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La distinction entre ces deux types d’éléments est importante car « si la matérialité des premiers peut se prouver, les seconds ne se prêtent pas à

420 nicoSia, précité note395, p. 241.

421 emmerSon/aSHwortH/mcdonald, précité note48, p. 326.

422 Cour eur. D.H., Lingens c. Autriche, précité note200. V.a. De Haes et Gijsels c. Belgique, précité note218.

423 Parmi plusieurs v. Cour eur. D.H., Oberschlick c. Autriche (n° 1), précité note200, § 63 ; Feldek c. Slovaquie, du 12 juillet 2001, n° 29032/95, § 75 ; Schwabe c. Autriche, du 28 août 1992, n° 13704/88, § 34.

424 Cour eur. D.H., Feldek c. Slovaquie, précité note423, § 83–86 ; a/s Diena et Ozoliņš c. Let-tonie, du 12 juillet 2007, n° 16657/03, § 77.

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une démonstration de leur exactitude »425. Ainsi, il est admissible que les jugements de valeur soient, dans certaine mesure, critiques, pour autant que les allégations ne s’avèrent pas disproportionnées par rapport au droit protégé. La Cour a ajouté que, même s’ils doivent en principe être formulés sans recours à des expressions offensives, les jugements de valeur peuvent être exprimés librement, même avec des mots épineux, pour autant qu’ils reposent sur une base factuelle véridique426.

Suivant la jurisprudence strasbourgeoise, « la qualification d’une déclaration en fait ou en jugement de valeur relève en premier lieu de la marge d’appréciation des autorités nationales, notamment des juridictions internes »427. En effet, le pouvoir discrétionnaire accordé aux États contrac-tants peut s’expliquer par le fait que le caractère attentatoire à l’honneur ou simplement offensif est souvent déterminé selon les identités culturelles et nationales428. macdonaLd résume cet arrêt en considérant que la législa-tion sur les atteintes à l’honneur ou à la considéralégisla-tion des personnes doit protéger les jugements de valeur429.

Dans l’affaire Scharsach et News Verlagsgesellschaft c. Autriche – condam-nation pour diffamation suite à la publication d’un article qui critiquait les membres d’un parti politique pour avoir défendu des idées néonazies –, la Cour a précisé l’importance de cette distinction en termes de preuves en relevant « qu’il peut se révéler difficile de déterminer si des propos constituent un jugement de valeur ou une déclaration de fait »430. Elle se réfère ainsi à sa jurisprudence qui établit qu’« un jugement de valeur doit se fonder sur une base factuelle suffisante pour constituer une assertion objective au regard de l’article 10 [CEDH] »431, déterminant que « la

diffé-425 Cour eur. D.H., Lingens c. Autriche, précité note200, § 46; De Haes et Gijsels, précité note218, § 42 ; Brasilier c. France, du 11 avril 2006, n° 71343/01, § 35.

426 Cour eur. D.H., Tammer c. Estonia, précité note165, § 67 portant sur les affirmations d’un journaliste à l’encontre de la femme d’un ancien Premier ministre, qui avait aussi joué un rôle public. Étant donné le caractère offensif et dénigrant des propos utilisés, la Cour a jugé que la condamnation du journaliste ne constituait pas une violation de l’article 10 CEDH.

427 Cour eur. D.H., Prager et Oberschlick, précité note217, § 36.

428 ZiHler, précité note150, p. 72–73.

429 r. St.J. macdonald, « Politicians and the press », in Protection des droits de l’homme : la dimension européenne, Mélanges en l’honneur de G.J. wiarda, C. Heymann, Cologne, p. 361–373, spéc. p. 367 et 372.

430 Cour eur. D.H., Scharsach et News Verlagsgesellschaft c. Autriche, du 13 novembre 2003, n° 39394/98, § 40.

431 Cour eur. D.H., De Haes et Gijsels, précité note218, § 47; Jerusalem c. Autriche, du 27 février 2001, n° 26958/95, § 43.

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rence tient finalement au niveau de la preuve factuelle à établir »432. Qu’il s’agisse de jugements de valeur ou de faits, le journaliste doit prouver l’existence d’une base factuelle suffisante433.

Si on suit le dernier courant jurisprudentiel de la Cour, le journaliste doit « s’appuyer sur une base factuelle suffisamment précise et fiable qui pût être tenue pour proportionnée à la nature et à la force de leur allégation, sachant que plus l’allégation est sérieuse, plus la base factuelle doit être solide »434. Fournir la preuve d’une base factuelle suffisante équivaudrait pour le journaliste à faire valoir l’exceptio veritatis. A contrario, une allégation factuelle grave non prouvée ou dépourvue de base suffisante justifierait l’ingérence étatique dans l’exercice de la liberté d’expression.

La Cour a ainsi conclu, dans l’affaire Pedersen et Baadsgaard c. Danemark, qui portait sur la condamnation de journalistes ayant accusé un haut fonc-tionnaire de police d’avoir supprimé à dessein un élément déterminant dans une enquête d’homicide, que l’article 10 CEDH n’avait pas été violé, malgré l’existence d’une base factuelle suffisante. En effet, les requérants n’avaient pas prouvé l’exactitude de leurs allégations435.

Dans l’affaire Stângu et Scutelnicu c. Roumanie, portant sur la condamna-tion pour diffamacondamna-tion de journalistes qui avaient écrit des articles accusant de corruption l’ancien chef du service de la police judiciaire, la Cour a fait le même constat, cette fois-ci en raison de l’absence totale de base factuelle436.

Saisie d’un litige similaire – l’affaire Flux (n° 1) c. Moldavie –, la Cour a néanmoins conclu à la violation de l’article 10 CEDH, même si le journa-liste condamné pour diffamation n’avait pas apporté la preuve d’une base factuelle. En l’espèce, elle a tenu compte du temps écoulé entre les faits et le procès ainsi que de la difficulté à apporter une telle preuve dans ce cas437.

Quoi qu’il en soit, la Cour admet elle-même que « lorsqu’il s’agit d’allé-gations sur la conduite d’un tiers, il peut parfois s’avérer difficile de tracer

432 Cour eur. D.H., Scharsach et News Verlagsgesellschaft c. Autriche, précité note430, § 40 in fine.

433 Avec la réserve d’incidence que peut avoir cette exigence sur le respect du secret des sources journalistiques. Compte tenu de la délimitation du sujet, nous laissons ouverte la question de savoir si le devoir du journaliste d’apporter la preuve d’une base factuelle solide pour étayer ses allégations litigieuses est compatible ou non avec la protection du secret des sources journalistiques.

434 Cour eur. D.H., Pedersen et Baadsgaard c. Danemark, précité note265, § 78 ; Rumyana Ivanova c. Bulgarie, du 14 février 2008, n° 36207/03, § 64.

435 Cour eur. D.H., Pedersen et Baadsgaard c. Danemark, précité note265, § 51.

436 Cour eur. D.H., Stângu et Scutelnicu c. Roumanie, du 31 janvier 2006, n° 53899/00, § 58.

437 Cour eur. D.H., Flux c. Moldavie (n° 1), du 20 novembre 2007, n° 28702/03, § 31–35.

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une ligne de partage nette et précise entre ces deux catégories »438. Lorsqu’il est difficile d’établir cette distinction, la Cour précise qu’« il convient de dissocier l’aspect factuel des éléments de jugement subjectif, pour les ana-lyser séparément »439. Par ailleurs, le manquement des autorités nationales à leur devoir d’évaluer de manière suffisante la preuve des allégations constitue en soi une violation de l’article 10 CEDH440.

Dès lors, d’après la Cour, étant donné que la contribution au débat public suscite des préoccupations légitimes et qu’une question d’intérêt général « appelle une interprétation étroite »441, la presse « doit en principe pouvoir s’appuyer sur des rapports officiels sans avoir à entreprendre des recherches indépendantes »442. Il en va de même lorsque le journaliste reprend « un article détaillé et documenté et une interview, à paraître dans un hebdomadaire dont le sérieux n’est pas en cause »443. Saisie d’une affaire concernant la condamnation de journalistes pour diffamation, la Cour a examiné si « les requérants ont agi de bonne foi et se sont conformés à l’obligation ordinaire de vérifier une déclaration factuelle »444.

Enfin, en ce qui concerne l’exigence de la preuve de la vérité et le ren-versement du fardeau de la preuve, la Cour a jugé, dans l’affaire McVicar c. Royaume-Uni, qui portait sur la compatibilité de l’exigence de la preuve de la vérité avec la Convention, que l’obligation incombant au défendeur de l’action en diffamation de prouver, selon le critère applicable en matière civile, que les allégations diffamatoires étaient conformes à la vérité n’était pas contraire à l’article 10 CEDH445. Elle a d’ailleurs réitéré cette position à plusieurs reprises446, en précisant que le défendeur de l’action en

diffa-438 Cour eur. D.H., a/s Diena et Ozoliņš c. Lettonie, précité note424, § 67. V.a. Vides Aizsardzības Klubs c. Lettonie, précité note244, § 43, et Cumpănă et Mazăre c. Roumanie, précité note244,

§ 99.

439 Cour eur. D.H., Diena et Ozoliņš c. Lettonie, précité note424, § 79.

440 Cour eur. D.H., Dalban c. Roumanie, du 28 septembre 1999, n° 28114/95, § 50 où un journaliste dénonçait la gestion du patrimoine d’État et la manière dont les hommes poli-tiques remplissent leur mandat, la Cour en estiman que rien ne prouvait que les faits décrits dans les articles étaient totalement faux et servaient à alimenter une campagne diffamatoire,a conclu à la violation de l’article 10 CEDH. V.a. Boldea c. Roumanie, du 15 février 2007, n° 19997/02, § 60.

441 Cour eur. D.H., Paturel c. France, du 22 décembre 2005 n° 54968/00, § 41 et 42.

442 Cour eur. D.H., Colombani et autres c. France, précité note242, § 65.

443 Cour eur. D.H., Radio France et autres c. France, précité note178, § 37.

444 Cour eur. D.H., Tv Vest As & Rogaland Pensjonistparti c. Norvège, du 11 décembre 2008, n° 21132/05, § 46 ; Jersild c. Danemark, précité note222, § 31.

445 Cour eur. D.H., McVicar c. Royaume-Uni, précité note244, § 87.

446 Cour eur. D.H., Alithia Publishing Company Ltd et Constantinides c. Chypre, du 22 mai 2008, n° 17550/03, § 68 ; Europapress Holding D.o.o. c. Croatie, du 22 octobre 2009, n° 25333/06,

§ 63 ; Rumyana Ivanova c. Bulgarie, précité note434, § 39 ; Makarenko c. Russie, du 168

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mation doit pouvoir compter sur des possibilités réalistes d’apporter cette preuve447.

La gravité d’une allégation diffamatoire dépend de son contexte de diffusion, de sa substance et de son contenu448. Effectivement, il ressort de la jurisprudence que l’article 10 § 1 CEDH protège tant le contenu que le support par lequel est exercée la liberté d’expression449.

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