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c) L’obligation positive relative à l’article 6 CEDH

3. Le droit pénal et les droits fondamentaux

3.2. Le droit pénal en tant que protecteur des droits fondamentaux

Nous venons de voir l’influence de la Convention sur le droit pénal natio-nal, qui consiste à limiter le pouvoir discrétionnaire des autorités dans le recours à la voie pénale. Ce phénomène s’explique par le fait que la Convention impose aux États contractants, en premier lieu et essentiel-lement, des obligations négatives qui se traduisent par le non-recours à des instruments punitifs ; elle remplit ainsi son rôle primaire, qui est de protéger l’individu contre les violations de ses droits fondamentaux par

401 Cour eur. D.H., Colombani et autres c. France, précité note242, § 66–68.

402 C’est-à-dire à prouver la véracité de ses allégations pour se défaire de sa responsabilité.

403 Cour eur. D.H., Tourancheau et July c. France, précité note348, § 77 ; V. Ceylan c. Turquie, du 8 juillet 1999, n° 23556/94, § 37 ; Pedersen et Baadsgaard, précité note265, § 93 ; Chauvy et autres c. France, précité note177, § 78.

404 Cour eur. D.H. Sunday Times c. Royaume-Uni (n° 2), précité note262, § 51 ; Dammann c.

Suisse, du 25 avril 2006, n° 77551/01, § 52 ; Verein Gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c.

Suisse (n° 2), précité note199, § 93.

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les autorités étatiques. À ces obligations négatives viennent s’ajouter des obligations positives, qui peuvent consister en une protection pénale.

3.2.1. La complémentarité du droit pénal

De nos jours, le droit pénal n’est pas uniquement limité par les droits fondamentaux (garantisme pénal) ; il a aussi pour objectif de protéger ces derniers. J. rivero observe que les normes pénales visent non seulement à assurer l’ordre public et la sauvegarde de l’État, mais qu’elles protègent également les libertés des particuliers à tel point que se pose la question de savoir si la majorité d’entre elles ne cherchent pas, en fin de compte, à renforcer cette protection405.

L’idée de la pénalisation peut s’expliquer par le fait que la théorie des

« obligations positives » surplombe celle des « obligations négatives » en ce qui concerne les relations entre individus. Comme la première cherche à garantir la protection des droits dans les rapports entre particuliers, la Cour ne pourrait pas éluder l’élan de « pénalisation » qui s’étend au niveau étatique, où la dichotomie coupable/victime est plus accentuée en cas de litige entre individus406. En effet, l’exigence de la voie pénale reflète la foi du peuple en son pouvoir dissuasif et préventif, et en l’assurance d’une protection efficace du droit en question407. C’est donc le postulat selon lequel les privés peuvent aussi violer les droits fondamentaux qui a poussé la Cour à imposer aux États contractants des dispositions pénales adéquates pour protéger lesdits droits408. Celle-ci a notamment considéré, dans l’arrêt X. et Y. c. Pays-Bas, « que les États ont l’obligation positive, inhérente aux articles 3 et 8 de la Convention, d’adopter des dispositions en matière pénale (…) »409. Dès lors, l’arrêt X. et Y. peut être perçu comme un tournant dans l’approche du recours subsidiaire, car il exige le recours à la voie pénale. En effet, la Cour y constate l’absence de protection suffisante

405 J. rivero, « La protection des droits de l’homme dans les rapports entre personnes privées » in René Cassin Amicorum Discipulorumque Liber, Tome III, Pedone, Paris, 1971, p. 311–322, p. 317.

406 Y. cartuYvelS, « Droits de l’homme et droit pénal, un retournement ? » in Les droits de l’Homme, bouclier ou épée du droit pénal ?, Y. cartuYvelS, H. dumont, F. oSt, m. van de

KercHove, S. van drooGHenBroecK (éd.), Bruylant, Bruxelles, 2007, p. 23–45.

407 V. par exemple Cour eur. D.H., M.C. c. Bulgarie, précité note390 ; Öneryildiz c. Turquie, précité note319 ; l’opinion dissidente de Juge roZaKiS relative à l’arrêt Calvelli et Ciglio c.

Italie, du 17 janvier 2002, n° 32967/96 ; l’opinion dissidente de Juge reSS relative à l’arrêt VO c. France, du 8 juillet 2004, n° 53924/00.

408 V.n. Cour eur. D.H., Yasa c. Turquie, du 2 septembre 1998, n° 22495/93 ; Osman c.

Royaume-Uni, précité note313 ; Siliadin c. France, du 26 juillet 2005, n° 73316/01.

409 Cour eur. D.H., X. et Y. c. Pays-Bas, précité note152, § 153.

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contre les violations provenant de particuliers. Elle a d’ailleurs incorporé et précisé cette exigence de prévoir une protection pénale dans sa jurispru-dence ultérieure410. En d’autres termes, un manquement à la protection pénale pourrait engager la responsabilité étatique. Cependant, nicosia constate à juste titre qu’une législation pénale adéquate n’est pas toujours suffisante pour libérer les États de leur responsabilité étatique dans les cas où la violation aurait été perpétrée par des privés. Selon cet auteur, il faut en outre qu’une sanction effective soit assurée411. Ainsi, l’obligation posi-tive d’incriminer, qui s’impose au législateur, est doublée de l’obligation positive du juge de condamner412.

Par ailleurs, l’existence d’une obligation d’incrimination est pertinente en ce qu’elle limite le pouvoir discrétionnaire du législateur national quant aux motifs justificatifs ou aux motifs d’absolution ou d’atténuation, qui soustraient de la sanction pénale tout comportement susceptible de violer un droit fondamental413.

3.2.2. Les effets défensifs du droit pénal à l’égard de la présomption d’innocence

Les règles de procédure pénale ont les droits fondamentaux comme prin-cipale source. Garante des droits et des libertés conventionnels, la Cour rappelle sans cesse les principes qui doivent gouverner le procès pénal dans son ensemble. Il en va de même de la présomption d’innocence414, qui est avant tout une règle de procédure pénale. La logique des droits de l’homme, qui garantit la protection de l’inculpé, se reflète par le caractère

« indispensable » des droits de la défense.

Il va sans dire que la scène médiatique actuelle, sollicitée de plus en plus par l’opinion publique, affaiblit les droits de la défense. Ce n’est qu’au moyen d’une garantie « absolue » de la présomption d’innocence qu’un procès juste et équitable peut être assuré. Il n’existe toutefois pas de

410 Parmi d’autres v. Cour eur. D.H., A. c. Royaume-Uni, précité note380, § 22 ; M.C. c. Bulgarie, précité note390, § 150 ; Siliadin c. France, précité note408, § 66. V. F. BeStaGno, Diritti umani e impunità. Obblighi positivi degli Stati in materia penale, Vita e Pensiero, Milan, 2003, p. 35 sq.

411 nicoSia, précité note395, p. 262.

412 Ibidem.

413 Cour eur. D.H., A. c. Royaume-Uni, précité note380 ; Makaratzis c. Grèce, du 20 décembre 2004, n° 50385/99, et Nachova et autres c. Bulgarie, du 6 juillet 2005, nos 43577/98, 43579/98 ; F. viGanò, « Diritto penale sostanziale e convenzione europea dei diritti dell’uomo », Riv. It. Dir. e proc. Pen., 2007, fas. 1, p. 42–100, spéc. p. 65.

414 Cour eur. D.H., Capeau c. Belgique, précité note68 ; Pandy c. Belgique, précité note61. 153

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disposition pénale qui vise directement sa protection. Seule la diffamation, qui réprime les atteintes à l’honneur dont fait partie la violation de la présomption d’innocence, est prévue par le droit pénal. Sur ce point, la Cour a admis la nécessité de réagir lorsqu’elle juge qu’il est « loisible aux autorités compétentes de l’État d’adopter, en leur qualité de garantes de l’ordre public, des mesures, même pénales, destinées à réagir de manière adéquate et non excessive à des imputations diffamatoires dénuées de fondement ou formulées de mauvaise foi »415.

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