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b) La concordance pratique dans la jurisprudence de la Cour

5. Le conflit entre la liberté d’expression et la présomption d’innocence

5.2. L’approche de la Cour vis-à-vis du conflit proprement dit

5.2.2. Le conflit horizontal

En général, les conflits entre la liberté d’expression et la présomption d’innocence sont portés devant la Cour par le journaliste qui invoque la violation de l’article 10 CEDH. C’est surtout cet aspect-là qui nous inté-resse, puisqu’il s’agit d’un conflit de droits fondamentaux entre privés.

Le jugement national aboutissant à la condamnation du journaliste viole l’obligation négative de l’État de ne pas restreindre l’article 10 CEDH. Le fait qu’un tiers soit impliqué est d’importance mineure, même dans les cas où l’intervention de tiers au procès en tant qu’amici curiae est admise617. Du fait de l’interférence active de l’État, la situation est souvent examinée du point de vue de la relation classique entre un État et une personne et, partant, comme la conciliation entre un droit et sa restriction. La protection d’un autre droit618 est présentée par l’État en tant que justification de cet empiétement et est admise par la Cour comme un but légitime, mais il reste la question de la proportionnalité. Ce faisant, même si elle constate l’existence du but légitime qu’est la protection des droits d’autrui – notamment la protection de la réputation –, la Cour parvient, lorsqu’il s’agit d’une question d’intérêt général, le plus souvent à la conclusion qu’une telle restriction n’est pas justifiée, considérant que la balance penche davantage du côté de la liberté d’expression (qui englobe à la fois la liberté de la presse et le droit d’être informé) et en insistant ainsi sur l’importance de l’information dans une société démocratique619. Pourtant, l’attention accrue accordée à la liberté d’expression du journaliste requérant s’en trouve amoindrie lorsque la Cour reconnaît qu’il s’agit d’un conflit de droits conventionnels. Dans ce cas, celle-ci détermine les droits conventionnels qui s’opposent à la liberté de la presse – à savoir la présomption d’innocence, garantie à l’article 6 § 2 CEDH, et la réputation, garantie à l’article 8 § 1 CEDH –, sans les qualifier de buts légitimes de restriction de la liberté d’expression, afin de garantir, d’une part, l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire et, de l’autre, la protection de la réputation au sens de l’article 10 § 2 CEDH620. En effet, la Cour semble depuis peu accorder plus d’importance à cet effet horizontal.

Dans les affaires « qui nécessitent une mise en balance du droit au respect de la vie privée et du droit à la liberté d’expression, elle considère que

617 Article 36 § 2 CEDH ; Cour eur. D.H., Von Hannover c. Allemagne, précité note160. 618 Tel que l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ou la protection de la réputation ou

des droits d’autrui.

619 ducoulomBier, précité note502, p. 57. V.a. Cour eur. D.H., Voskuil c. Pays-Bas, du 22 novembre 2007, n° 64752/01 dont l’auteur cite à titre d’exemple.

620 V.n. ducoulomBier, précité note502, p. 182.

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l’issue de la requête ne saurait en principe varier selon qu’elle a été portée devant elle, sous l’angle de l’article 8 de la Convention, par la personne faisant l’objet du reportage ou, sous l’angle de l’article 10 [CEDH], par l’éditeur qui l’a publié ». Elle estime en outre que « ces droits méritent a priori un égal respect »621.

Afin de pouvoir déterminer lequel de ces droits prévaut dans la juris-prudence strasbourgeoise, il convient d’observer la position de la Cour face à une telle situation horizontale.

Dans l’affaire Dimitrijevs c. Lettonie, le requérant avait été qualifié de meurtrier dans un livre et alléguait donc que le chef de publication dudit ouvrage avait violé l’article 6 § 2 CEDH, car la parution de l’écrit – et, partant, la dénonciation – s’était produite avant le jugement. La maison d’édition étant une société privée, la Cour a conclu à l’irrecevabilité ratione personae en considérant que « les autorités étatiques ne peuvent en principe pas être tenues responsables des actes des personnes privées »622.

La Cour a expressément refusé d’analyser le problème en termes de conflit entre les articles 10 et 8 CEDH dans l’affaire Lingens c. Autriche. Ce cas d’espèce portait sur la condamnation pour diffamation d’un journa-liste qui avait reproché à un chancelier sa complaisance envers d’anciens nazis, notamment la protection qu’il offrait à d’anciens SS pour des motifs politiques. La Cour a toutefois admis que la restriction était justifiée par la protection de la réputation623.

L’arrêt Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège concernait de nouveau la condamnation pour diffamation d’une société de presse et de son éditeur, qui avaient non seulement publié plusieurs articles sur la chasse au phoque ainsi qu’un rapport officiel secret dénonçant une série de violations de la réglementation y relative, mais qui avaient aussi formulé, contre cinq membres de l’équipage d’un navire, nommément désignés, des accusations d’actes de cruauté envers des animaux et de voies de fait sur personnes. Analysant à nouveau le litige et le considérant à présent comme un cas classique de restriction de l’article 10 CEDH, la Cour a précisé que la liberté d’expression garantit avant tout l’intérêt public à être informé et a statué qu’elle « ne saurait conclure que l’intérêt incontesté des membres de l’équipage à ce que leur réputation fût protégée l’emportait

621 Cour eur. D.H., Von Hannover c. Allemagne (n° 2), précité note161, § 106.

622 Cour eur. D.H., Dimitrjevs c. Lettonie du 7 novembre 2002, n° 62390/00.

623 Cour eur. D.H., Lingens c. Autriche, précité note200, § 38 ; dans son opinion concordante, le Juge vilHJálmSSon a souligné que la Cour aurait dû se référer explicitement à l’article 8 pour interpréter l’article 10.

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sur l’intérêt général essentiel qu’il y avait à ce que se tînt un débat public bien documenté sur une question importante au plan local, national aussi bien qu’international ». Elle en a donc conclu que l’ingérence à la liberté d’expression n’était pas « nécessaire dans une société démocratique »624.

Dans l’affaire Oberschlick c. Autriche625, la Cour s’est prononcée sur la cause d’un journaliste qui avait été condamné pour avoir publié une plainte déposée contre un homme politique. Rappelant la place fonda-mentale de la liberté d’expression626, en particulier si celle-ci est exercée par la presse627, la Cour a précisé que « si [la presse] ne doit pas franchir les bornes fixées en vue, notamment, de « la protection de la réputation d’autrui » », elle peut « néanmoins (…) communiquer des informations et des idées sur les questions politiques ainsi que sur les autres thèmes d’intérêt général »628. Pour le surplus, elle a indiqué que « les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, agis-sant en sa qualité de personnage public, que d’un simple particulier »629. La Cour a en outre rappelé les conditions à respecter pour justifier une ingérence dans la liberté de la presse, ingérence dont le but légitime est la sauvegarde de la réputation d’autrui ou encore la garantie de l’indépen-dance et de l’impartialité du pouvoir judiciaire à l’égard de la présomption d’innocence. Parmi celles-ci figure l’exigence selon laquelle l’ingérence doit être nécessaire dans une société démocratique. Par rapport à cette dernière exigence, la Cour a réitéré, en se référant à l’affaire Sunday Times c. Royaume-Uni630, que la liberté d’expression est assortie d’exceptions qui commandent une interprétation restrictive, et que le besoin de limiter cette liberté doit être établi de manière convaincante631. En outre, elle a souligné que toute restriction préalable à la publication appelle de sa part l’examen le plus scrupuleux, notamment en ce qui concerne la presse. Étant donné que l’information est un bien éphémère, une suspension de la publication, même pendant un laps de temps très court, compromettrait sa valeur et son intérêt632. De surcroît, il n’appartient qu’au journaliste de décider

624 Cour eur. D.H., Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège, précité note173, § 73.

625 Cour eur. D. H., Oberschlick c. Autriche (n° 1), précité note200. 626 Ibidem, § 57.

627 Ibidem, § 58.

628 Ibidem, § 58.

629 Ibidem, § 59.

630 Cour eur. D.H., Sunday Times c. Royaume-Uni (n° 1), précité note192, § 65.

631 Cour eur. D.H., Oberschlick c. Autriche (n° 1), précité note200, § 60.

632 a. BucHet, « La présomption d’innocence au regard de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales » in La Présomption d’innocence en droit

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quelle technique de compte rendu il doit utiliser633. Toujours est-il que la liberté d’expression, quoique très bien protégée, ne peut être exercée de manière déraisonnable. Néanmoins, considérant que la publication de la plainte contribuait à un débat public sur une question d’intérêt général, la Cour a conclu que « l’ingérence (…) à la liberté d’expression n’était pas « nécessaire, dans une société démocratique (…), à la protection de la réputation (…) d’autrui » »634. À cet égard, le Juge maTscher a fait part de son regret dans son opinion dissidente, considérant que la Cour n’avait pas tenu compte du fait qu’en l’espèce le journaliste « ne s’est pas livré à une critique de ce genre. Il a choisi un autre moyen : déposer auprès de l’autorité compétente, et le jour même de la parution de son hebdomadaire, une plainte pénale contre X – plainte pénale dans laquelle il accusait celui-ci des crimes les plus graves – et publier simultanément dans son journal le fac-similé de cette plainte, donnant ainsi l’impression, en tout cas au lecteur moyen, qu’une procédure pénale avait effectivement été engagée contre X »635.

Dans une série d’arrêts ultérieurs, les organes de Strasbourg, tout en protégeant la liberté d’information, ne sont pas restés indifférents quant au besoin de prévoir certaines restrictions vis-à-vis de la liberté d’expression.

De cette manière, dans l’affaire Fermin Bocos Rodriguez c. Espagne636, la Commission avait déclaré irrecevable la requête d’un journaliste condamné pour avoir imputé un crime à des personnes citées dans des articles non signés. Sa décision a été fondée sur l’absence d’authenticité et, plus exac-tement, de « rigueur professionnelle » de la part du journaliste dans son travail d’investigation.

Dans l’affaire Worm c. Autriche637, de même nature, la Commission a conclu, au contraire, à la violation de l’article 10 CEDH. Monsieur Worm, journaliste, couvrait le procès d’un ancien ministre des Finances, Monsieur Androsch, qui faisait l’objet de poursuites pour fraude fiscale. Dans un compte rendu d’audience paru avant le prononcé du jugement, il a jugé

paré, Colloque organisé par le Centre français de droit comparé à la Cour de cassation, Paris, le 16 janvier 1998, p. 27–35, spéc. p. 33.

633 Cour eur. D.H., Jersild c. Danemark, précité note222, § 31 ; Bladet Tromsø et Stensaas c.

Norvège, précité note173, § 63 ; Selisto c. Finlande, du 16 novembre 2004, n° 56767/00,

§ 59 ; Eerikäinen c. Finlande, précité note242, § 65.

634 Cour eur. D.H., Oberschlick c. Autriche (n° 1), précité note200, § 64.

635 Opinion en partie dissidente de Juge matScHer, approuvée par Juge BindScHedler-roBert, relative à Oberschlick c. Autiche (n° 1), précité note200.

636 Commission eur. D.H., Fermin Bocos Rodriguez c. Espagne, du 12 avril 1996, n° 28236/95.

637 Commission eur. D.H., rapport Worm c. Autriche, du 23 mai 1996, n° 22714/93.

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l’ancien ministre coupable, ce qui lui a valu une condamnation pour influence abusive sur une procédure pénale en cours. Dans son rapport, la Commission a considéré que la condamnation du journaliste n’était pas

« nécessaire dans une société démocratique »638 pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire, car elle était disproportionnée par rapport au but légitime fixé. Elle a estimé que la Cour d’appel de Vienne n’avait pas « dûment mis en balance l’intérêt public à empêcher les médias d’exercer une influence abusive sur une procédure pénale en cours avec l’intérêt public à recevoir des informations relatives à la conduite d’un ancien ministre des Finances, accusé de fraude fiscale »639. Néanmoins, la Cour, qui a par la suite été saisie de cette affaire640, a statué qu’il n’y avait pas de violation de la liberté d’expression. D’après elle, la condamnation du journaliste était justifiée puisque ce dernier avait clairement donné son avis sur la culpabilité de l’accusé et que, partant, son article pouvait, dans une certaine mesure, influencer l’issue du procès641.

Nous sommes d’avis que la Cour aurait dû juger la cause sous l’angle des droits d’autrui, particulièrement du point de vue du droit à un procès équitable, au lieu d’examiner l’ingérence par rapport à la protection de l’autorité et de l’impartialité du pouvoir judiciaire, comme berThe le lui reproche à juste titre642. Elle aurait pu non seulement exposer la méthode qu’elle envisageait d’adopter en vue de concilier les libertés en conflit, mais aussi indiquer l’équilibre à atteindre entre la liberté d’expression et le droit à un procès équitable. Elle a néanmoins reconnu l’incompatibilité qui existe entre l’article 10 et l’article 6 CEDH in abstracto643.

Dans le cas ultérieur de News Verlags c. Autriche644, la Cour semble s’écar-ter de la démarche adoptée dans l’affaire Worm en réaffirmant la primauté

638 Ibidem, § 44.

639 Ibidem, § 43.

640 Cour eur. D.H., Worm c. Autriche, précité note348, § 52.

641 V. a. Cour eur. D.H., Stögmüller c. Autriche, précité note101.

642 a. BertHe, « Le compte-rendu d’audience et l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire » (observations sous Cour eur. D.H., arrêt Worm), RTDH, 1998, n° 35, p. 619 sq. p. 631.

643 Cour eur. D.H., Worm c. Autriche, précité note348, § 50: « comme tout un chacun, les personnalités connues sont en droit de bénéficier d’un procès équitable tel que garanti à l’article 6, ce qui, en matière pénale, comprend le droit à un tribunal impartial. Les jour-nalistes qui rédigent des articles sur des procédures pénales en cours doivent s’en souve-nir, car les limites du commentaire admissible peuvent ne pas englober des déclarations qui risqueraient, intentionnellement ou non, de réduire les chances d’une personne de bénéficier d’un procès équitable ou de saper la confiance du public dans le rôle tenu par les tribunaux dans l’administration de la justice pénale ».

644 Cour eur. D.H., News Verlags GmbH & Co. c. Autriche, du 11 janvier 2000, n° 31457/96,

§ 54–58 ; v.a. Du Roy et Malaurie c. France, précité note345.

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de la liberté de la presse et du droit du public à recevoir des informations ; elle renverse ainsi l’équilibre au détriment du droit à un procès équitable et du besoin de maintenir la confiance publique dans les autorités judiciaires.

L’affaire portait sur la licéité d’une injonction qui avait été adressée à un magazine dans le but de lui interdire la publication de photographies d’un suspect. Les tribunaux autrichiens avaient jugé que cette interdiction était justifiée et nécessaire pour que la présomption d’innocence et la protection de la réputation soient respectées, même si d’autres médias, n’étant pas destinataires de ladite interdiction, ne se gênaient pas pour publier ces images. La Cour a statué que l’ingérence à la liberté de la presse était contraire à la Convention, à défaut de proportionnalité entre le but et la mesure645. Le fait qu’elle ait reconnu qu’une telle interdiction de publier puisse être justifiée dans certains cas signifie, selon Lemmens et drooghen

-broecK, qu’elle ne s’est pas écartée de la position de principe qu’elle avait adoptée dans l’affaire Worm646. Selon ces deux auteurs, face à un tel conflit entre liberté de la presse et présomption d’innocence, la Cour, après hési-tation, a décidé, dans l’affaire News Verlags c. Autriche, de faire prévaloir la liberté de la presse.

De même, dans l’affaire Krone Verlag c. Autriche, elle a jugé qu’une injonction judiciaire interdisant la publication de photographies d’un poli-ticien dans le cadre d’une campagne de presse qui l’accusait d’encaisser des revenus illégaux constituait une violation de l’article 10 CEDH647.

Dans son arrêt Du Roy et Malaurie c. France, la Cour, tout en insistant sur le devoir des journalistes de respecter la présomption d’innocence, a suivi le même raisonnement que dans l’affaire News Verlags c. Autriche et a donc jugé qu’une loi aussi absolue et générale ne saurait « entrave[r]

le droit de la presse à informer le public sur des sujets qui peuvent être d’intérêt public »648. En l’espèce, le litige porté devant la Cour consistait en la condamnation du journaliste pour un article mettant en cause l’ancien dirigeant d’une société de construction et de logement pour les travail-leurs immigrés, qui faisait alors l’objet d’une plainte pour « abus de biens

645 Cour eur. D.H., News Verlags c. Autriche, précité note644, § 47–60.

646 lemmenS/van drooGHenBroecK, précité note359, p. 135–136. V.a. M. levinet, « Le droit au respect de l’image », in Le droit au respect de la vie privée au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, Actes du colloque des 26 et 27 novembre 2004, orga-nisé par l’institut européen des droits de l’homme, Faculté de droit, Université Montpellier I, p. 179–192.

647 Cour eur. D.H. Krone Verlag GmbH& Co. Kg c. Autriche, précité note163, § 35.

648 Cour eur. D.H. Du Roy et Malaurie c. France, précité note345, § 35.

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sociaux » émise par la nouvelle direction de la société avec constitution de partie civile.

Or, dans l’affaire Tourencheau et July c. France, tout comme dans l’affaire Worm, le respect de la présomption d’innocence a primé sur les reven-dications de la liberté de la presse649. L’objet de la requête portait sur la condamnation d’un journaliste du fait d’un article intitulé « Amour d’ados planté d’un coup de couteau » dans le quotidien Libération, où il relatait les faits relatifs au meurtre d’une jeune fille assassinée, dont l’instruction pénale était encore en cours. L’article décrivait les événements et la relation des deux suspects mis en examen, et reproduisait les pièces du dossier d’instruction. Après avoir constaté que le journaliste, qui n’avait jamais lu le dossier, avançait la culpabilité d’un des suspects au profit de l’autre, la Cour a jugé que « (…) les motifs avancés par les juridictions françaises pour justifier l’ingérence dans le droit des requérants à la liberté d’expression découlant de leur condamnation étaient « pertinents et suffisants » aux fins de l’article 10 § 2 CEDH. Surtout, elle considère que l’intérêt des requérants à communiquer et celui du public à recevoir des informations au sujet du déroulement d’une procédure pénale et sur la culpabilité des personnes mises en examen, alors que l’instruction judiciaire n’était pas terminée, n’étaient pas de nature à l’emporter sur les considérations invoquées par les juridictions. En effet, celles-ci ont souligné les conséquences néfastes d’une diffusion de l’article incriminé sur la protection de la réputation et des droits de A et de B et de leur présomption d’innocence, ainsi que sur l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. Compte tenu de ces conséquences, la Cour estime que les autorités nationales étaient dès lors en droit de considérer qu’il existait un ‹ besoin social impérieux › »650.

Le jugement de la Cour dans l’affaire Tourencheau et July c. France diffère de celui de l’affaire Du Roy et Malaurie c. France, bien qu’une interdiction de publication de caractère général et absolu soit en cause dans les deux cas. À cet égard, les Juges cosTa, TuLKens et Lorenzen soulignent, dans leur opi-nion dissidente commune, l’inconsistance du raisonnement de la Cour, en précisant que la condamnation du journaliste qui lui avait été soumise en l’espèce n’était pas motivée par le contenu de l’article, mais par la violation de l’interdiction absolue de publication qui était en vigueur à ce stade de la procédure651. Au surplus, ils considèrent que le raisonnement adopté dans

649 Cour eur. D.H. Tourancheau et July c. France, précité note348. 650 Ibidem, § 76.

651 Opinion dissidente commune des Juges coSta, tulKenS et lorenZen relative à l’affaire Tou-rancheau et July c. France, précité note348.

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l’affaire Worm ne devrait pas être employé non plus, puisque, d’après eux, l’article litigieux ne contenait aucune atteinte à la présomption d’innocence ni aucun élément susceptible d’influencer le procès pénal en cours.

Cette critique est d’autant plus justifiée que, dans une affaire plus récente, l’application automatique d’une interdiction de publication a été jugée comme constituant une violation de la liberté d’expression. Il s’agit de l’affaire Pinto Coelho c. Portugal, qui concernait la condamnation pénale d’une journaliste pour avoir montré, pendant un reportage télévisé, des copies des pièces d’une procédure judiciaire en cours à l’encontre de l’ancien directeur général de la police judiciaire652.

Tout compte fait, si une proscription générale de l’interdiction absolue de publication pourrait être souhaitable au nom de la cohérence juris-prudentielle, il est aussi vrai qu’un tel raisonnement rendrait encore plus difficile l’effort des autorités nationales d’assurer de manière efficace la confidentialité des phases préliminaires des procédures pénales en cours653.

Tout compte fait, si une proscription générale de l’interdiction absolue de publication pourrait être souhaitable au nom de la cohérence juris-prudentielle, il est aussi vrai qu’un tel raisonnement rendrait encore plus difficile l’effort des autorités nationales d’assurer de manière efficace la confidentialité des phases préliminaires des procédures pénales en cours653.

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