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Les efforts d’une partie de la doctrine subjectiviste pour établir un lien entre la famille et la personnalité juridique méritent attention ; ils sont en toute hypothèse révélateurs d’une

B – L’appréciation en tant que propositions de droit.

64. Les efforts d’une partie de la doctrine subjectiviste pour établir un lien entre la famille et la personnalité juridique méritent attention ; ils sont en toute hypothèse révélateurs d’une

démarche qui doit être critiquée par rapport à la nature de la personnalité en tant que technique juridique.

En premier lieu, il apparaît très clairement que cette technique doit être consacrée par une autorité publique, soit dans un énoncé juridique qui la viserait, soit par un acte normatif, c’est-à- dire un acte d’interprétation des énoncés juridiques, et particulièrement, de manière authentique, par une décision de justice à l’occasion d’un procès. Tout effort pour faire reconnaître une personne morale méconnue dans la famille, ou pour démontrer qu’une société de biens existe au sein de la famille, ne saurait avoir d’effet que pour autant que cette reconnaissance n’est pas simplement dogmatico-doctrinale, mais normative. En ce sens, une telle reconnaissance ne peut être que la manifestation d’une volonté normative et, quelle que puisse être par ailleurs la pertinence de la démonstration doctrinale, cette manifestation ne peut être que l’expression d’une politique du droit. Dès lors, tant l’absence de consécration explicite de la personnalité morale de la famille dans un énoncé juridique, que l’absence de décision jurisprudentielle suivant les interprétations doctrinales « personnalisantes » pour estimer que ces énoncés consacrent un sujet de droit collectif dans la famille, doivent être rapportées à ce phénomène politique.

En second lieu, l’échec d’une partie de la doctrine subjectiviste à convaincre de la personnalisation de la famille mérite une analyse des prémisses et de la démarche que cette doctrine adopte. De ce point de vue, la position centrale occupée par la notion de sujet de droit, et par son corollaire, la volonté, cache sans doute mal qu’il est des questions à poser, à propos de la famille, que la mise en oeuvre des concepts de volonté et de sujet est inapte à éclairer en totalité. La démonstration de Jean Carbonnier est ainsi a contrario très révélatrice : là où l’auteur parvient à construire un sujet collectif limité aux biens mis en commun par les époux, et lié aux effets que la loi accorde au consentement dans le mariage, il faut rechercher directement les manifestations de la fondation juridique et de la puissance attachée à la famille, et finalement saisir quelles sont les questions juridiques que la réalité sociale familiale pose au droit, questions que, justement, logiquement et normalement, la société conjugale ne peut appréhender.

Ainsi verrons-nous que la personnalisation de la famille, question de politique du droit (§ 1), ne paraît pas pouvoir apporter de solution juridique pertinente aux questions que la protection de la famille pose au droit (§ 2).

§ 1 – La personnalisation, une question de politique du

droit.

65. Si l’on admet que la personnalité est une technique juridique, il n’est pas possible de comprendre le recours à cette technique, ou son rejet, sans rattacher l’un ou l’autre à l’ensemble de l’ordre juridique, et, derrière celui-ci, aux volontés politiques qui l’ont institué. Le choix d’une technique juridique par les autorités normatives n’est jamais neutre. Il doit être conscient et s’inscrit dans une réflexion plus générale, qui saisit le droit comme instrument de réalisation d’une politique.

Et il est alors clair que des motivations conjoncturelles pour lesquelles telle technique de droit est ou non adoptée ne sauraient être détachées toutes les dimensions politiques du droit : de son aspect le plus immédiat de politique normative, qui explicitement procède à une gestion politique des procédures d’adoption des textes, à la politique des autorités, qui concrétisent leur programme par le droit, en passant par l’efficacité des politiques publiques que tend à réaliser le droit. Surtout, ce choix tient également à une politique structurelle. Parce que l’Etat et la famille présentent des analogies fortes, la politique de l’Etat ne peut pas ne pas développer une politique de la famille. A cet égard, la question politique du statut juridique de cette réalité sociale que constitue la famille est la question centrale de la politique du droit en la matière.

Or, c’est là que les interprétations doctrinales subjectivistes peuvent apparaître comme défaillantes. Même si Jean Dabin et René Savatier par exemple appréhendent l’ensemble des techniques de droit public et de droit privé dans leurs études, il est à craindre que cette intégration soit insuffisante pour leur permettre d’envisager globalement une étude juridique de la personnalité morale de la famille.

Du simple point de vue du recensement des techniques, on sait en effet qu’il existe un droit privé de la famille 178, et que ce droit privé ne fait pas obstacle à l’émergence d’un droit

public de la famille 179. Est-ce à dire qu’il suffirait d’accoler l’examen des deux disciplines pour

avoir une vision globale de la famille ? Nous ne le croyons pas, pour autant que l’on recherche

178 Notamment : A. Bénabent, La famille, Litec, 1994 ; J. Carbonnier, Droit civil : la famille, les incapacités, PUF, 1992 ; C. Colombet, La famille, PUF, 1990 ; G. Cornu, La famille, Montchrestien, 1993 ; J. Hauser & D. Huet-Weiller, La famille, 2 tomes, in Ghestin Jacques (Dir.), Traité de droit civil, 1993 & 1989 ; P. Malaurie & L. Aynès, La famille, Cujas, 1993 ; A. Weill & F. Terré, Droit civil, les personnes, la famille, les incapacités, Dalloz, 1993.

179 P. Ardant, La famille et le juge administratif, in Mélanges offerts à René Savatier, Dalloz, 1965, p. 23 et s. ; J. B. Geffroy, La famille dans la jurisprudence administrative, D. 1986, chron. I, p. 1 et s. ; A. de Laubadère, Traité de droit

administratif : les grands services publics, t. 3, 1978, p. 497 et s. ; Association Henri Capitant : Aspects de l'évolution récente du droit de la famille, T. XXXIX, Economica, 1988 (Rapp. droit constitutionnel français – P. Ardant) ; Faculté de

autre chose qu’une analyse exégétique. S’il est ici indispensable de dépasser la séparation droit public–droit privé pour effectivement essayer d’avoir une vision d’ensemble du statut juridique de la famille, nous sommes persuadés qu’il faut aller plus loin qu’une simple juxtaposition pour rechercher les conditions mêmes de l’apparition de ces différents statuts. De ce point de vue, la question de la personnalité morale de la famille, de son octroi ou de son refus, ne peut être comprise que si on l’extrait du champ du droit privé pour l’intégrer immédiatement dans la problématique essentielle du droit public 180 : celle du rapport de l’Etat avec les groupes.

66. Ainsi, avant de s’attacher à une interprétation purement technique de la famille

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