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b) Le secret de l’instruction et la chronique judiciaire

6. Le droit à l’anonymat dans la chronique judiciaire

6.2. La protection de l’image

L’interdiction de prendre des photographies dans la salle d’audience, qui est en vigueur dans certains États contractants et qui vise à protéger à la fois la vie privée des personnes impliquées et le bon déroulement de la procédure, est considérée par la doctrine comme étant en tous points compatible avec le droit à une audience publique723.

Concernant le droit à sa propre image, en lien avec la publication de photographies de personnes mises en examen, si la Cour « admet qu’il peut y avoir de bonnes raisons d’interdire de publier la photo d’un suspect par elle-même, selon la nature de l’infraction en cause et les circonstances particulières de l’affaire »724, elle considère néanmoins que « la publication de photographies représentant des suspects, objet d’une procédure pénale, ne saurait par elle-même constituer une méconnaissance de la présomp-tion d’innocence »725. Au surplus, compte tenu de l’intérêt du public à être informé des procédures pénales importantes et du principe de la publicité des débats, la Cour considère qu’une autorisation accordée à la presse, par les autorités publiques, de photographier les prévenus ne constitue pas nécessairement une atteinte aux droits de ces derniers, tels qu’ils sont garantis par l’article 8 CEDH726.

Dans l’affaire News Verlags GmbH c. Autriche, la Cour avait été saisie de la question de savoir si l’interdiction, imposée à une revue, de publier des photographies d’un suspect et des commentaires désignant directement ou indirectement ce dernier comme l’auteur des infractions, dans le cadre d’articles relatifs à la procédure pénale ouverte contre lui, violait l’article 10 CEDH. Considérant que le recours à des photographies dans la chronique judiciaire trouve son fondement à l’article 6 § 1 CEDH et que, dans le cas d’espèce, la publication des images de l’inculpé ne constituait en aucun

721 Ibidem, § 73–77.

722 Ibidem, § 78–82.

723 trecHSel, précité note48, p. 128.

724 Cour eur. D.H., News Verlags c. Autriche, précité note644, § 56–59.

725 Cour eur. D.H., Y.B. et autres c. Turquie, précité note50, § 50.

726 Cour eur. D.H., Pesti et Frold c. Autriche, du 18 janvier 2000, n° 27618/95, § 6.

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cas une ingérence dans sa vie privée (l’inculpé était en effet un militant d’extrême droite bien connu), la Cour a jugé qu’une interdiction absolue de publier son image était disproportionnée par rapport au but visé, à savoir la protection du prévenu d’une diffamation et d’une atteinte à son droit d’être présumé innocent727.

À ce propos, la Cour a précisé que « c’est au regard de la nature de l’infraction en cause et des circonstances particulières de l’affaire qu’elle admet que la publication de photographies représentant des suspects, objet d’une procédure pénale, ne saurait par elle-même constituer une méconnaissance de la présomption d’innocence »728.

Dans l’affaire Sciacca c. Italie, la Cour était appelée à statuer sur la légitimité de la publication d’une photographie d’identité prise lors de la constitution du dossier, plus précisément au moment de l’arrestation du prévenu par la garde des finances, et remise par cette dernière à la presse à l’égard de l’article 8 CEDH. Constatant que la publication d’une photo-graphie relève de la vie privée, que le prévenu n’était pas une personnalité publique, mais un individu faisant l’objet de poursuites pénales, ce qui ne saurait restreindre le champ de protection découlant de l’article 8 CEDH, et qu’une telle publication n’était pas prévue par la loi, la Cour a statué qu’il y avait eu violation du droit au respect de la vie privée729.

La Cour a maintenu le même raisonnement dans l’affaire Khoujine et autres c. Russie, considérant que la publication de photographies dans le contexte de la procédure pénale en cours n’avait aucune valeur d’informa-tion en soi et qu’elle constituait dès lors une violad’informa-tion de l’article 8 CEDH730.

Dans la même veine, la Cour a débouté le journaliste qui invoquait la violation de l’article 10 CEDH dans l’affaire Eric Hacquemand c. France, esti-mant que le suspect dont la photographie avait été publiée dans un journal local « n’avait pas commis de faits hors du commun, qu’il n’était pas une personnalité notoirement connue » et qu’il ne résidait pas dans la région où le journal paraissait ; elle a en outre ajouté que « la publication de [sa]

photographie était susceptible de porter atteinte à [ses] intérêts légitimes, découlant notamment de son droit à la présomption d’innocence garanti par l’article 6 § 2 de la Convention »731.

727 Cour eur. D.H., News Verlags c. Autriche, précité note644, § 56–59.

728 Cour eur. D.H., Y.B. et autres c. Turquie, précité note50, § 47.

729 Cour eur. D.H., Sciacca c. Italie, précité note160, § 28–30.

730 Cour eur. D.H., Khoujine et autres c. Russie, précité note60, § 117–118.

731 Cour eur. D.H., Eric Hacquemand c. France, du 30 juin 2009, n° 17215/06.

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Cependant, la Cour a écarté une éventuelle violation de la présomption d’innocence dans l’affaire Karakas¸ et Yes¸ilırmak c. Turquie, jugeant que la publication des noms et des photographies des deux suspects ne suffisait pas à établir une telle violation, puisque les policiers qui avaient organisé la conférence de presse ne s’étaient pas prononcés sur leur conviction de culpabilité732.

L’affaire Gourguénidzé c. Géorgie portait sur la publication de la pho-tographie d’une personne, accompagnée d’articles mettant en cause la légitimité de la possession d’un manuscrit d’un célèbre écrivain géorgien.

À la différence des affaires Sciacca c. Italie et News Verlags GmbH c. Autriche, la personne mise en examen « n’était ni une personnalité publique ni ne fai-sait l’objet de poursuites pénales », mais avait seulement été emmenée au commissariat pour y faire une déposition, avant d’être relâchée ; l’enquête policière engagée à son encontre avait d’ailleurs été classée733. À ce propos, la Cour a précisé que « l’élément déterminant lors de la mise en balance de la protection de la vie privée et de la liberté d’expression doit résider dans la contribution que l’information ou la photographie publiée apporte au débat d’intérêt général »734. Constatant l’absence de contribution à un débat d’intérêt général, la Cour a statué que les juridictions nationales n’avaient pas établi de juste équilibre entre les intérêts en conflit et a jugé que le manquement de celles-ci à leurs obligations positives constituait une violation de l’article 8 CEDH735.

Il convient de citer également l’affaire Toma c. Roumanie, qui concernait aussi la diffusion de la photographie d’une personne, prise au siège de la police, cette fois-ci après son arrestation en flagrant délit et une fois que les poursuites avaient été engagées. Considérant que l’invitation et l’auto-risation des journalistes accordées par les agents de police constituaient une ingérence au respect de la vie privée et, en l’absence de contribution à un débat d’intérêt général, la Cour a conclu qu’il y avait eu violation de l’article 8 CEDH736.

Enfin, il paraît opportun de mentionner l’affaire Ramishvili et Kokhreidze c. Géorgie, où il était question, entre autres, d’une atteinte à l’intégrité morale de deux accusés filmés et photographiés lors du procès. Prenant en considération qu’il s’agissait d’un jugement pour un délit économique

732 Cour eur. D.H., Karakaş et Yeşilırmak c. Turquie, du 28 juin 2005, n° 43925/98, §§ 52–55.

733 Cour eur. D.H., Gourguénidzé c. Géorgie, précité note176, § 58.

734 Ibidem, § 59. V.a. la jurisprudence y citée.

735 Ibidem, § 61–63.

736 Cour eur. D.H., Toma c. Roumanie, du 24 février 2009, n° 42716/02, § 91–92.

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d’importance relative, la Cour a statué que le fait d’exposer, par des photo-graphies ou des retransmissions télévisées en direct, des personnes célèbres sur le banc des accusés, recouvert d’une cage métallique qui le sépare du reste de la salle d’audience et constamment entouré d’agents lourdement armés et cagoulés, est propre à faire apparaître ces personnes comme des criminels extrêmement dangereux aux yeux du spectateur moyen737. Dès lors, la Cour a conclu qu’un tel traitement a non seulement contrevenu au respect de la présomption d’innocence, mais a aussi humilié les requérants dans l’opinion publique et même dans leurs propres sentiments738.

Un raisonnement similaire ressort de deux autres cas qui portaient sur un même procès : dans l’affaire P4 Radio Hele Norge ASA c. Norvège, la presse se voit refuser le droit de retransmettre les débats en direct739 et, dans l’affaire Egeland et Hanseid c. Norvège, les journalistes ont été condamnés pour avoir pris et publié les photographies de l’accusé740. Dans les deux cas, la Cour a reconnu que les États contractants doivent bénéficier d’une grande marge d’appréciation, en l’absence de consensus quant à une réglementation sur le rapport conflictuel entre la liberté de la presse sur les questions d’intérêt public, d’une part, et l’obligation positive de l’État découlant des articles 6 et 8 CEDH, d’autre part741. Constatant que la protection de la vie privée est aussi importante que l’impartialité du pouvoir judiciaire et jugeant que les autorités norvégiennes n’avaient pas excédé la marge d’appréciation qui leur revenait, la Cour a conclu à la non-violation de l’article 10 CEDH742.

Au demeurant, bien que la Cour se fonde en principe sur deux critères d’évaluation – la notoriété de la personne impliquée dans le procès et l’inté-rêt du public à connaître l’information –, sa jurisprudence se révèle assez fluctuante pour pouvoir en déduire un modèle à suivre. Les conclusions divergentes, voire contradictoires, auxquelles elle parvient dans des cas similaires résultent du degré variable de la marge d’appréciation qu’elle accorde743.

737 Cour eur. D.H., Ramishvili and Kokhreidze c. Géorgie, du 27 janvier 2009, § 99–100.

738 Ibidem, § 99–102.

739 Cour eur. D.H., P4 Radio Hele Norge ASA c. Norvège, du 6 mai 2003, n° 76682/01.

740 Cour eur. D.H., Egeland et Hanseid c. Norvège, du 16 avril 2009, n° 34438/04.

741 Ibidem, § 53–55.

742 Ibidem, § 63–65.

743 V.n. infra. Deuxième partie § 1.1.sq.

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