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Première partie :

1. Les droits et libertés en cause

1.3. Le droit au respect de la vie privée

1.3.2. La protection de l’honneur et de la réputation

En sus du droit à l’image, l’article 8 CEDH, qui garantit divers aspects de la vie privée, nous intéresse plus particulièrement en ce qu’il se rapporte à la protection de l’honneur et de la réputation, protection qui entre souvent en conflit avec la liberté d’expression.

Quoiqu’expressément prévue à l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après : Pacte II)169 et à l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (ci-après : DUDH)170, la protection de l’honneur et de la réputation ne figure pas explicitement dans le texte de l’article 8 CEDH. Il ressort des travaux préparatoires de la CEDH que le Comité d’experts avait en effet pris comme modèle l’article 12

164 Résolution 1165 (1998), Droit au respect de la vie privée, Texte adopté par l’Assemblée parlementaire le 26 juin 1998 (24e séance).

165 Cour eur. D.H., Tammer c. Estonie, du 6 février 2001, n° 41205/98, § 68.

166 I. C. KaminSKi, « Interdits et tolérances politiques », in Les médias et l’Europe, Le contenu de l’information : entre errance et uniformisation, P. auvret (éd.), Larcier, Bruxelles, 2009, p. 120.

167 § 12 de l’opinion dissidente commune aux Juges Spielmann et JeBenS relative à l’affaire Cour eur. D.H., Vereinigung Bildender Künstler c. Autriche, du 25 janvier 2007, n° 68354/01.

168 Cour eur. D.H., Botta c. Italie, du 24 février 1998, n° 21439/93, § 32.

169 Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966 et entrée en vigueur le 23 mars 1976, (RS 0.103.2).

170 La Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948.

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DUDH pour rédiger l’article 8 CEDH, mais qu’au final ces modèles n’ont été reproduits qu’en partie. C’est la raison pour laquelle l’article 8 CEDH omet de mentionner les atteintes à l’honneur et à la réputation171. Or, en 1970 déjà, l’Assemblée parlementaire avait indiqué que le droit au respect de la vie privée concernait entre autres l’honneur, la réputation et le fait de ne pas être présenté sous un faux jour172.

Dans la jurisprudence, la protection de la réputation a d’abord été men-tionnée en lien avec les « droits d’autrui », qui découlent de l’article 10 § 2 CEDH173, et a été, dans un premier temps, exclue du champ d’application de l’article 8 CEDH174. En d’autres termes, elle n’était garantie qu’indirec-tement en tant que but légitime d’une éventuelle restriction à la liberté d’expression175. Bien que la réputation ne soit pas conventionnellement garantie en tant que telle176, la Cour a finalement reconnu que sa protection découlait de l’article 8 CEDH177, par l’interprétation extensive du droit au respect de la vie privée178. Cette conception s’appuie sur le besoin d’inclure le droit à la réputation dans l’une des garanties de la CEDH179, en

l’occur-171 Commission européenne des droits de l’homme, Travaux préparatoires de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, DH (56) 12 du 9 août 1956, Recueil des travaux préparatoires de la Convention, vol. III et vol. IV, Martinus Nijhoff, La Haye, 1977.

172 Résolution n° 428 de l’Assemblée parlementaire portant déclaration sur les moyens de communication de masse et les droits de l’homme du 23 janvier 1970, C, § 2. V.a. Réso-lution (74) 26, du Comité des Ministres sur le droit de réponse – situation de l’individu à l’égard de la presse, du 2 juillet 1974 où il est précisé qu’« il est souhaitable de mettre à la disposition de l’individu des moyens adéquats pour le protéger contre les informations contenant des faits inexacts le concernant et de le doter d’un recours contre la publication des informations, y compris les faits et les opinions, qui constituent une ingérence dans sa vie privée ou une atteinte à sa dignité, à son honneur ou à sa réputation, que ces informations aient été mises à la disposition du public par la presse écrite, par la radio, par la télévision ou par tout autre moyen de communication de masse à caractère périodique ».

173 Parmi plusieurs v. Cour eur. D.H., Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège, du 20 mai 1999, n° 21980/93.

174 Commission eur. D.H., Asociación de Aviadores de la República, Mata et autres c. Espagne, du 11 mars 1985, n° 10733/84.

175 ZiHler, précité note150, p. 14.

176 t. HocHmann, « La protection de la réputation », RTDH, 2008, n° 76, p. 1171–1190. V.a.

Cour eur. D.H., Saltuk c. Turquie, du 24 août 1999, n° 31135/96 ; Gourguénidzé c. Géorgie, du 14 octobre 2006, n° 71678/01, § 41.

177 Cour eur D.H., Chauvy et autres c. France, du 29 juin 2004, n° 64915/01, § 70 in fine ; Abeberry c. France, du 21 septembre 2001, n° 58729/00 ; Leempoel & S.A. ED. Ciné Revue c. Belgique, du 9 novembre 2006, n° 64772/01, § 67; Pfeifer c. Autriche, du 15 novembre 2007, n° 12556/03, § 35 ; à propos d’une condamnation pour diffamation. V.a. White c.

Suède, du 19 septembre 2006, n° 42435/02, § 19 et § 30.

178 Cour eur. D.H., Radio France et autres c. France, du 30 mars 2004, n° 53984/00, § 31.

179 Sur les doutes quant à la nature juridique précise de la réputation, v. l’opinion concordante de Juge martenS par rapport à l’affaire Fayed c. Royaume-Uni, du 21 septembre 1994, n° 17101/90.

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rence en tant que composante de la vie privée, garantie, elle, par l’article 8 CEDH180.

La Cour admet à présent qu’une atteinte à la réputation d’une per-sonne puisse constituer une violation de l’article 8 CEDH181, puisque « le droit au respect de la vie privée et familiale, garanti à l’article 8 CEDH, comprend le droit à l’honneur et à l’intimité, la protection contre les divulgations malveillantes ou erronées causant à la personne qui en fait l’objet un dommage émotionnel, parfois même une atteinte à l’intégrité physique »182. Néanmoins, la Cour est revenue sur sa position en précisant que « la Convention ne garantit pas en tant que tel le droit à l’honneur et à une bonne réputation »183. Elle a effectivement déclaré que la réputation est considérée, dans sa jurisprudence, comme un droit indépendant, seu-lement sporadiquement184. En ce sens, les juges de Strasbourg ont précisé que, « pour que l’article 8 [CEDH] entre en jeu, la publication pouvant ternir la réputation d’une personne doit constituer une atteinte à sa vie pri-vée d’une gravité telle que son intégrité personnelle soit compromise »185. Au demeurant, afin d’admettre la protection conventionnelle de la

répu-tation, il faut que « les allégations factuelles soient suffisamment graves (…) [ayant] des répercussions directes sur la vie privée de la personne concernée »186. À ce propos, nous adhérons à l’opinion du Juge Jociene, qui considère à juste titre que la réputation ne peut être conventionnel-lement garantie de manière sporadique ou encore lorsque les allégations factuelles sont sérieuses, puisque la Cour a déjà statué que la réputation, en tant qu’élément de la vie privée, entrait dans le champ d’application de l’article 8 CEDH187. Par ailleurs, en se focalisant sur les conséquences d’une publication diffamatoire, et non sur la gravité des propos, la jurisprudence

180 Cour eur. D.H., Pfeifer c. Autriche, précité note177, § 33–35 ; Petrina c. Roumanie, du 14 octobre 2008, n° 78060/01, § 29.

181 Cour eur. D.H., Fayed c. Royaume-Uni, précité note179 § 67.

182 F. riGaux, « Réflexions de clôture », in Prévention et réparation des préjudices causés par les médias, A. Strowel, F. tulKenS (éd.), Larcier, Bruxelles, 1998, p. 149–160, p. 152.

183 Cour eur. D.H., Saltuk c. Turquie, précité note176 ; Gourguénidzé c. Géorgie, précité note176,

§ 41.

184 Cour eur. D.H., Karakó c. Hongrie, du 28 avril 2009, n°39311/05, § 23.

185 Ibidem, § 23 ; Cour eur. D.H., Polanco Torres et Movilla Polanco c. Espagne, du 21 sep-tembre 2010, n° 34147/06, § 40.

186 Cour eur. D.H., Polanco Torres et Movilla Polanco c. Espagne, précité note185, § 40.

187 § 5 de l’opinion partiellement concordante de Juge Jočienė relative à l’affaire Karakó c.

Hongrie, précité note184.

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exige une évaluation complexe de l’impact subjectif d’une atteinte à la réputation et, dès lors, à la vie privée188.

Enfin, en ce qui concerne le droit à la vie privée, il faut mentionner la Convention n° 108189. Complétant les articles 8 et 10 CEDH, celle-ci s’efforce de concilier le droit au respect de la vie privée et la liberté d’information, en renforçant la protection des données. Ses dispositions sur la protection des données n’étant pas conçues comme self executing, les États contractants sont tenus de les incorporer dans leurs législations respectives, ce que nous analyserons plus loin190.

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