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A – La protection de la famille, objet de nombreux textes de droit international.

176. Les énoncés sont ici nombreux et divers. Mais, en l’absence d’un ordre juridique

international fort, ces textes ne sont guère contraignants que dans la mesure où l’Etat le veut bien. Au-delà des intentions qu’ils affichent, il convient de remarquer que, matériellement, parce qu’ils recherchent une universalité aussi grande que possible, et se doivent ainsi d’être acceptables par la plupart des Etats, sinon tous, et formellement, parce que leur applicabilité est conditionnée au bon vouloir étatique, ces textes semblent peu contraignants 472. Certes, à cet égard, les conventions

ont, théoriquement, plus de poids que les déclarations ; néanmoins, comme le montre l’accueil que

472 Rappr. les actes du colloque tenu à Genève en 1985 sous l’égide de l’ONU, L’universalité est-elle menacée ? (publications de l’ONU). Ce phénomène n’est pas propre aux droits familiaux. Pour une illustration sur un problème connexe, rappr. D. Imbert & E. Millard, La liberté de religion en droit international, in G. Bollenot (Dir), Religions, Eglises et Droit, Publications de l'Université de Saint-Etienne, 1990.

les juges, judiciaire 473 et administratif 474, ont réservé à la question de l’applicabilité de la

Convention sur les droits de l’enfant, ces textes, mêmes introduits dans l’ordre interne, ne confèrent pas toujours aux individus des droits opposables. Curieusement d’ailleurs, c’est peut- être au travers du contrôle mis en place par la Convention européenne des droits de l’homme que ces textes pourraient se voir reconnaître une force positive dans le droit national : s’agissant particulièrement de la Convention sur les droits de l’enfant, la Cour européenne des droits de l’homme tend maintenant à s’y référer directement pour compléter et renforcer les dispositions pertinentes de la Convention européenne, et donc à lui faire produire un effet utile au profit des individus 475.

177. On peut d’abord constater que la question est prise en compte au plan bilatéral ou

régional. Des traités bilatéraux conclus par la France peuvent tenir compte, de manières très diverses, dans le cadre du droit applicable aux migrations transnationales de ressortissants des Etats parties, des problèmes liés à la vie familiale des individus migrants 476 : ces dispositifs

valent seulement pour autant qu’ils ne sont pas contraires à d’autres dispositions supérieures, notamment à la Convention européenne des droits de l’Homme 477. Leur intérêt est limité de ce

fait. Et si, au niveau régional, un droit aux relations familiales est affirmé dans le cadre de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe 478, la portée contraignante de ce texte est

pour le moins discutée.

178. De manière plus générale, c’est dans le cadre des grandes organisations internationales

que la question a été soulevée 479. L’ONU et ses institutions spécialisées sont à l’origine de divers

textes, de valeur juridique inégale, visant à affirmer la place de la famille dans la société, et à mettre à la charge des Etats une obligation de respecter, dans des conditions que l’Etat définit pour partie, le droit des individus à la famille. C’est précisément parce qu’il est loisible à l’Etat d’encadrer ce droit, de le soumettre sous certaines réserves à dérogation, et d’en déterminer contenu et portée, que ces normes, plus qu’elles ne protègent directement la famille, habilitent l’Etat à reconnaître ce droit pour autant qu’il lui paraît normal. En ce sens, l’apparente universalité

473 Cass. civ., 1ère ch., 10/3/1993, Lejeune, D.1994.34 (sommaire commenté Dekeuwer-Défossez). Cf. pour deux

appréciations différentes : C. Neirinck & P. M. Martin : Un traité bien mal traité, JCP 1993.I.3677 ; M. C. Rondeau- Rivier : Un traité mis hors jeux, D. 1993, chron. LIV p. 203.

474 TA Lyon, 17 février 1993, Consorts Bensalem ( annexe) : en l’occurrence, le tribunal n’admet pas que l’on puisse invoquer utilement dans un contentieux sur le refus de renouvellement d’un titre de séjour les dispositions de la Convention de New-York.

475 Cf. Cour européenne des droits de l’homme, 26 mai 1994, Keegan c/ Irlande (annexe).

476 Présentation de la question et de ses conséquences par P. Kayser, op. cit. (n. 469) avec une étude approfondie pour les conventions conclues avec les différents pays d’origine des candidats à l’immigration en France.

477 Cf. CE, Sous-sect. réunies, 22 mai 1992, Madame Larachi, (annexe). Sur les dispositions de la Convention, V. infra. 478Cf. les quatre textes adoptés à Helsinki (1975), Vienne (1989), Copenhague et Paris (1990). Eu égard à l’objet de la conférence, c’est principalement la réunion des familles séparées ou de celle des travailleurs migrants qui est envisagée. 479 On trouvera en annexe de la thèse des extraits représentatifs de ces principales reconnaissances. Nous ne faisons ici que mentionner l’existence d’instruments, renvoyant à ces annexes pour les références complètes.

de l’affirmation ne semble guère contraignante pour les Etats, et ne fait pas véritablement obstacle à ce qu’ils conduisent une politique nationale.

Certains de ces textes ne sont nullement contraignants pour les Etats, et n’ont ainsi qu’une valeur très symbolique, ce qui n’exclut bien sûr pas qu’ils puissent inspirer un travail normatif. Ainsi en est-il de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui énonce : « A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution » ; et ajoute : « La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’Etat » 480. Un

même esprit inspire la Déclaration des droits de l’enfant 481, la Proclamation de Téhéran 482, la

Déclaration sur les droits de l’homme des personnes qui ne possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent 483, et plus généralement les nombreuses déclarations ou

recommandations sur des points spécifiques : concernant la promotion des idéaux de paix parmi les jeunes, le placement familial, les droits des déficients mentaux ou des handicapés, par exemple

484.

D’autres textes, qui, quant à eux, lient les Etats signataires, envisagent également les droits familiaux. Il s’agit tout d’abord, et de manière générale, des deux Pactes de 1966 relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels. Le premier stipule que « nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation » 485, ce

qui conceptualise déjà une protection plus précise d’un droit de l’individu à la famille ; aux termes du second, notamment, «une protection et une assistance aussi larges que possibles doivent être accordées à la famille, qui est l’élément naturel et fondamental de la société, en particulier pour sa formation et aussi longtemps qu’elle a la responsabilité de l’entretien et de l’éducation d’enfants à charge » 486. Sur des points plus précis, des conventions reprennent, en l’adaptant, cette

protection : Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination raciale 487,

Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes 488,

Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement 489,

Convention relative à l’abolition de l’esclavage 490 ou Convention sur le travail forcé 491, Règles

48010/12/1948, art. 16.

481 20/11/1959, art. 6. Le texte est cependant moins « familial » que la Convention de New-York, infra. 482 13/5/1968, art. 16. 483 13/12/1985, art. 5. 484 V. annexe. 485 16/12/1966, art. 17 (cité) et 23. 486 16/12/1966, art. 10. 487 21/12/1965, art. 5. 488 18/12/1979, art. 5, 10, 11, 12, 13, 14, 16 et Préambule. 489 14/12/1960, art. 5. 490 7/9/1956, art. 1. 491 OIT, 28/6/1930, art. 11.

minima pour le traitement des détenus 492, Convention sur le consentement au mariage 493,

Convention sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille 494, etc. Et c’est enfin avec l’affirmation des droits de l’enfant par la Convention de New-

York 495 que l’assertion se précise. Si le Préambule énonce que les Etats reconnaissent « que

l’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension », les stipulations sont tout aussi claires, et notamment prévoient que « nul enfant ne fera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa famille » 496. L’intérêt de l’enfant n’est alors pas perçu de manière séparée de sa

vie familiale, et le rôle des parents est affirmé et encadré ; et ce sont bien les fonctions familiales qui, derrière les droits de l’enfant, sont mises en exergue en tant qu’elles fondent un certain nombre de valeurs, constitutives des Etats protégeant les droits de l’homme (respect de la personne humaine dès la naissance). Cela concourt à faire émerger une conception « normale » de la famille au niveau international. Mais cette normalité, très dépendante de la démocratie, ne peut se définir que par rapport à des concepts cadres, qu’il appartient finalement à l’Etat de définir, les textes n’ouvrant pas de voie aux individus pour en rechercher immédiatement l’application 497.

Parce que, en revanche, ces voies existent dans le cadre des ordres juridiques européens, les énoncés qui s’y rattachent jouent un rôle plus prégnant dans la construction par les autorités normatives d’un droit générique de l’individu à la famille normale 498 ; et parce que ces ordres

juridiques se réfèrent parfois pour interpréter les énoncés européens aux textes internationaux émanant d’autres organisations, ils tendent à donner à ces textes une force contraignante effective, en transformant ces énoncés, tel la Convention de New-York, en norme 499.

492 CES, 31/7/1957, n° 37, 61, 79 & 80. 493 7/11/1962.

494 18/12/1990. Elément révélateur de la réticence des Etats à s’engager internationalement quant à une protection universelle de la famille, aucun Etat signataire n’avait ratifié cette convention au 1/1/1994 ; cette tendance à ne reconnaître que difficilement des droits familiaux dans le cadre de l’immigration s’est également manifestée lors de la Conférence du

Caire sur la population (ONU, Septembre 1994 – Cf. 2e partie, titre 2), au cours de laquelle certains pays du tiers-monde

souhaitaient voir reconnu de manière générale un droit au regroupement familial, alors que les pays européens et nord- américains ne voulaient en admettre éventuellement que le principe, et se borner à demander à chaque pays de faire entrer ce droit dans les législations nationales (solution finalement retenue par la Conférence).

495 20/11/1989, Préambule et art. 2, 3, 5, 9, 10, 16, 18, 20, 27. 496 Art. 16- 1.

497 V. supra, note 473 notamment.

498 Spécificité qui tient à la mise en place d’un recours au profit du citoyen. Il n’est pas à ce propos indifférent de noter que le Conseil de l’Europe s’est penché depuis octobre 1993 sur la rédaction dans le cadre européen d’une convention européenne des droits de l’enfant, qui compléterait la Convention de New-York, et permettrait une meilleure efficacité de l’affirmation. Cf. Lettre de l’IDEF, n° 81, janvier 1994.

499 Cf. Cour européenne des droits de l’homme, 26 mai 1994, Keegan c/ Irlande (annexe) : la Cour se réfère à la fois à la Convention de l’ONU et à celle du Conseil de l’Europe.

B – La place de la protection de la famille dans les

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