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L’article 10 § 2 CEDH prévoit expressément que l’exercice des libertés découlant de la liberté d’expression comporte des devoirs et des respon-sabilités. À la différence des autres libertés, pour lesquelles la Convention prévoit une clause de restriction (tel que l’article 8 § 2 CEDH), la subordi-nation de l’exercice de la liberté d’expression à des devoirs et à des respon-sabilités s’explique par le pouvoir de l’information et les impacts que peut avoir celle-ci238. À cet égard, la Cour a énoncé que « quiconque se prévaut de sa liberté d’expression assume des devoirs et des responsabilités ; leur étendue dépend de sa situation et du procédé utilisé ; la Cour ne saurait la perdre de vue en contrôlant la nécessité de la sanction incriminée dans une société démocratique »239.

Pour ce qui est de la liberté de la presse, il convient de mentionner la résolution n° 1003 relative à l’éthique du journalisme de l’Assemblée parle-mentaire, qui établit les principes applicables à l’exercice de ladite liberté240. Sur le plan jurisprudentiel, c’est depuis l’arrêt Jersild c. Danemark – qui portait sur la condamnation d’un journaliste pour complicité dans la diffu-sion de propos racistes dans le cadre d’un reportage télévisé – que la Cour assujettit expressément les journalistes à un comportement responsable

236 S. van drooGHenBroecK, « L’article 17 de la Convention européenne des droits de l’homme : Incertain et inutile ? », in Pas de liberté pour les ennemis de la liberté. Groupements liberticides et droit, H. dumont, p. mandoux, a. Strowel, F. tulKenS (éd.), Bruylant, Bruxelles, 2000, p. 139–197, spéc. p. 163.

237 Terminologie empruntée à van drooGHenBroecK, précité note236, p. 158.

238 pinto, précité note193, p. 102. V.a. oetHeimer, précité note211, p. 82.

239 Cour eur. D.H., Handyside c. Royaume-Uni, précité note199, § 49 ; Müller et autres c. Suisse, précité note197, § 34.

240 Résolution n° 1003 relative à l’éthique du journalisme adoptée par l’Assemblée parlemen-taire le 1er juillet 1993.

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qui tienne compte des conséquences des informations qu’ils véhiculent241. De même, dans l’arrêt Colombani et autres c. France – condamnation du journal Le Monde pour avoir révélé que le roi du Maroc était impliqué dans un trafic de drogue à destination de la France, ce qui constitue un délit d’offense envers un chef d’État étranger –, la Cour a exprimé qu’« en raison des ‹ devoirs et responsabilités › inhérents à l’exercice de la liberté d’expression, la garantie que l’article 10 [CEDH] offre aux journalistes en ce qui concerne les comptes rendus sur des questions d’intérêt général est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le res-pect de la déontologie journalistique »242. En somme, la Cour « attache une importance particulière aux devoirs et responsabilités de ceux qui usent de leur droit à la liberté d’expression, notamment ceux des journalistes »243. L’action de mettre en cause, sans équivoque possible, des personnes en indiquant leur nom et leur fonction comporte ainsi l’obligation d’apporter une base factuelle suffisante. La Cour veille donc à ce que soient fournies, dans le respect de la déontologie journalistique, des informations exactes et dignes de crédit244. Au fond, elle insiste sur le fait que les journalistes, en tant que professionnels, doivent faire preuve de la plus grande pru-dence dans l’exercice de leur métier, en évaluant les risques éventuels résultant de leurs actes245. Ils sont ainsi soumis à l’obligation de diffuser des informations dignes de crédit, obligation qui s’explique par le besoin de protéger le public contre toute forme de manipulation ou de désinfor-mation246. En effet, comme il ressort de la jurisprudence de la Cour, « ces considérations jouent un rôle particulièrement important de nos jours,

241 Cour eur. D.H., Jersild c. Danemark, précité note222, § 31.

242 Cour eur. D.H., Colombani et autres c. France, du 25 juin 2002, n° 51279/99, § 65 ; Fressoz et Roire c. France, précité note219, § 54, ; Eerikäinen et autres c. Finlande, du 10 février 2009, n° 3514/02, § 60.

243 V.a. Cour eur. D.H., Unabhängige Initiative Informationsvielfalt c. Autriche, du 26 février 2002, n° 28525/95, § 42 et Gutiérrez Suárez c. Espagne, du 1er juin 2010, n° 16023/07,

§ 35.

244 Cour eur. D.H., Radio France et autres c. France, précité note178, § 37 ; Colombani et autres, précité note242, § 65 ; McVicar c. Royaume-Uni, du 7 mai 2002, n° 46311/99, § 83–86 ; Cumpãnã et Mazãre c. Roumanie, du 17 décembre 2004, n° 33348/96, § 101–107 ; Lešník c. Slovaquie, du 11 mars 2003, n° 35640/97, § 57 in fine ; Vides Aizsardzības Klubs c.

Lettonie, du 27 mai 2004, n° 57829/00, § 44; Goodwin c. Royaume-Uni, précité note205,

§ 39 ; Fressoz et Roire c. France, précité note219, § 54.

245 Cour eur. D.H., Cantoni c. France, du 15 novembre 1996, n° 17862, § 35.

246 F. lYn, « Le conflit entre la liberté d’expression et la protection de la réputation ou des droits d’autrui : la recherche d’un ‹ juste équilibre › par le juge européen », Recueil Dalloz, 2006, n° 43, p. 2953–2959, p. 2954.

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vu le pouvoir qu’exercent les médias dans la société moderne, car non seulement ils informent, mais ils peuvent en même temps suggérer, par la façon de présenter les informations, comment les destinataires devraient les apprécier. Dans un monde dans lequel l’individu est confronté à un immense flux d’informations, circulant sur des supports traditionnels ou électroniques et impliquant un nombre d’auteurs toujours croissant, le contrôle du respect de la déontologie journalistique revêt une importance accrue »247. Aujourd’hui, la Cour insiste davantage sur ces devoirs et ces responsabilités, en statuant que « malgré le rôle essentiel qui revient aux médias dans une société démocratique, les journalistes ne sauraient en principe être déliés, par la protection que leur offre l’article 10 [CEDH], de leur devoir de respecter les lois pénales de droit commun. Le paragraphe 2 de l’article 10 [CEDH] pose d’ailleurs les limites de l’exercice de la liberté d’expression, qui restent valables même quand il s’agit de rendre compte dans la presse de questions sérieuses d’intérêt général »248.

Dans sa recommandation sur une nouvelle conception des médias, le Comité des Ministres énumère les responsabilités incombant aux médias, en précisant que « la fonction de « chien de garde » des médias (…) est contrebalancée par une exigence de diligence accrue à l’égard des infor-mations factuelles »249.

Malgré tout, le non-respect de ces devoirs et de ces responsabilités n’est pas en soi un motif de déchéance de la liberté d’expression, mais simple-ment un critère à prendre en compte afin de déterminer le besoin, dans une société démocratique, de restreindre cette liberté250. Néanmoins, la Cour a déjà conclu à la nécessité d’intervenir lorsque les journalistes n’ont pas observé leurs devoirs et leurs responsabilités251.

Enfin, même si, selon la Commission, « (…) la référence aux ‹ devoirs et responsabilités › faite à l’article 10 § 2 [CEDH] (…) doit s’interpréter à la lumière du critère de société démocratique évoqué par cette disposi-tion »252, le contenu des devoirs et des responsabilités des journalistes est

247 Cour eur. D.H., Stoll c. Suisse, du 10 décembre 2007, n° 69698/01, § 104.

248 Ibidem, § 102. V.a. Fressoz et Roire c. France, précité note219, § 52.

249 R (2011)7, précité note203, § 84.

250 Y. Galland, « Les obligations des journalistes dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », RTDH 2002, p. 853–874, p. 855. En ce sens v. Cour eur. D.H., Thorgeir Thorgeirson c. Islande, précité note206, § 64.

251 Cour eur. D.H., Verdens Gang et Aase c. Norvèrge, du 16 octobre 2001, n° 45710/99 ; Dilipak c. Turquie (n° 3), du 23 septembre 2008, n° 29413/05.

252 Commission eur. D.H., rapport Vogt c. Allemagne, du 30 novembre 1993, n° 17851/91,

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loin d’être clair. Certes, il leur incombe de vérifier de bonne foi l’exactitude de l’information qu’ils divulguent, qui doit être digne de crédit, mais aucun critère défini, pouvant déterminer, pour chaque cas, si ces obligations ont été satisfaites, ne ressort vraiment de ladite disposition. Cependant, le renvoi aux règles déontologiques, qui peut paraître défiant de prime abord, permet néanmoins de cadrer l’activité journalistique. Enfin, « l’étendue [‹ des devoirs et des responsabilités ›] dépend de la situation et du procédé technique utilisé »253.

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