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d’appréciation nationale

2.1. Le précédent et la Cour européenne des droits de l’homme

La règle du précédent ou la règle stare decisis, issue en grande partie du common law, exige que tout jugement soit conforme aux décisions anté-rieures et qu’on statue donc sur une affaire de la même manière que sur les causes semblables déjà jugées afin d’assurer la cohérence et la certitude judiciaires918. Cette règle s’applique également à l’interprétation des lois.

Afin d’en saisir la portée, il convient de distinguer les principes du droit sur lesquels une décision peut se fonder : le ratio decidendi, qui constitue la partie contraignante d’une décision judiciaire ou l’obiter dictum, qui ne lie pas les juges car il n’est pas strictement lié au litige en cause919. wiLdhaber

estime que le respect du précédent « convient le mieux aux exigences de l’assurance juridique et la prévoyance, à la prééminence du droit et

914 Cour eur. D.H., Baranowski c. Pologne, du 28 mars 2000, n° 28358/95, § 56 ; Beian c.

Roumanie (n° 1), du 6 décembre 2007, n° 30658/05, § 39 ; Iordan Iordanov et autres c.

Bulgarie, du 2 juillet 2009, n° 23530/02, § 47.

915 Cour eur. D.H., Beian c. Roumanie (n° 1), précité note914, § 33 ; Păduraru c. Roumanie, du 15 mars 2007, n° 63252/00, § 92 ; Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie, du 20 octobre 2011, n° 13279/05, § 56.

916 Cour eur. D.H., Brumărescu c. Roumanie, du 28 octobre 1999, n° 28342/95, § 61 ; Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie, précité note915, § 57.

917 Cour eur. D.H., Ştefănică et autres c. Roumanie, du 2 novembre 2010, n° 38155/02, § 38 ; Zagorodniy c. Ukraine, du 24 November 2011, n° 27004/06, § 55.

918 D. popović, « The Role of Precedent in the Jurisprudence of the European Court of Human Rights », in La Convention européenne des droits de l’homme, un instrument vivant.

Mélanges en l’honneur de C. L. roZaKiS, Bruylant, Bruxelles, 2011, p. 467–483, p. 467. V.

a. K. lucaS-alBerni, Le revirement de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Thèse, Bruylant, Bruxelles, 2008, p. 279 sq.

919 Ibidem, p. 468.

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à la protection efficace des droits de l’homme »920. Cependant, en ce qui concerne les jugements de la Cour, le juge suisse signale que les opinions au sein de la Cour divergent non seulement quant à ce qui constitue un précédent (à savoir si une affaire, ou une série de cas similaires, ou encore la jurisprudence, qui forme le droit coutumier, peuvent être considérées comme un précédent), mais aussi quant à la façon de déterminer le ratio decidendi d’une affaire921.

Le respect de la règle du précédent par la Cour peut être déduit tant du règlement de la celle-ci (articles 72 et 73) que de la Convention (articles 30 et 43 CEDH). L’objet commun de ces dispositions consiste en ce que la Grande Chambre peut être saisie pour statuer sur un litige qui pourrait conduire à une contradiction avec un arrêt déjà rendu en la matière ; elle doit ainsi veiller à assurer une jurisprudence cohérente922. Or, il s’agit d’une possibilité, et non d’une obligation.

La Cour considère, à juste titre, que « toute persistance de divergences de jurisprudence est susceptible de créer une incertitude juridique de nature à réduire la confiance du public dans le système judiciaire, alors même que cette confiance constitue l’une des composantes fondamentales de l’État de droit »923. Dès lors, nous devrions pouvoir en déduire qu’il n’existe pas de solution jurisprudentielle contradictoire. Or, en ce qui concerne la jurisprudence nationale, la Cour a observé que « les exigences de la sécu-rité juridique et de la protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas un droit acquis à une jurisprudence constante »924, en considérant qu’« une évolution de jurisprudence n’est pas en soi contraire à une bonne administration de la justice dans la mesure où l’absence d’une approche dynamique et évolutive serait susceptible d’entraver tout chan-gement ou amélioration »925.

920 L. wildHaBer, The European Court of Human Rights 1998–2006 : history, achievements, reform, Engel, Kehl, 2006, p. 173.

921 L. wildHaBer, « Precedent in the European Court of Human Rights », in Protection des droits de l’homme : La perspective européenne. Mélanges à la mémoire de R. Ryssdal, C. Hey-manns, Cologne, 2000, p. 1529–1545, p. 1531.

922 À ce propos, v. L. caFliScH, « Les précédents dans la pratique de la Cour européenne des droits de l’homme », in Perspectives du droit international au 21e siècle. Liber Amicorum Prof. C. dominicé, M. Nijhoff, Leyde, 2012, p. 349–364.

923 Cour eur. D.H., Păduraru c. Roumanie, précité note915, § 98 ; Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie, précité note915, § 57.

924 Cour eur. D.H., Unédic c. France, du 18 décembre 2008, n°20153/04, § 74.

925 Cour eur. D.H., Atanasovski c.« l’ex-République yougoslave de Macédoine », du 14 janvier 2010, n° 36815/03, § 38 ; Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie, précité note915, § 57.

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De même, au sujet de sa propre jurisprudence, la Cour a statué qu’elle

« ne se trouve pas liée par ses décisions antérieures ; l’article 51 § 1 de son règlement926 le confirme d’ailleurs. Elle a toutefois coutume d’en suivre et appliquer les enseignements, dans l’intérêt de la sécurité juridique et du développement cohérent de la jurisprudence relative à la Convention. Cela ne l’empêcherait pourtant pas de s’en écarter si des raisons impérieuses lui paraissaient le demander. Un tel revirement pourrait, par exemple, se jus-tifier s’il servait à garantir que l’interprétation de la Convention cadre avec l’évolution de la société et demeure conforme aux conditions actuelles »927.

L’importance du respect du précédent en vue d’assurer la sécurité juri-dique a été à nouveau déclarée en précisant que « sans être formellement tenue de suivre l’un de ses quelconque arrêts antérieurs, la Cour considère qu’il est dans l’intérêt de la sécurité juridique, de la prévisibilité et de l’égalité devant la loi qu’elle ne s’écarte pas sans motif valable des précé-dents »928. Selon la jurisprudence, un « motif valable » serait le besoin de tenir compte de l’évolution de la situation dans les États contractants afin que la Convention soit interprétée et appliquée d’une manière qui tienne compte des droits pratiques et effectifs, et non théoriques et illusoires929.

En effet, si la règle du stare decisis est cruciale pour l’autorité des juge-ments de la Cour et pour leur stabilité, elle n’est cependant pas absolue930. Autrement dit, compte tenu de l’interprétation évolutive, la doctrine du précédent ne s’applique pas strictement aux décisions de la Cour, et la jurisprudence fondée sur une interprétation plus ancienne de la Conven-tion doit donc être appréciée en gardant ce principe à l’esprit931.

Cependant, s’il est vrai que la Cour parvient à une interprétation dyna-mique de la Convention, « instrument [vivant] constitutionnel de l’ordre public européen »932, « à la lumière des conditions de vie actuelles et des

926 L’article 51 § 1 de l’ancien Règlement de la Cour qui correpond à l’actuel article 72.

927 Cour eur. D.H., Cossey c. Royaume-Uni, précité note100, § 35.

928 Cour eur. D.H., Chapman c. Royaume-Uni, du 18 janvier 2001, n° 27238/95, § 70 ; Beard c. Royaume-Uni, du 18 janvier 2001, n° 24882/94, § 81; Stafford c. Royaume-Uni, du 28 mai 2002, n° 46295/99, § 68 ; Christine Goodwin c. Royaume-Uni, du 11 juillet 2002, 28957/95, § 74 ; Mamatkoulov et Abdurasulovic c. Turquie, du 6 février 2003, nos 46827/99 et 46951/99, § 105 ; Scoppola c. Italie (n° 2), du 17 septembre 2009, n° 10249/03, § 104.

929 Ibidem.

930 V. notamment les articles 30 et 43 CEDH.

931 emmerSon/aSHwortH/macdonald, précité note48, p. 81.

932 Cour eur. D.H., Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), du 23 mars 1995, n° 15318/89,

§ 75.

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conceptions prévalant de nos jours dans les États démocratiques »933, une telle interprétation ne doit pas avoir pour effet « de placer les justiciables dans une situation d’incertitude juridique en ce que l’issue d’une affaire devient tributaire d’un mécanisme incapable d’assurer la cohérence juris-prudentielle »934.

La règle du précédent occupe une place primordiale dans la jurispru-dence de la Cour, qui, par l’interprétation autonome des droits convention-nels, détermine leur portée. Bien que la Cour ne se considère pas formelle-ment liée par ses propres décisions, la doctrine constate que les précédents judiciaires sont généralement suivis935. À cet égard, compte tenu de la composition de la Cour, caFLisch relève que « la Cour, malgré son désir de suivre les précédents établis par elle, est et demeurera un mécanisme lourd dont une main, souvent ignore ce que l’autre fait »936. En ce sens, la cohérence jurisprudentielle est remise en question937. L’incohérence peut également être observée quant à l’interprétation de la portée des garanties conventionnelles.

Afin de déterminer les effets et l’autorité d’un arrêt de la Cour, la doc-trine établit une distinction entre l’autorité de la chose jugée (res judicata), l’autorité de la chose interprétée (res interpretata) et l’autorité jurispruden-tielle d’un arrêt938.

En définissant la res judicata comme une décision individuelle qui recon-naît la violation de la CEDH et la res interpretata comme un principe ou une notion autonome, besson insiste sur la différence entre ces deux concepts et précise que l’autorité générale des jugements se limite bien souvent à

933 Cour eur. D.H., Kress c. France, du 7 juin 2001, n° 39594/98, § 70.

934 Opinion dissidente commune des Juges BratZa, Casadevall, vaJić, spielmann, RoZakis, kovleR

et miJović, relative à l’affaire Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie, précité note915. 935 A. mowBraY, « An examination of the European Court of Human Right’s Approach to

Over-ruling its Previous Case Law », HRLR, n° 2, vol. 9, 2009, p. 179–201, p. 183. V.a. C. roZa

-KiS, « Is the Case-Law of the European Court of Human Rights a Procrustean Bed ? Or is it a Contribution to the Creation of a European Public Order ? A Modest Reply to Lord Hoff-mann’s Criticisms », UCL Human Rights Review, vol. 2, 2009, p. 51–69, p. 60 ; S. BeSSon,

« The Erga Omnes Effect of Judgements of the European Court of Human Rights – What’s in a Name ? », in Id. (éd.), La Cour européenne des droits de l’homme après le Protocol 14 – Premier bilan et perspectives, Schulthess, Genève, 2011, p. 125–175, p. 135 ; caFliScH, précité note922, p. 364 ; popović, précité note918, p. 481.

936 caFliScH, précité note922, p. 355–356. V.a. wildHaBer, précité note921, p. 1533.

937 wildHaBer, précité note921, p. 1533 sq.

938 F. Sudre, « Effectivité des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme », RTDH, 76, 2008, p. 917–947 ; S. BeSSon, « Les effets et l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme – Le cas de la Suisse », in La CEDH et la Suisse, S. BreitenmoSer, B. eHrenZeller (éd.), Exposés du séminaire du 5 juin 2009 à Berne, Institut für Rechtswis-senschaft und Rechtspraxis, St-Gall, 2010, p. 125–199.

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la res interpretata939. En effet, même si le principe de l’autorité de la chose jugée ne peut imposer aux États contractants de s’y conformer s’ils ne sont pas impliqués (autorité inter partes)940, il faut, selon drzemczewsKi941, que les autorités nationales prennent en compte les principes découlant des arrêts de la Cour sur des questions similaires, y compris dans des affaires concernant d’autres États (autorité erga omnes)942.

L’importance de l’autorité de la chose interprétée a été reconnue lors des conférences d’Interlaken et d’Izmir, respectivement en février 2010 et en avril 2011943. Elle consiste en « l’autorité propre de la jurisprudence de la Cour en tant que celle-ci interprète les dispositions de la Convention »944. En effet, la Cour déclare que « ses arrêts servent non seulement à trancher les cas dont elle est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et à contribuer de la sorte au respect, par les États, des engagements qu’ils ont assumés en leur qualité de Parties contractantes »945. Au demeurant, le système mis en place par la Convention tend à trancher, dans l’intérêt général, des questions qui relèvent de l’ordre public, en élevant les normes de protection des droits de l’homme et en étendant la jurisprudence dans ce domaine à l’ensemble de la communauté des États parties à la Convention946. En ce sens, cosTa estime que « l’autorité de la chose interprétée par la Cour va au-delà [de la]

res judicata au sens strict »947.

939 BeSSon, précité note935, p. 132.

940 Conformément à l’article 46 § 1CEDH, qui dispose que « les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties ».

941 A. drZemcZewSKi, « Quelques refléxions sur l’autorité de la chose interprétée par la Cour de Strasbourg », in La Conscience des droits : Mélanges en l’honneur de J.P. coSta, Dalloz, Paris, 2011, p. 243–247, p. 246. L’auteur cite notamment l’engagement des États membre sur le plan d’action d’Interlaken du février 2010, § 4 c : « Tenir compte des développements de la jurisprudence de la Cour notamment en vue de considérer les conséquences qui s’imposent suite à un arrêt concluant à une violation de la Convention par un autre État partie lorsque leur ordre juridique soulève le même problème de principe ».

942 Cour eur. D.H., Opuz c. Turquie, du 9 juin 2009, n° 33401/02, § 163.

943 Déclaration d’Interlaken du 19 février 2010, et Déclaration d’Izmir du 27 avril 2011, Confé-rences de haut niveau sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme.

944 velu/erGec, précité note70, n° 1237.

945 Cour eur. D.H., Irlande c. Royaume-Uni, précité note814, § 154 ; Guzzardi c. Italie, précité note101, § 86 ; Karner c. Autriche, 24 juillet 2003 n° 40016/98, § 26 ; Konstantin Markin c.

Russie, du 7 octobre 2010, n° 30078/06, § 39 ; Rantsev c. Chypre et Russie, du 7 janvier 2010, n° 25965/04, § 197.

946 Cour eur. D.H., Rantsev c. Chypre et Russie, précité note945, § 197.

947 Mémorandum du Président de la Cour européenne des droits de l’homme aux États en vue de la Conférence d’Interlaken, du 3 juillet 2009, p. 7. Texte disponible au http ://www.echr.

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Dans la mise en œuvre du processus d’Interlaken948, l’Assemblée parle-mentaire a affirmé, dans sa résolution n° 1856, qu’il convient de renforcer et d’améliorer, à l’échelle nationale, l’autorité des droits consacrés par la Convention, y compris l’autorité de la chose interprétée de la jurisprudence de la Cour, afin de garantir l’efficacité durable du système de protection de la Convention949. Dans ce sens, l’autorité de la chose interprétée se rap-proche de l’autorité jurisprudentielle d’un arrêt de la Cour, qui consiste en

« l’obligation pour tout État partie à la Convention de se conformer à la règle juridictionnelle issue de l’arrêt pour autant qu’elle soit généralisable »950.

L’autorité de la chose jugée que revêtent les arrêts de la Cour pour les États contractants correspond à la notion de précédent pour la Cour.

L’interprétation autonome des droits conventionnels, par opposition à une interprétation en référence aux droits internes des États contractants, permet d’assurer que ces droits sont uniformément garantis, car comme le précise sudre, « en procédant à une lecture ‹ autonome › de la Conven-tion, la Cour assure l’indispensable uniformité d’interprétation de celle-ci et tend à éviter que les normes européennes protectrices des droits de l’homme ne varient selon les qualifications juridiques propres aux droits nationaux »951. En conséquence, l’interprétation autonome empêche les États contractants de se soustraire à leurs obligations et de priver ainsi un individu de ses droits conventionnels952. eissen a également observé

coe.int/NR/rdonlyres/D61B67EF-07E6–49E5-BD26-ED8588E01C10/2791/03072009_

Memo_Interlaken_fran%C3%A7ais.pdf.

948 V.n. la note du Jurisconsulte en date du 8 juillet 2010 intitulée Clarté et cohérence de la jurisprudence de la Cour, doc. no 3196565 ; Le Projet de commentaires du Comité directeur pour les droits de l’homme sur les notes du Jurisconsulte de la Cour sur le principe de subsidiarité et sur la clarté et la cohérence de la jurisprudence de la Cour du 21 juin 2011, DH-GDR(2001) R7 Addendum I et enfin le rapport sur le processus d’Interlaken et la Cour du 16 octobre 2012 repérable sur www.echr.coe.int.

949 Résolution 1856 de l’Assemblée parlementaire du 24 janvier 2012, « Garantir l’autorité et l’efficacité de la Convention européenne des droits de l’homme ».

950 BeSSon, précité note938, p. 139.

951 F. Sudre, « Le recours aux ‹ notions autonomes › », in Id. (dir.), L’Interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme, Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 93–131, p. 94. V.a. w.-J. GanSHoF vander meerScH, « Le caractère autonome des termes et la marge d’appréciation des gouvernements dans l’appréciation de la Convention européenne des droits de l’homme », in Protection des droits de l’homme : la dimension européenne.

Mélanges en l’honneur de G.J. wiarda, Carl Heymans Verlag K.G., Cologne, 1988, p. 201.

Pour une approche qui fait valoir le besoin d’une marge d’appréciation, nonobstant l’inter-prétation autonome v. E. KaStanaS, Unité et diversité : notions autonomes et marges d’appréciation des États dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Bruylant, Bruxelles, 1996.

952 emmerSon/aSHwortH/macdonald, précité note48 p. 88.

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que « pareil procédé l’aide à préserver l’indispensable égalité de traitement entre les États contractants ; il constitue en outre l’un des instruments que la Cour emploie pour élaborer une jurisprudence originale et cohérente »953. Cependant, nous pouvons constater une certaine ambiguïté d’interpré-tation en ce qui concerne la notion de la protection de la répud’interpré-tation par l’article 8 CEDH. Considérant que la notion « autonome » de vie privée englobe la réputation, la Cour peut procéder à deux approches jurispru-dentielles quant à sa protection : d’une part, elle estime qu’une atteinte à la réputation peut sérieusement affecter la vie privée et que celle-ci tombe en tant que telle sous la protection de l’article 8 CEDH ; d’autre part, pour que cette disposition entre en ligne de compte, elle exige qu’il soit démontré que ladite atteinte ait un certain niveau de gravité et ait causé un préjudice à la jouissance personnelle du droit au respect de la vie privée954. Or, une telle analyse ne permet pas de déterminer avec précision dans quelles cir-constances les individus ont le droit à la protection de la réputation. Dans le cadre du conflit avec la liberté d’expression, étant donné que les limites du droit à la réputation dépendent de celles de la liberté d’expression, la première approche assure une jurisprudence plus constante, tandis que, en ayant recours à la seconde, il est difficile de savoir dans quelles circons-tances la protection de la réputation d’un individu doit impérativement être respectée955.

La sécurité juridique garantit par ailleurs l’effectivité des droits et des libertés dont la Cour ne cesse de souligner l’importance956. À cet effet, la doctrine des obligations positives exige que les États contractants prennent les mesures nécessaires afin d’empêcher la violation des droits convention-nels. Or, dans son commentaire sur l’arrêt Jaggï c. Suisse, hoTTeLier indique que la Cour elle-même ne définit pas de manière précise les obligations

953 M.A. eiSSen, « La Cour européenne des droits de l’homme », Revue du Droit Public et de la science politique en France et à l’étranger, n° 6, 1986, p. 1539–1598.

954 D. Spielmann, l. cariolou, « The Right to Protection of Reputation under the European Convention on Human Rights », in The European Convention on Human Rights, a living instrument. Essays in Honour of C.L. roZaKiS, Bruylant, Bruxelles, 2011, p. 571–596, p. 572.

955 Ibidem, p. 595–596. Les auteurs insistent sur le fait que le droit à la protection de la réputation ne saurait être assimilé à un droit de ne pas être offensé et en précisant que dès lors chaque observation offensante ne saurait être exclue sur la base de la protection de la réputation, puisque la protection de la liberté d’expression couvre aussi le discours offensif.

956 van drooGHenBroecK, précité note512, p. 615 sq. ; V. Cour Eur. D.H., Emonet et autres c.

Suisse, du 13 décembre 2007, n° 39051/03, § 77 ; Scavuzzo-Hager et autres c. Suisse, du 7 février 2006, n° 41773/98, § 48 ; Von Hannover c. Allemagne, précité note160, § 71 ; Artico c. Italie, précité note295, § 33.

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positives et négatives des États pour assurer l’effectivité des droits et des libertés ; au contraire, elle reconnaît une certaine marge d’appréciation nationale, ce qui accroît l’insécurité juridique957. Pour ce qui est des obli-gations positives, la Cour a elle-même révélé que « la notion de respect manque pourtant de netteté : pour déterminer si pareilles obligations existent, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l’inté-rêt général et les intél’inté-rêts de l’individu, l’État jouissant en toute hypothèse d’une marge d’appréciation »958. Autrement dit, elle considère que « dans les cas où l’État est tenu de prendre des mesures positives, le choix de celles-ci relève en princelles-cipe de sa marge d’apprécelles-ciation »959. Pourtant, l’attribution d’une certaine marge d’appréciation dont l’étendue est imprécise n’aide pas les États à prévoir les obligations qui leur incombent960.

Comme nous avons essayé de le démontrer, la marge d’appréciation nationale rend possible l’ « arbitraire » en ce sens qu’un juge national se sent en droit de résoudre un conflit à sa guise, sans se soucier de ce qui pourrait se passer dans d’autres États. À cet égard, le fait que la Cour n’ait pas défini de standard européen pour la délimitation de l’étendue de la marge nationale d’appréciation démontre, selon sudre, le pouvoir discrétionnaire qu’elle se réserve961. Autrement dit, grâce à cette variabilité, la Cour se prémunit d’une « très large marge d’appréciation de la notion de marge d’appréciation laissée aux États membres »962. Même si la sécu-rité juridique bannit l’arbitraire, il ne peut être reproché au juge national

Comme nous avons essayé de le démontrer, la marge d’appréciation nationale rend possible l’ « arbitraire » en ce sens qu’un juge national se sent en droit de résoudre un conflit à sa guise, sans se soucier de ce qui pourrait se passer dans d’autres États. À cet égard, le fait que la Cour n’ait pas défini de standard européen pour la délimitation de l’étendue de la marge nationale d’appréciation démontre, selon sudre, le pouvoir discrétionnaire qu’elle se réserve961. Autrement dit, grâce à cette variabilité, la Cour se prémunit d’une « très large marge d’appréciation de la notion de marge d’appréciation laissée aux États membres »962. Même si la sécu-rité juridique bannit l’arbitraire, il ne peut être reproché au juge national

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