec

1 « En fait, évidemment, la plus élémentaire interrogation de l’interrogation sociologique apprend que les déclarations concernant ce que les gens disent lire sont très peu sûres en raison de ce que j’appelle l’effet de légitimité : dès qu’on demande à quelqu’un ce qu’il lit, il entend : qu’est ce que je lis qui mérite d’être déclaré ? C’est-à-dire qu’est-ce que je lis en fait de littérature légitime ? » (Bourdieu, 1985 : 284). La même réflexion est tout aussi valable lorsqu’il s’agit de mesurer la fréquentation de lieux culturels, tels que les salons du livre par exemple.

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la familiarisation du monde du livre. Pourtant, malgré cette familiarisation, rares sont les personnes qui se rendent à d’autres manifestations littéraires.

Tableau 9. Quelles sont les autres manifestations littéraires auxquelles vous participez ?

Enquête 2008. Nombre de réponses Pourcentages Été du Livre à Metz 5 10,4 % Fontenoy-la-Joûte 5 10,4 % FIG 4 8,3 %

Salon du livre de Paris 4 8,3 %

Angoulême 3 6,3 % Montreuil 2 4,2 % Imaginales à Epinal (88) 2 4,2 % Salon de Bar-le-Duc (55) 2 4,2 % Autres 21 43,8 % Total 48 100 %

Sur les 180 personnes interrogées, seules 48 déclarent fréquenter d’autres événements en lien avec le livre. 10,4 %, dont la plupart sont messins, se sont déjà rendus à l’Été du Livre à Metz, 8,2 % au festival international de géographie à Saint-Dié et au Salon du livre à Paris et enfin

10,4 % ont répondu « Fontenoy-la-Joûte »1, le village du livre lorrain. Toutefois, notons que

cette question n’a pas toujours été entendue, d’où un pourcentage élevé (43,8 %) de réponses classées dans la catégorie « autres » et regroupant un certain nombre d’événements non liés au livre, tels que les festivals de rue ou les événements gastronomiques lorrains. Une fois encore, l’instabilité définitionnelle, la poétique du mélange, la trivialité des objets culturels font que les publics ne savent pas toujours de quoi ils sont précisément publics.

1

Citons les propos de cette femme pour qui les salons du livre, le village du livre et les brocantes participent d’une même implication et évolution au sein du monde du livre : « J’essaie de faire beaucoup de choses autour du livre parce que j’aime beaucoup lire. Nos sorties, c’est beaucoup ça, les brocantes pour trouver les livres, Fontenoy-la-Joûte, des choses comme ça en fait » (40 ans, Vandœuvre, 19/09/09).

151 En somme, l’évaluation des effets des événements littéraires en termes de démocratisation et d’accès aux livres aboutit aux mêmes conclusions que celles en lien avec les équipements traditionnels (opéra, musée, théâtre...) : la diversification des programmations et des lieux favoriserait le cumul des pratiques de la part d’un public déjà acquis, et non nécessairement la diversification des publics. Deux indices l’attestent : la provenance géographique des visiteurs et la fidélité au salon. 65 % des 180 visiteurs interrogés en 2008 habitent à Nancy ou dans les communes du « Grand Nancy », un pourcentage quasi équivalent à l’enquête de 2009 (61 %).

Tableau 10. Avant aujourd’hui, étiez-vous déjà venus au Livre sur la Place ? Enquête 2008.

Réponses Pourcentages

Oui 150 83,3 %

Non 29 16,1 %

NSP 1 0,6 %

Total 180 100 %

Graphique 3. Combien de fois êtes-vous déjà venu au Livre sur la Place ? Enquête 2008.

Quant à la fidélisation au salon, les chiffres sont probants : 83,3 % des personnes interrogées en 2008 sont déjà venues au moins une fois au Livre sur la Place. Parmi ces fidèles, on notera qu’il s’agit soit d’habitués incontestés (13 % déclarent s’y rendre chaque année « depuis le début »), soit de personnes assidues qui l’ont fréquenté à cinq reprises minimum (34 %). Rappelons également que le nombre de visiteurs qui « passent par hasard » au Livre sur la

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Place est très faible (un couple en entretien, un autre en questionnaire). En conclusion, les visiteurs sont fidèles au Livre sur la Place, mais la pratique d’autres salons du livre reste très occasionnelle. Notons également que les plus assidus d’entre eux font de leur fidélité au salon non pas un facteur distinctif, mais l’objet d’un sentiment de complétude. Comme s’ils s’étaient engagés auprès de quelqu’un, ils prennent plaisir à revenir chaque année au même endroit.

On peut faire l’hypothèse qu’il y a une contradiction apparente entre le programme culturel et social du Livre sur la Place (le livre et son auteur pour tous) et ses conditions effectives d’existence. Toutefois, il n’est pas utile de s’appesantir sur la question des effets en termes de démocratisation tant elle a déjà été explorée. Il nous semble plus intéressant de dépasser ces statistiques pour explorer la nature de la pratique et ce qu’elle implique en termes de rapport au monde du livre. En quoi le salon du livre, volontairement éloigné de toutes considérations économiques, peut-il être le lieu où se construit un souvenir collectif et où se joue l’expression d’une bonne volonté culturelle ?