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L’analyse que nous venons de proposer révèle un élément essentiel : au sein même de ce que l’on a coutume, tant chez les juristes que chez les sociologues ou autres, de qualifier d’un

C – Utilité d’une délimitation de la famille juridique.

87. L’analyse que nous venons de proposer révèle un élément essentiel : au sein même de ce que l’on a coutume, tant chez les juristes que chez les sociologues ou autres, de qualifier d’un

point de vue descriptif de famille, ce sont deux actes juridiques différents qui apparaissent, union et acte collectif, et qui semblent alors renvoyer à deux domaines juridiques différents. Parce qu’alors une analyse inductiviste de la personnalisation de la famille à partir de l’ensemble des règles ayant trait à la famille confondrait sans le voir ces deux domaines, et parce qu’une réflexion déductiviste sur la personnalité morale dans la famille n’appréhende qu’un seul d’entre eux, celui qui semble le moins exorbitant pour l’analyse juridique, le régime matrimonial, la recherche, sinon d’une définition, du moins d’une réflexion sur la délimitation de la famille en droit ne paraît pas évitable.

255 Les arrêts sont bien connus. L’illustration la plus parfaite pour rester dans notre contexte est sans doute celle de l’arrêt Barbier : T. Confl, 15/1/1968, Compagnie Air-France c/ Epoux Barbier (GAJA n° 103 avec bibliographie).

256 Cf. l’analyse d’E. Gaillard, op. cit. (n. 187), p. 136 et s. 257 V. § précédent.

258 C’est en cela que l’oeuvre de Jean Carbonnier est ici importante. Elle montre que la famille n’est nullement une personne morale méconnue comme le prétend René Savatier, mais que, eu égard à ce qu’est la personnalité morale, la reconnaissance de la famille comme personne morale, qui en l’absence de volonté législative explicite doit être recherchée autour de la société conjugale, ne peut en rien expliquer différemment que ne le fait la négation de cette personnalisation un certain nombre de questions, les plus importantes sans doute, que l’on se pose quant au groupe familial : celles qui ont trait à la puissance.

C’est cette réflexion sur le concept de famille lui-même et son absence en droit positif qui fait finalement défaut à la théorie subjectiviste du droit. Parce que la famille en droit n’est pas un sujet ou un objet explicite, il est illusoire de prétendre trouver dans le droit positif une définition juridique. Mais une étude doctrinale sur la famille et le droit, comme celles entreprises à propos de sa personnalisation, ne peut, elle, se passer au moins d’une délimitation.

Le droit positif ne fournit pas de définition opératoire. Rien de moins étonnant puisque celui-ci ne traite à aucun moment directement de la famille comme objet explicite global. Ainsi, l’examen des énoncés juridiques et des décisions de justice ne permet pas d’induire une définition. Si le droit positif vise parfois malgré tout la famille 259, c’est la famille « en situation »,

qu’il s’agisse d’une famille déterminée à l’occasion d’un litige, ou d’un aspect de la vie de famille à propos d’une situation juridique directement visée.

Il n’est pas neutre à cet égard par exemple que le « droit de la famille », en fait le droit civil de la famille, soit simplement une construction doctrinale, qui doit elle-même être soumise à une critique méthodologique dans son approche interprétative. Notamment, sa prétention synthétique ne doit pas cacher qu’il n’y a pas dans le Code civil de divisions concernant la famille, et que le droit que l’on dit « de la famille » en doctrine est regroupé dans un Livre premier, intitulé de manière très révélatrice « des personnes », Livre lui-même subdivisé selon des concepts juridiques n’ayant pas trait directement et totalement à la famille : mariage, divorce, filiation, autorité parentale, etc. On peut rapprocher cette présentation du statut que réserve la Constitution de 1958 aux règles concernant la famille : l’article 34 présentant le domaine législatif ne mentionne pas la famille en tant que telle, même si on peut croire avec Philippe Ardant que l’énumération à laquelle procède cette disposition « semble ne laisser de côté aucun des aspects mêmes mineurs concernant les familles » 260. A aucun moment ainsi n’apparaît ici la moindre

esquisse de définition.

De manière tout aussi révélatrice, ce droit de la famille au sens académique est curieusement sans relation, en droit positif comme d’ailleurs souvent en doctrine, avec le Code de la famille, qui pourtant propose ce qui fait défaut au Code civil, une conception législative de la famille. Dans un Titre premier, dit « Les institutions familiales », le Code de la famille dispose : « Ont le caractère d’associations familiales [...] les associations [...] qui groupent : des familles constituées par le mariage et la filiation légitime ou adoptive ; des couples mariés sans enfant ; toutes personnes physiques soit ayant charge légale d’enfants par filiation ou adoption, soit exerçant l’autorité parentale ou la tutelle sur un ou plusieurs enfants dont elles ont la charge

259 Et encore faut-il remarquer, s’agissant du droit privé particulièrement, que le concept de famille, si flou soit-il, n’apparaît que très tardivement. Il n’est ainsi pas rare de lire dans les études jusqu’à l’immédiate avant-guerre que le Code civil n’envisage à aucun moment la famille. Cf. particulièrement sur ce point les études de J. Ray, Essai sur la structure

logique du code civil français, & Index du code civil, Alcan, 1926.

effective et permanente [...] » 261. Pour autant, même si cette disposition est sans doute la plus

complète parmi les énoncés juridiques, il n’est pas certain que l’on puisse la prendre pour une définition, et en ce sens, la doctrine ne trouve pas ici son objet d’étude constitué : le législateur s’est simplement heurté à un problème très particulier, impliquant des relations de droit public de représentation institutionnelle (relation entre l’institution familiale et l’institution représentative des familles auprès des pouvoirs publics), et il a cru devoir préciser ce qu’est la famille dans ces relations. La précision ne vient que sous la contrainte, parce que la famille n’est pas, dans de telles relations, juridiquement saisie comme un cadre des rapports juridiques individuels, mais directement comme phénomène collectif 262.

Pareillement, ce qui vient d’être noté à propos des énoncés juridiques peut être observé à propos des normes jurisprudentielles. Celles-ci envisagent la famille de manière médiate, au travers de questions juridiques particulières. Ainsi la jurisprudence européenne des droits de l’homme, la jurisprudence constitutionnelle et la jurisprudence administrative sont amenées à traiter de la famille non pas en tant qu’institution directement et totalement saisie par le droit, mais comme cadre des relations individuelles, à travers la vie familiale 263. La jurisprudence civile

dégage plus ou moins aisément un concept d’intérêt de la famille, non pour définir la famille, mais pour apprécier la légalité d’actes juridiques individuels 264. On pourrait multiplier les exemples.

On ne dégagerait pas une définition.

88. C’est à la doctrine que revient la tâche de proposer une lecture interprétative cohérente de

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