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Famille et droit public<br />Recherches sur la construction d'un objet juridique

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d’un objet juridique

Éric Millard

To cite this version:

Éric Millard. Famille et droit publicRecherches sur la construction d’un objet juridique. Droit. Université Jean Moulin - Lyon III, 1994. Français. �tel-00012086�

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Recherches sur la construction d’un objet juridique

Thèse pour le doctorat en droit nouveau régime

Soutenue publiquement le 6 décembre 2004 par

Eric Millard

Jury

Madame Marie-Anne Cohendet, directrice de recherche

Messieurs

:

Philippe Ardant

Jacques Chevallier

Antoine Jeammaud

Jean-Pierre Lassale

Jean-Arnaud Mazères

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« La famille est en France objet de politique

avant d'être objet d'étude ».

Fournier, Questiaux et Delarue,

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à mes parents,

à Laurence,

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REMERCIEMENTS

Rien ne se fait jamais seul.

Mes premiers remerciements vont à Marie-Anne COHENDET. Elle a su, avec une patience et une compétence de tous les instants, suivre cette recherche et la soumettre à une critique vigilante ; loin de la déformer, elle a pu au contraire me la faire percevoir plus clairement. Elle a toute ma reconnaissance, à laquelle je souhaiterais associer Daniel IMBERT, Antoine JEAMMAUD et Jean-Arnaud MAZERES : du début de cette entreprise jusqu'à son provisoire achèvement, j’ai trouvé auprès de chacun d’eux une disponibilité sans limite, un appui indéfectible et des conseils toujours pertinents.

Parce que la documentation est éparse, souvent orale, difficile d'accès pour un universitaire habitué aux balises des manuels, revues et thèses ; parce qu'aussi le parti pris d'une analyse transversale exige l'usage de concepts pour lesquels le juriste, trop souvent prisonnier de sa spécialisation, n'est pas formé, rien n'aurait été construit sans la contribution de celles et ceux qui m’ont écrit ou reçu et qui m’ont aidé à réunir des informations. Rappeler leurs noms dans une longue énumération serait sans doute vain et lassant. Ils se reconnaîtront ; qu’ils trouvent tous ici témoignage de ma gratitude.

Une dernière et amicale pensée va à celles et ceux qui ont accepté de lire et de critiquer les différentes versions du texte : Stéphane CAPORAL, Irène CROGUENEC, Emmanuel DOCKES, Nicole DOCKES, Delphine ESPAGNO, Marc FRANGI, Michel FRANQUES, Valérie LARROSA, Solange MIRABAIL, Claire NEIRINCK, Otto PFERSMANN, Olivier PHILIPPE. Nombre de développements doivent beaucoup à leurs lectures, et aux discussions parfois passionnées, toujours éclairantes, qui ont suivi. Leur travail fut particulièrement ingrat. Il ne fut pas pour moi le moins utile.

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ABREVIATIONS UTILISEES ET CONVENTIONS.

1 - Nous avons adopté la nomenclature des abréviations des principales références en matière juridique, élaborée en 1990 puis modifiée en 1993 par le Groupe des éditeurs de Droit, Sciences Economiques et Sociales du Syndicat national de l'édition. Cette nomenclature est reproduite après le texte (annexe 1).

2 - Nous indiquons préalablement les abréviations propres à cette thèse, non référencées dans ce document.

AFC Associations familiales catholiques

AFEC Association française des établissements de crédit AFP Associations familiales protestantes

AG Assemblée générale

AIJC Annuaire international de justice constitutionnelle APD Archives de la philosophie du droit

APFS Associations populaires familiales syndicales CCAS Centre communal d'action sociale

CN Confédération nationale (suivi du nom de l'association) (CN)AFAL (Conseil national) des associations familiales laïques CSCV Confédération syndicale du cadre de vie

CSF Confédération syndicale des familles

FAS Fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles

FF Familles de France (ex Fédération des FF)

FR Familles rurales

GAJA Les grands arrêts de la jurisprudence administrative ( MM. Long,

Weil, Braibant, Delvolvé, Genevois), Sirey, 10e édition, 1993.

GDCC Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel (Louis Favoreu et

Loïc Philip), Sirey, 7e édition, 1993.

GRMF Groupement pour la recherche sur les mouvements familiaux

IDEF Institut de l'enfance et de la famille

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MIRE Mission interministérielle recherche expérimentation MRP Mouvement républicain populaire

PDP Parti démocrate populaire

PP Proposition a

UDAF Union départementale des associations familiales UFAC Union française des associations d’anciens combattants UIOF Union internationale des organismes familiaux

ULAF Union locales des associations familiales.

(UN)ADMR (Union nationale des) associations d’aide à domicile en milieu rural

(UN)MFREO (Union nationale des) maisons familiales rurales d’éducation et d’orientation

UNAF Union nationale des associations familiales URAF Union régionale des associations familiales X (Dir.) Sous la direction de X

3 - Nous avons chaque fois préféré la référence écrite à la référence informatique, même si, pour les décisions de justice par exemple, les deux supports existent. Ce n'est que lorsque le document est inédit sur papier que nous avons eu recours à l'indication d'une banque de données (Jade, Lexis, etc.) qui sont interrogeables soit sur CD-ROM, soit en ligne par le biais (entre autres) des services de recherches informatiques (RDI) des bibliothèques universitaires.

4 - Afin de limiter au maximum les surcharges et les répétitions, deux conventions ont été adoptées :

a - La mention (n. x) suivant une référence bibliographique renvoie à la note x de cette thèse, où a déjà été indiquée la référence complète.

b - Les références jurisprudentielles, et exceptionnellement constitutionnelles, législatives ou internationales, font l’objet d’annexes spécifiques en fin de thèse, où sont indiqués les références complètes et les enrichissements doctrinaux (notes, commentaires, etc.). Les notes infrapaginales de la thèse ne reprennent que l’identifiant simplifié et sont suivies d’un renvoi à ces annexes.

Exemple : Conseil Constitutionnel, 3 septembre 1986, Déc. 86-216 DC, (annexe).

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SOMMAIRE.

a

INTRODUCTION.

PREMIERE PARTIE : LA FAMILLE, OBJET D’UNE PROTECTION.

Titre 1 : La détermination d’une technique de protection.

Chapitre 1 : L’absence de personnalisation juridique de la famille. Chapitre 2 : La construction de la famille comme « paradigme »

des prérogatives individuelles.

Titre 2 : Le choix d’un critère de protection, la « normalité ».

Chapitre 1 : Un droit fondamental, le droit de l’individu au respect de sa vie familiale normale.

Chapitre 2 : La protection de l’individu contre la famille anormale.

DEUXIEME PARTIE : LA FAMILLE, OBJET DE POLITIQUES.

Titre 1 : La famille, un objet à représenter.

Chapitre 1 : De la représentation de sujets à un objet représenté. Chapitre 2 : L’institution représentative familiale, le « corps

familial ».

Titre 2 : La famille, un objet administré.

Chapitre 1 : Le droit public au service d’une gestion publique de

la famille.

Chapitre 2 : Le droit public de la famille, instrument du contrôle social.

CONCLUSION.

ANNEXES.

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1. Qu’un publiciste réfléchisse sur les relations entre sa discipline et la famille ne doit pas surprendre. La légitimité d’une telle démarche est maintenant bien admise, et les précédents doctrinaux en ont démontré la pertinence.

Dés l’époque classique du droit public, les plus illustres représentants de la doctrine française, notamment Léon Duguit 1, Maurice Hauriou 2 ou Georges Renard 3, n’avaient pas

hésité à inclure la famille dans leur analyse générale du droit et de l’Etat. Au même moment en Allemagne, Georg Jellinek estimait que les relations qui existent nécessairement entre la famille et l’Etat devaient faire l’objet d’une étude spéciale au sein de la doctrine de l’Etat, et constatait notamment que certaines familles, très organisées et structurées, pouvaient « apparaître dans certaines conditions comme des groupements de puissance publique indépendants, et, partant, comme des embryons d’Etat » 4. Ces auteurs ne faisaient alors que nuancer et moderniser une

tradition plus radicale qui avait vu, sans réel succès, certains juristes de l’Ecole historique allemande, tel Savigny, ou des représentants de l’Ecole française de l’exégèse, comme Demolombe, se référer aux relations entre l’Etat et la famille, comprises explicitement comme des relations entre deux collectivités, pour ranger le droit de la famille au sein du droit public 5.

Dans la doctrine contemporaine, d’importantes études spécifiques ont renouvelé l’intérêt des publicistes pour la famille.

En droit administratif, Philippe Ardant a ainsi montré les enseignements qu’il y avait à tirer du traitement que le juge réserve à la famille 6 ; d’autres auteurs sont venus enrichir cette

analyse de la jurisprudence administrative 7, et la croissance de la rubrique Famille dans les tables

annuelles du « Recueil Lebon », tout comme l’apparition d’une entrée thématique autonome dans

1 Cf. Traité de droit constitutionnel, 3e édition, de Boccard, 1927-1930, et particulièrement les développements sur les actes

juridiques. Adde nos développements infra § 83 et s.

2 Dans ses analyses sur l’institution par exemple (Aux sources du droit : Le pouvoir, l'ordre et la liberté, Cahiers de la

nouvelle journée n° 23) et sur l’Etat (Précis de droit constitutionnel, Sirey, 2e édition, 1929) par exemple. Adde nos

développements infra § 143 et s.

3 La théorie de l'institution : Essai d'ontologie juridique, Sirey, 1930 ; L'institution fondamentale : La famille, in L'institution, fondement d'une rénovation de l'ordre social, Flammarion, 1933, p. 190 et s. ; Qu’est-ce que le droit

constitutionnel ? Le droit constitutionnel et la théorie de l’institution, in Mélanges R. Carré de Malberg, Sirey, 1933, p. 483

et s. ; Le suffrage universel et la famille, in Faculté de droit de Nancy, Le maintien et la défense de la famille par le droit, Sirey, 1930.

4 Introduction à la doctrine de l’Etat, Fontemoing, 1904, p. 181-183.

5 Rappelé par Jean Carbonnier dans sa préface à l’ouvrage de la Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers, Le

droit non civil de la famille, PUF, 1983. On trouve la même analyse chez Durkheim.

6 P. Ardant, La famille et le juge administratif, in Mélanges offerts à René Savatier, Dalloz, 1965, p. 23 et s.

7 J. B. Geffroy, La famille dans la jurisprudence administrative, D. 1986, chron. I, p. 1 et s. ; F. Chauvin, Le juge

administratif et la famille, essai d’interprétation de la jurisprudence, in La terre, la famille, le juge, études offertes à H. D.

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la dixième édition des « Grands arrêts de la jurisprudence administrative » 8, confirment chaque

jour davantage la nécessité de telles études. L’introduction d’une dimension de science administrative dans l’approche juridique a permis de suivre directement l’intervention administrative, et de constater combien le thème de la famille peut y être présent, à travers les politiques sociales 9, ou les services publics 10.

En droit constitutionnel, Jean Boulouis s’était, pour sa part, attaché à expliquer la place marginale que semblait occuper la famille 11 ; le Conseil constitutionnel, en reconnaissant valeur

constitutionnelle au droit pour l’individu de mener une vie familiale normale 12, a rénové depuis

la question, qu’une partie de la doctrine constitutionnaliste avait déjà entrepris d’aborder sous l’angle de la constitutionnalisation du droit privé 13.

Il est enfin banal de rappeler combien certaines matières juridiques, au statut public ou privé parfois incertain, comme le droit social 14 ou le droit fiscal 15, s’attachent directement à la

famille.

Cet ensemble témoigne ainsi d’une activité des publicistes autour de la famille, qui n’est pas contestée par les civilistes spécialistes du droit de la famille 16 ; il est suffisant pour permettre,

avec, il est vrai, des contributions qui ne sont pas toutes de droit public au sens le plus académique du terme, la publication d’un ouvrage fort dense consacré au Droit non civil de la famille 17. Il

faut sans doute y voir la conséquence de ce que l’Etat ne peut se désintéresser de la famille, et que son attention ne saurait se résumer à l’organisation par le droit privé des relations intrafamiliales : aux côtés du droit civil de la famille, il y a place pour des matières peut-être moins homogènes, sans doute moins explicites, mais qui incontestablement font foi de l’existence d’un droit public de la famille. Comme le relèvent ainsi avec beaucoup de justesse François et Marie-Françoise Rigaux, « [considérer] que la famille comme objet juridique [doit] relever du droit privé [...] procède peut-être d’une confusion entre le point de vue privé, celui des relations en soi

8 M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. Delvolvé & B. Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative (GAJA), Sirey, 10e édition, 1993. Apparue d’abord comme sous-rubrique de la matière « étranger » dans l’index thématique (8e & 9e

éditions), la « famille » est désormais un objet suffisamment important pour justifier de la part des auteurs un traitement immédiat.

9 V. C. Debbasch & J. M. Pontier, La société française, Dalloz, 1991 ; J. Fournier, N. Questiaux & J. M. Delarue, Traité du

social, Dalloz, 1989 ; M. T. Join-Lambert, Politiques sociales, Dalloz, 1994.

10 Cf. A. de Laubadère, Traité de droit administratif : les grands services publics, t. 3, 3e

édition, 1978, p. 497 et s. L’auteur consacre un titre entier à la famille.

11 J. Boulouis, Famille et droit constitutionnel, in Etudes offertes à Pierre Kayser, Presses Universitaires d'Aix-Marseille, 1979, T. 1, p. 147 et s.

12 13/8/1993, Déc. 93-325 DC (annexe).

13 V. notamment : L. Favoreu, L’influence de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les diverses branches du

droit, in Itinéraires, Etudes en l’honneur de Léo Hamon, Economica, 1982, p. 235 et s. ; M. Frangi, Constitution et droit privé, les droits individuels et les droits économiques, Economica, 1992 ; F. Luchaire, Les fondements constitutionnels du droit civil, RTD civ. 1982, p. 249 et s.

14 Ainsi des grands manuels, qui consacrent tous de substantiels développements à la famille : par exemple E. Alfandari,

Action et aide sociales, Dalloz, 4e édition, 1989 ; J. J. Dupeyroux, Droit de la sécurité sociale, Dalloz, 12e édition, 1993.

15 Par exemple D. Ponton-Grillet, La famille et le droit fiscal, D. 1987, chron. XXIV, p. 125. 16 Rappr. H. Gaudemet-Tallon, V° Famille, Rép. civ. Dalloz.

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irréductibles à toute appréhension juridique, et le point de vue institutionnel, le seul en définitive pour lequel la famille puisse constituer un objet juridique » 18 : si la famille est incontestablement,

et avant toute chose, un objet pour la doctrine de droit privé, qui rend compte du cadre de relations individuelles en son sein, en tant qu’objet de droit positif, elle apparaît immédiatement comme un objet de droit public.

La nature privée de la famille d’un point de vue sociologique n’est alors pas en cause. Mais les problèmes que la famille pose en tant que fait social au droit positif d’une part, à l’étude juridique d’autre part, s’inscrivent dans une problématique de droit public : une problématique des « relations [entre les] Etats et [les] organisations ou [les] collectivités qui les regroupent ou les constituent » 19. Celle-ci n’est en rien dépendante de la place réelle que le droit positif fait à la

famille : quelle qu’elle soit, c’est-à-dire qu’il lui réserve un statut spécifique, qu’il l’ignore, ou qu’il l’envisage de manière indirecte – et nous verrons de ce point de vue que les choses sont complexes –, ce n’est pas sa nature de problématique de droit public qui est susceptible de changer, mais seulement la réponse que le droit y apporte.

L’approche est donc immédiatement celle du groupe par rapport à l’Etat, à la différence sans doute, pour l’essentiel, de celle qui dirige les analyses privatistes, centrées pour leur part sur les relations familiales entre individus. Pour autant, elle n’exclut pas l’appréhension des relations familiales des individus dans une perspective de droit public ; mais ces relations sont rapportées nécessairement à la relation primaire entre la famille et l’Etat, et partant médiatisées par elle.

2. Ce point admis, le publiciste qui entreprend d’étudier comment la famille est « saisie » par le droit public se trouve confronté à deux sentiments contradictoires. De prime abord, le sujet dégage à l’évidence une impression de déjà-vu. La notion de droit public accolée à celle de la famille semble renvoyer irrémédiablement aux relations entre l’Etat et la famille, si riches d’un point de vue historique et théorique (A). Cependant, il faut prendre garde à un sentiment trompeur : s’il est clair qu’envisager la famille par rapport au droit public revient à aborder à

nouveau ce thème, et à en proposer une lecture d’un autre point de vue, l’étude juridique requiert

ici la mise en oeuvre d’instruments spécifiques d’analyse, qui lui confèrent une autonomie certaine par rapport à une recherche d’histoire des idées politiques, de droit privé ou de science politique par exemple. Il convient alors de cerner les difficultés méthodologiques de la recherche (B), pour pouvoir les surmonter et proposer une problématique et un plan (C).

18 La famille devant le juge constitutionnel et le juge international, in Présence du droit public et des droits de l'Homme, Mélanges offerts à Jacques Velu, t. 3, Bruylant, 1992, p. 1712.

(18)

A

– Etat et famille

: des rapports nécessaires et

complexes.

3. « Liaison ambiguë » 20 ou « jeu de miroir » 21 : Etat et famille semblent inscrits dans un

rapport inéluctable. Si la famille apparaît fréquemment comme le « groupement primaire, naturel et fondamental de la société» 22, une « société naturelle » 23, une « société civile établie par la

nature » 24, « l’élément naturel et fondamental de la société » 25, voire le « fondement de l’Etat » 26 ou de « la Nation » 27, Claude Lévi-Strauss nous prévient d’emblée que « rien ne serait plus

faux que de réduire la famille à son fondement naturel » 28. Elle est étroitement dépendante de la

société dans laquelle elle se situe, et dans cette société, l’Etat ne peut pas ne pas avoir une influence déterminante.

4. Il n’est que de regarder l’importance du thème dans la littérature philosophique, juridique ou politique pour s’en convaincre : sa fréquence n’a d’égale que la diversité des solutions proposées 29. Mais au-delà de celle-ci, c’est la place de l’Etat qui est toujours primordiale, parce

que c’est la construction étatique qui est comprise comme susceptible de diriger le rapport entre l’Etat et la famille, pour la nier comme pour la protéger.

Ainsi, La République 30 de Platon ou la Politique 31 d’Aristote 32 s’opposent déjà, et

pourtant se rejoignent : si l’idéal platonicien, en plaçant tout entière la famille au service de l’Etat, qui fixe son importance et contrôle sa force, ouvrait la voie à une approche interventionniste de l’Etat à l’égard de la famille, l’analyse aristotélicienne, quoique reconnaissant une légitimité, et donc une liberté, aux familles qui composent la Cité, ne fait pas moins de la Cité le seul garant de la liberté et de l’égalité, subordonnant l’autorité familiale à la volonté publique. Dans les deux cas,

20 C. Debbasch & J. M. Pontier, op. cit. (n. 9), p. 266.

21 C. Bruschi, Essai sur un jeu de miroir : famille / Etat dans l'histoire des idées politiques, in Association française des historiens des idées politiques, L'Etat, la révolution française et l'Italie, PUAM, 1990.

22 Constitution irlandaise du 1er juillet 1937, art. 41.

23 Constitution italienne du 27 décembre 1947, art. 29. Cf. R. Biagi Guerini, Famiglia e Costituzione, Seminario giuridico della Università di Bologna, Dott. A. Giuffré, Milan, 1989.

24 Diderot (Dir.), V° famille, Encyclopédie.

25 Art. 16-3 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (New-York, ONU, 10 décembre 1948 – annexe). 26 Constitution égyptienne du 11 septembre 1971, art. 19.

27 Constitution grecque du 11 juin 1975, art. 21. 28 C. Lévi-Strauss, Le regard éloigné, Plon, 1983, p. 83.

29 On trouvera une présentation des grandes analyses classiques, entre autres, dans l’article précité de C. Bruschi (n. 21), & dans J. F. Spitz, L'Etat et la famille, Droits n° 16, 1993, p. 59 et s.

30 GF, 1966. 31 Vrin, 1962.

32 Pour une étude du concept de famille chez Aristote, Cf. C. Despotopoulos, Sur la famille d’après Aristote, APD t. 20, 1975, p. 71 et s.

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sous l’angle de la liberté ou sous celui de l’intervention, il n’est de rapport entre l’Etat et la famille que nécessairement subordonné à l’Etat. La constance du thème jusqu’à nos jours est remarquable.

En contrepoint, le rapport entre Etat et famille tend à s’affirmer sur un double mode : génétique et métaphorique. Grande est la tentation d’abord de faire naître l’Etat de la réunion des familles : d’un point de vue logique, comme construction intellectuelle chez Hegel par exemple

33, ou anthropologique, comme chez Engels 34, un lien génétique immédiat est établi entre les

deux réalités sociales que sont l’Etat et la famille. Ensuite, la métaphore familiale est d’une utilisation constante dans l’image explicative de l’Etat et de la communauté 35 ; la référence à la

« famille humaine » dans les grands textes de l’ONU poursuit cette métaphore, en l’actualisant aux droits de l’homme 36. Et surtout, l’approche métaphorique tend à être utilisée dans

l’explication du pouvoir public. Le lien entre autorité paternelle et autorité publique chez Confucius est bien connu 37 ; la conception qui en résulte n’est pas éloignée en Occident de celle

de Jean Bodin, qui comparait ainsi les structures étatique et familiale : «Ménage est un droit gouvernement de plusieurs sujets sous l'obéissance d'un chef de famille. République est un droit gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine» 38.

Et si John Locke, en critiquant la puissance paternelle, et l'analyse qu'en avait faite Sir Robert Filmer, dans le Patriarcha 39, lorsqu’il l’appliquait à l'Etat, a fait du consentement, et donc de la

volonté subjective, la caractéristique commune de la famille et du gouvernement, ouvrant à l'une et à l'autre les voies de la modernité, il demeure dans un parallèle où pouvoir familial et pouvoir public se répondent 40.

L’ensemble de ces analyses s’accorde ainsi à faire de la relation Etat/famille une relation politique essentielle. L’identité entre les deux phénomènes, ou tout au moins leur ressemblance,

33 Principes de la philosophie du droit, Gallimard, 1963. Adde : P. Dupire, Famille, besoin, travail et société civile chez

Hegel, in CURAPP, La société civile, PUF, 1986, p. 33 et s.

34 L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat, Editions Sociales, 1983.

35 Cf. M. Borgetto, Métaphore de la famille et idéologies, in Le droit non civil de la famille, op. cit. (n. 5), p. 1 et s. 36 Ainsi la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10/12/1948 commence par considérer « que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine... ».

37 « Respectueux envers vos parents et bienveillant envers vos frères, vous ferez fleurir ces vertus partout sous votre gouvernement [...] Faire régner la vertu dans sa famille par son exemple, c’est aussi gouverner » (Entretiens avec ses

disciples, Denoël, 1975, p. 17). Le lien chez Confucius est tel que, parce qu’il y a osmose fonctionnelle entre l’Etat et la

famille, la famille peut être conçue comme un groupement de puissance qui s’oppose au Prince sans s’opposer à l’Etat : à un Prince qui encensait le témoignage d’un fils contre son père délinquant, Confucius répond « Dans mon pays, les hommes droits agissent autrement. Le père cache les fautes de son fils, et le fils, celles de son père. Cette conduite n’est pas opposée à la droiture. » (ibid., p. 87)

38 Les six livres de la République, cité par Jean Boulouis, Famille et droit constitutionnel, in Mélanges Kayser, Presses Universitaires d'Aix-Marseille, 1979, T. 1, p. 147 et s.

39 L'Harmattan, 1991.

40 Locke, Deuxième traité du gouvernement civil, Vrin, 1977, p. 104 et s. Rappr. de cette analyse les écrits de B. de Jouvenel sur l’origine du pouvoir : Du pouvoir, Hachette, 1972, p. 121 et s. On peut alors remarquer qu’en légitimant ainsi l’autorité parentale par le bien des enfants, Locke, et avec lui l’école du droit naturel moderne, ouvrent paradoxalement « la voie aux théories qui feront de l’Etat l’arbitre de ce bien, [c’est-à-dire] jettent les bases idéologiques de l’intervention de l’autorité publique dans la famille comme celles du mouvement de libération des enfants. » (A. Dufour, Autorité maritale et

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est telle que la famille et l’Etat tendent à fonctionner de la même manière, et à s’opposer quant à la souveraineté que chacun exerce sur ses « ressortissants ». Si Platon et Aristote mettent la famille sous la coupe de l’Etat, c’est que, soit par rapport au « communisme » platonicien, soit par rapport à la liberté aristotélicienne, c’est-à-dire dans les deux cas par rapport à l’élément essentiel de l’Etat, la famille paraît un obstacle et un moyen : la famille génère les enfants, mais ceux-ci doivent être éduqués en commun pour échapper au particularisme familial nous dit Platon ; l’oikia chez Aristote est « une agrégation nécessaire au bon fonctionnement politique » 41, qui ne doit pas

cependant faire obstacle à la liberté individuelle défendue par l’Etat. Plus précisément, comme le montre Hegel, la famille est une étape indispensable du processus intellectuel constitutif de l’Etat, parce qu’elle remplit des fonctions indispensables à la constitution de l’Etat, ou à sa perception par l’individu – ce qui, s’agissant d’une construction intellectuelle et immatérielle, ne peut qu’être lié : fonctions de socialisation, d’éveil au collectif et à l’universel au-delà des perceptions égoïstes, fonction de reproduction et d’intégration des schémas de pouvoirs, etc. – ; cette étape doit cependant être dépassée, car sans ce dépassement, la famille apparaît comme un obstacle ou un frein à l’Etat. Il y a donc bien entre famille et Etat une dialectique, et une dialectique politique 42.

5. Cette dialectique est sans doute irréductible : l’identité est trop forte entre les deux notions, la dépendance trop étroite, pour que cette relation soit parfaitement éclaircie, au moins, au-delà des théories, dans les institutions positives. La famille comme l’Etat sont un éternel recommencement : ce n’est pas tellement à l’échelle historique et globale que leur opposition se joue, mais plutôt au stade psychologique. Pour chaque individu, dans chaque famille, l’Etat, au moins l’Etat démocratique qui ne peut se reposer sur la seule force publique et doit mobiliser l’adhésion au moins autant que la contrainte, doit se constituer, c’est-à-dire s’imposer comme réalité souveraine, grâce et/ou contre la souveraineté familiale, contre une communauté et une solidarité plus proche de l’individu 43, peut-être plus effective 44, potentiellement concurrente de

l’Etat pour la subjectivité individuelle 45 ; et dans le même temps, pour que les fonctions puissent

41 A. Burguière & alii (Dir.), Histoire de la famille, t. 1, Armand Colin, 1994, p. 209.

42 Pour approfondir, on pourra se reporter à un court et dense article de J. Commaille, qui énonce de manière très claire les problématiques que cette dialectique suscite : Ordre familial, ordre social, ordre légal, éléments d'une sociologie politique

de la famille, l’Année sociologique, vol. 37, 1987, p. 265 et s.

43 Cf. Informations Sociales, Solidarités familiales, n° 35/36, 1994.

44 Il n’est pas neutre de constater à ce propos que 58 % des français, selon un sondage dont rend compte La Croix du 20/1/1994, font de la famille la valeur, pour eux, essentielle. Cette tendance a été également notée dans les réponses qui ont été apportées au questionnaire diffusé par le gouvernement auprès des jeunes durant l’été 1994.

45 On peut recourir, pour mieux comprendre cette concurrence, au concept de « double bind » utilisé en psychiatrie, en l’aménageant au propos : ce concept témoigne de l’émission spontanée de deux ordres de message, se contredisant l’un l’autre. Si la famille assure des fonctions qui ne permettent pas à l’Etat de se présenter comme souverain, en ne socialisant pas l’individu, en n’assurant pas son développement physique et psychique, en ne reproduisant pas et en ne transmettant pas les valeurs civiques et morales constitutives de l’Etat, il y a un phénomène comparable au « double bind ». L’individu reçoit ainsi, en même temps, et souvent par la même voie (les parents, etc.) deux ordres contradictoires, se référant à deux systèmes de valeur contradictoires : situation schizophrénique pour le psychisme individuel, qui débouche sur une anomie sociale, c’est-à-dire sur l’absence de perception par l’individu des règles sociales, qui ne permet pas à l’Etat de s’imposer comme souverain. En revanche, ce sont alors les valeurs familiales qui peuvent apparaître à terme comme les valeurs

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s’exercer dans un sens valorisant l’individu, valeur fondatrice de cet Etat démocratique, tous les moyens ne sont pas utilisables, et une large part de liberté pour la famille et ses membres est nécessaire. C’est ici alors que le droit prend une place particulière, en étant, relativement à la famille, un des moyens constituant l’Etat par rapport à elle, c’est-à-dire agissant sur les familles, en lui fixant un statut, pour l’inscrire dans un sens utile à l’Etat.

6. L’histoire confirme une telle dialectique. Le politique antique s’est incontestablement formé contre l’économique familial 46. La reconstruction de l’Etat au Moyen-âge se fait contre le

domaine privé où la famille règne en maître. Mais pour avoir mis en place des statuts juridiques

différents concernant la famille, ces régimes politiques ont essentiellement entériné la puissance de fait du groupe. A l’inverse, la Révolution française nous offre le scénario idéal, où l’Etat, pour mobiliser de nouvelles valeurs, organise une réforme juridique de la famille, aussitôt suivie d’une autre, en même temps que les valeurs publiques changent avec l’empire 47. S’ouvre alors une

nouvelle vision du rapport Etat/famille, où celle-ci tend à s’effacer derrière l’individu, même, et peut-être surtout dans la vision napoléonienne de la famille, si dans les rapports individuels, et notamment entre le mari et la femme, ou entre le père et l’enfant, le droit reproduit ou introduit une situation de hiérarchie. Malgré tout, l’individu est mis au premier plan et, à la très notable exception de la période de Vichy qui, se réclamant d’autres valeurs, essaie de redonner une place importante à la famille 48, c’est cette tendance à la prise en compte de l’individu qui domine les

relations entre l’Etat moderne et la famille. Néanmoins, comme nous l’avons constaté cette prise en compte de l’individu ne signifie pas et ne peut pas signifier disparition de l’intérêt de l’Etat à l’égard de celle-là : si le droit privé est alors, pour la famille, le droit des relations entre individus, et si, logiquement puisque l’individu est au centre de la conception moderne de la famille, ce droit privé occupe la place essentielle de l’interrogation juridique, le droit public, parce qu’il peut proposer une conception alternative et complémentaire du rapport Etat/famille, n’est pas absent de cette interrogation.

Il n’est alors pas étonnant de voir que de nombreux instruments juridiques, ayant vocation à organiser le pouvoir politique, sont utilisés pour tenter de délimiter un tel rapport. En droit international, on ne compte plus les références à la famille, soit pour constater sa place

intégrées par l’individu, parce que plus concrètes, vécues par lui : contraires à celles de l’Etat, elles inscrivent pour l’individu la famille comme la seule institution souveraine. Sur le concept de double bind, Cf. G. Deleuze & F. Guattari,

L’anti-Oedipe, capitalisme et schizophrénie, p. 94 et s. On pourra également rapprocher de ceci, dans une perspective plus

consciente du conflit entre les prescriptions étatiques et les prescriptions des institutions non-étatiques, le classique conflit entre la loi de la famille (le coeur) et celle de l’Etat (la raison) qui joue un rôle si important dans la représentation collective (théâtre, éthique, etc.).

46 Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que le terme économie vient de oikia, qui signifie en grec, comme nous l’avons vu avec Aristote, maison ou famille. L’économique est donc bien, avant toute chose, ce qui a trait à la maison.

47 Cf. I. Thèry & C. Biet (Dir.), La famille, la loi, l'Etat de la révolution au code civil, Imprimerie Nationale, Paris, 1989. 48 Cependant ce régime, poursuivant l’oeuvre entreprise par la L. du 18/2/1938 supprimant l’incapacité de la femme mariée, va avec la L. du 22/9/1942 participer à une une profonde réforme modernisant le droit de la famille, qui sera achevée par les grandes lois des années 60–70 (et notamment la L. du 13/7/1965 sur les régimes matrimoniaux).

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essentielle au sein de la société 49, soit pour protéger l’individu, dans sa famille 50, ou dans son

droit à la famille 51. Et l’ONU a déclaré 1994 « Année internationale de la famille » 52, en se

donnant pour objectif d’ « édifier la plus petite démocratie au coeur de la société ». En droit comparé, nombre de constitutions illustrent également de manière explicite la relation dialectique et constitutive entre l’Etat et la famille 53 : par exemple en Allemagne 54, en Chine 55, en Espagne 56, en Iran 57, en Italie 58, en Irlande 59, au Portugal 60 ou en Turquie 61. Et l’on peut constater

alors que de telles consécrations constitutionnelles transcendent largement les oppositions idéologiques ou culturelles.

La place de la France dans ce mouvement explicite apparaît, en revanche, singulièrement en retrait : si la famille est bien mentionnée dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 62, elle est absente du corps du texte de 1958, et n’est même pas explicitement évoquée par

l’article 34 précisant le domaine législatif. Cette discrétion n’est pas propre à la Ve République : si l’on excepte les textes de la période de Vichy, logiquement diserts au regard du familialisme affiché du régime 63, seule la IIe

République a pu, dans la Constitution du 4 novembre 1848 64, se

préoccuper explicitement de la famille. Il existe donc incontestablement en France une tradition de relatif silence à l’égard de la famille. Cela est d’autant plus surprenant que la France est, dans le même temps, un des rares pays à affirmer avoir une politique familiale spécifique 65. Aussi cette

49 Par exemple : Déclaration universelle des droits de l’Homme (New-York, ONU, 10 décembre 1948), Art. 16 ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ONU, 16 décembre 1966), art. 10 ; Déclaration des libertés et droits fondamentaux (Parlement européen, Union européenne, 12 avril 1989), art. 7 ; Charte sociale européenne (Conseil de l’Europe, Turin, 18 octobre 1961), art. 16 ; Déclaration américaine des droits et devoirs de l’Homme (Bogota, 2 mai 1948), art. 6. Ces textes sont présentés, avec d’autres, en annexe.

50Parmi les plus importants : Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ONU, 18 décembre 1979) ; Convention relative aux droits de l’enfant (ONU, New-York, 20 novembre 1989) – annexes –. 51 Notamment : Convention de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme, Conseil de l’Europe, Rome, 4 novembre 1950), Art 8 ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ONU, 16 décembre 1966), art. 17 ; Convention relative aux droits de l’enfant (ONU, New-York, 20 novembre 1989) – annexe –.

52 Résolution 44/82 du 8/12/1989.

53 Il faut également penser aux dispositions déjà citées concernant l’Egypte (n. 26) ou la Grèce (n. 27). Un ensemble de dispositions pertinentes est reproduit en annexe à cette thèse.

54 Constitution du 11 août 1919, art. 119, & Loi fondamentale du 23 mai 1949, art. 6. 55 Constitution de la République populaire de Chine du 4 décembre 1982, art. 49. 56 Constitution espagnole du 29 décembre 1978, art. 39.

57 Constitution de la République islamique de l’Iran du 4 décembre 1980, § 10. 58 Constitution italienne du 27 décembre 1947, art. 29.

59 Constitution irlandaise du 1er juillet 1937, art. 41. 60 Constitution portugaise du 25 avril 1976, art. 67. 61 Loi Constitutionnelle turque de 1982, art. 41.

62 Alinéa 10 « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».

63 Projet de Constitution du maréchal Pétain, Art. 5 « L’Etat reconnaît les droits des communautés spirituelles, familiales, professionnelles et territoriales au sein desquelles l’homme prend le sens de sa responsabilité sociale et trouve appui pour la défense de ses libertés ».

64 Préambule, art. IV : « [La République] a pour principe la Liberté, l’Egalité et la Fraternité. Elle a pour base la Famille, le Travail, la Propriété, l’Ordre Public ».

65L’adoption d’une loi relative à la famille a montré récemment que, pour ne pas être toujours très lisible, l’intervention de l’Etat était aussi effective que diverse : L. du 25/7/1994.

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tradition n’est-elle pas pour autant révélatrice d’un désintérêt, comme le confirme l’actualité récente du droit public. L’année 1993 a connu la constitutionnalisation du droit à la vie familiale normale 66et, en 1995, les cérémonies commémoratives du cinquantenaire de l’ordonnance du 3

mars 1945, instituant l’Union nationale des associations familiales, inciteront à réfléchir sur le statut que les pouvoirs publics réservent à la famille, au travers de l’organisation officielle d’une représentation familiale 67. Il faut alors dépasser le laconisme des instruments juridiques, pour

définir les conditions qui permettront d’analyser les rapports Etat/ famille sous l’angle du droit public.

B – Famille et droit public : conditions d’une analyse.

7. Pour pouvoir présenter quelque intérêt dans la compréhension des relations entre l’Etat et la famille, une étude portant sur la famille et le droit public doit répondre à un certain nombre d’exigences d’ordre méthodologique. Si le droit public est un instrument important de ces relations, il ne constitue pas l’unique instrument juridique, et le droit lui-même, pris globalement, n’est pas seul à intervenir efficacement et effectivement dans cette relation. Dès lors, les conditions de pertinence de l’analyse doivent être précisées : il faut savoir ce que l’on cherche, pour envisager comment et où le chercher, puisque aussi bien, « on ne cherche que ce qui est absent là où on le cherche » 68.

8. L’intitulé du sujet : Famille et droit public, délimite le domaine de l’étude en se référant à deux termes. Leur définition n’est pas aisée a priori.

Souligner la polysémie du terme famille est très banal. En dehors de la sphère juridique, les discours cognitifs admettent cette polysémie à la fois comme condition et comme résultat de l’étude. Les historiens 69 envisagent ainsi, sous le même vocable, des réalités aussi différentes

que, par exemple, la familia romaine – selon le Digeste, « grand nombre de gens soumis soit par le

66 13/8/1993, Déc. 93-325 DC – annexe- . 67 Ord. n° 45-323 du 3/3/1945.

68 Emir Abd-el-Kader, Ecrits spirituels, Le seuil, 1982. La phrase sert d’avertissement au livre de R. Lourau, Actes

manqués de la recherche, PUF, 1994.

69 Comme introduction, on pourra se reporter à plusieurs articles concernant l’histoire dans l’ouvrage collectif : F. de Singly (Dir.), La famille, l'état des savoirs, Editions La Découverte, 1991 ; V. également : Histoire de la famille, (n. 41). Les ouvrages qui suivent, classiques de l’étude historique sur la famille, apportent de nombreuses informations, même s’ils sont plus orientés autour du thème moderne (qu’ils ont contribué à imposer) des relations dans la famille, qu’autour de celles entre la famille et l’Etat : P. Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime, Seuil, 1973 ; J. L. Flandrin,

Familles : parenté, maison, sexualité dans l’ancienne société, Seuil, 1984 ; E. Shorter, Naissance de la famille moderne,

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droit, soit par la nature, au pouvoir du père de famille » 70 – , la famille-souche, où le père désigne

un héritier, qui demeure avec sa femme et ses enfants au foyer des parents, alors que ses frères et soeurs sont exclus, ou la famille nucléaire moderne, limitée aux parents et à leurs enfants 71. Les

anthropologues agissent de même, et nous ont montré que, du point de vue tout au moins des formes familiales, les diversités étaient grandes 72. On pourrait multiplier les exemples,

notamment en sociologie 73, en psychiatrie 74, ou en psychanalyse 75. Un tel usage du terme

famille ne tend pas à gommer l’apparition de réalités diverses (patrimoniales – les biens affectés ou appartenant à la famille – et extrapatrimoniales – le pouvoir dans la famille, par exemple –, communauté de vie ou parenté, etc.) sous un vocable unique ; la pluralité de sens est au contraire assumée par la recherche scientifique, mais elle est subsumée dans la construction d’une catégorie générique, construite comme objet d’étude : la famille. Par-delà les différences, une identité est ainsi saisie ou postulée.

Les juristes, pour leur part, ont du mal à proposer une définition de la famille. Le droit positif n’en donne pas, et les dictionnaires juridiques ont une attitude très révélatrice à cet égard : soit ils recensent les multiples usages que le droit positif fait du terme 76, usages parfois

contradictoires – par exemple, une définition peut inclure parents et enfants (famille nucléaire) 77,

alors qu’une autre limite la famille aux seuls enfants 78 et qu’une troisième l’élargira à d’autres

membres 79 –, soit ils l’ignorent purement et simplement, semblant implicitement dénier que ce

concept puisse concerner le droit 80. En toute hypothèse, parce que les définitions que les juristes

pourraient construire de la famille mobiliseraient nécessairement des concepts juridiques (définition par rapport à l’alliance, ou définition par rapport à la parenté, par exemple), c’est-à-dire des concepts construits par le droit, et variables selon les systèmes juridiques qui procèdent à cette construction, de telles définitions ne peuvent avoir d’efficacité cognitive que de manière très relative (au sein d’un système juridique donné), et ne peuvent prétendre lever l’imprécision que le droit manifeste à l’égard de la famille.

70 Digeste 50, 16, 195, 2, cité in Histoire de la famille, op. cit. (n. 41), t. 1, p. 254.

71 On parle à l’inverse de famille élargie dès lors que d’autres éléments de parenté se joignent à cette structure, ou que cette structure familiale est absorbée dans une structure plus grande. Nous aurons l’occasion d’observer, en analysant le droit positif, que celui-ci peut supposer aussi bien la famille nucléaire que la famille élargie : Cf. particulièrement infra, titre 2 de la 1ère partie.

72 Cf., ici encore pour introduire, les contributions à l’ouvrage dirigé par F. de Singly, op. cit. (n. 69) ; pour une problématique d’ensemble, on relira l’article que C. Lévi-Strauss a consacré à La famille, in op. cit. (n. 28).

73 Pour introduire, F. de Singly, Sociologie de la famille contemporaine, Nathan, 1993. 74 Par exemple : R. D. Laing, La politique de la famille, Stock, 1972

75 V. les Leçons, de Pierre Legendre, Fayard, par exemple.

76 C’est ce que fait par exemple le Vocabulaire juridique publié sous la direction de G. Cornu, op. cit. (n. 19) 77 En matière d’autorité parentale par exemple.

78 Dans le cadre de l’abandon de famille notamment, ou dans le statut réservé aux mères de famille.

79 Par exemple en matière de Conseil de famille (art. 408 C. civ.) : « Le juge choisit les membres du Conseil de famille parmi les parents ou alliés des père et mère du mineur [...] ».

80 Par exemple, F. de Fontette, Vocabulaire juridique, Que-sais-je ? n° 2457, PUF, 3e édition 1991, qui passe directement

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9. A l’inverse, le droit public paraît se prêter plus aisément à une définition, ou tout au moins être moins mouvant que le concept de « famille ». Très académiquement, on pourra le présenter comme « l’ensemble des règles juridiques concernant la complexion, le fonctionnement, et les relations des Etats et des organisations ou des collectivités qui les regroupent ou les constituent » 81. Simple, cette définition demande cependant à être précisée de deux point de vue :

sa validité générale d’une part, et d’autre part sa validité pour l’étude.

D’un point de vue général, il faut compléter cette définition en incluant dans le champ du droit public un certain nombre de relations que l’Etat et d’autres personnes publiques entretiennent avec les individus. Il faut ensuite observer que le droit public constitue ainsi une branche du droit positif, un mot d’ordre 82, davantage qu’une discipline de la science juridique ; c’est alors

essentiellement à son étude, c’est-à-dire à une étude du droit actuel français, que nous nous essaierons.

Dans ce cadre, il convient de noter que c’est à travers les relations impliquant l’Etat et une entité non étatique (la famille), que nous serons conduit à envisager le droit public : une grande part du droit international ne relèvera dès lors pas de l’analyse ; cependant, il est incontestable que le sujet ne peut se limiter à la seule étude du droit interne, puisque aussi bien des notions telles que le regroupement familial, ou d’autres issues du droit européen des droits de l’homme, par exemple, viennent éclairer utilement le sujet. Selon la manière ensuite dont on abordera la famille, et notamment comment on la situera par rapport au concept de « collectivités qui constituent l’Etat », le champ du droit public pour le sujet connaîtra de très larges variations. Cela nous amène à pressentir que cette définition du droit public peut seulement être prise dans une fonction utilitaire, pour aborder la recherche et permettre une première approche analytique ; en retour, l’étude pourra obliger à la nuancer, à la modifier, ou à la reconstruire. Car en fin de compte, une analyse portant sur la famille et le droit public est, au-delà d’une analyse de droit public, une analyse du droit public. Si le droit public peut, éventuellement, contribuer à une meilleure connaissance de la famille, notamment par la description du contenu des normes, il est clair que la manière dont il appréhende la famille permet aussi, et surtout, au juriste de réfléchir sur l’instrument : le droit, en tant qu’il se donne pour objet la famille.

10. Ainsi, les définitions de la famille d’une part, du droit public d’autre part sont-elles déterminées par les relations qui existent entre elles. Notamment, il faut convenir que, en ce qui concerne le concept de « famille », la définition est étroitement dépendante, pour l’étude juridique, de la relation dynamique s’établissant entre deux phénomènes différents, le phénomène juridique et le phénomène familial.

81 V° Public (Droit), in G. Cornu (Dir), Vocabulaire juridique, PUF, 1992.

82 Rappr. C. Eisenmann : Régimes de droit public et régimes de droit privé, in Cours de droit administratif, LGDJ, 1982, p. 301 et s., & Droit public, droit privé (en marge d’un livre sur l’évolution du droit civil français du XIXe au XXe siècle), RD publ. 1952, p. 903 et s. V. également M. Troper, L'opposition public - privé et la structure de l'ordre juridique, Politiques et management, vol. 5, n°1, mars 1987, p. 181 et s.

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Le sous-titre : Recherches sur la construction d’un objet juridique, explicite alors cette relation, en s’attachant à la dynamique qui s’y manifeste : une dynamique de construction et d’appropriation de l’un des termes (la famille) par l’autre (le droit public). On peut en effet admettre avec Michel Troper, au moins comme hypothèse de départ qu’il faudra soumettre ensuite à la critique, que « la famille n’est pas [ici, c’est-à-dire dans la sphère juridique] un objet naturel, [qu’elle] n’a même aucune existence en dehors du droit qui la régit [et qu’elle est] seulement un objet juridique ou, si l’on préfère, un objet construit ou constitué par le droit » 83.

Un tel sous-titre indique ainsi ce que l’on entend chercher dans l’étude : un mouvement constructif, celui par lequel le droit public construit, ici, la famille. Il implique comment le chercher.

11. Les imprécisions que nous venons de noter dans les définitions ne nous semblent pas constituer un obstacle dirimant à notre entreprise. Rappelant François Perroux, nous admettrons que la polysémie n’est pas un handicap aussi lourd qu’il paraît de prime abord, et que « ces repères suffisent s’ils sont pris pour donner le départ, [et] non, bien sûr, pour désigner un aboutissement ni même délimiter un champ de la théorie et de l’analyse ; la science telle que nous la concevons aujourd’hui, ne se déduit pas de définitions » 84.

Une des conditions essentielles de l’analyse est bien alors d’accepter de lier les deux sujets, pour montrer comment ils se définissent, dans une relation dialectique. Or, en nous attachant ainsi à ce lien et au mouvement qui en résulte, nous nous interdisons de prétendre traiter directement l’ensemble des sujets connexes qui concernent le droit public et la famille.

Ainsi, parce qu’il s’agit de rendre compte d’une construction, nous ne prétendons pas rendre compte de l’objet construit. Nous n’avons pas comme objectif de bâtir ce qui pourrait constituer, au sens académique, un « droit public de la famille », discipline aux côtés, ou à la place, du droit privé de la famille : une description raisonnée et exhaustive des règles de droit public ayant trait à la famille, établie à partir de la synthèse des différentes matières de droit public. L’intérêt d’une telle étude serait évident, ne serait-ce que pour mieux révéler à quel point la matière est riche, et il est probable que nombre de publicistes, voire de privatistes, spécialistes du droit de la famille, seraient surpris par l’ampleur qu’aurait une telle recherche. Cependant, elle ne saurait se confondre avec la nôtre, parce qu’elle tend à donner une image arrêtée du droit public et de la famille. Ce type d’approche ne permettrait de percevoir la famille que de manière très indirecte, au travers de textes épars et de niveaux différents, en droit international et communautaire, comme en droit interne, depuis la Constitution jusqu’aux actes administratifs les plus communs. La jurisprudence, éclatée et limitée à la solution de points précis et fragmentaires, ne serait pas plus éclairante. Quant à la doctrine, il faut convenir qu’elle manifeste pour l’essentiel

83 M. Troper, Intervention au séminaire du Haut Conseil de la Population et de la Famille, Du politique et du social dans

l'avenir de la famille, Paris, 6 et 7 février 1990, Doc. fr., 1992, p. 179.

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à l’égard de la question de la famille un intérêt limité. S’il est vrai que certaines études, dont nous avons rendu compte, ont su faire admettre la légitimité d’une lecture de droit public, aux côtés du droit civil de la famille, la question apparaît malgré tout « à la marge ». Comme cela a pu être noté lors d’un colloque organisé par le ministère de la Recherche et celui des Affaires sociales autour du thème « Recherches et famille », cette lecture se heurte à l’absence de statut du champ social 85

dans le domaine juridique. Notamment, « le cloisonnement des disciplines à l’Université paraît influencer la contradiction entre la situation réelle du droit social à la frontière du droit public et du droit privé, et son rattachement au droit privé pour le concours d’agrégation : pour celui-ci, la spécialisation en droit civil garde une importance primordiale (ce qui a probablement un effet sur le nombre restreint d’orientations vers le droit social au niveau de la thèse) » 86 ; on pourrait alors

ajouter que ce rattachement tend, pour de nombreux publicistes, à produire le même effet « repoussoir » : rattachée au droit privé, la matière mérite-t-elle de retenir le publiciste ? Ainsi reste-t-elle largement dans un brouillard, qui la laisse entrevoir, mais où elle n’est pas regardée. Cette situation impressionniste n’est pas sans avantages pour l’Etat : la construction de l’objet « famille », largement implicite, est aussi, et par là même, libre et souple. Cette construction ne préjuge d’aucune politique, elle laisse la porte ouverte à une grande palette d’interventions. Mais ces avantages, compréhensibles, ne sauraient satisfaire le juriste. En effet, l’illisibilité globale et apparente des techniques mises en oeuvre ici cache ce qui peut apparaître l’essentiel : la manière dont l’Etat construit par le droit public l’objet « famille », donc la politique du droit qu’il mène en la matière. S’attacher à rendre compte de la construction revient à essayer de dissiper le brouillard qui entoure l’objet juridique construit, en tout cas à en montrer la cohérence juridique. Nous cherchons bien un mouvement constitutif : à la seule description de la structure du droit, nous

semble préférable, pour sa compréhension, le suivi de sa génération.

Une autre interrogation, pourtant essentielle, ne sera pas non plus au centre de notre analyse : c’est celle des rapports entre deux branches du droit (droit constitutionnel et droit civil de la famille par exemple), dans une perspective de recherche sur la constitutionnalisation des branches du droit 87.

Cela ne signifie pas que ces problématiques seront systématiquement ignorées. Le pourraient-elles ? Nous les utiliserons, mais elles ne constituent pas l’élément dynamique de l’analyse, qu’il nous faut dès lors préciser.

85 L’auteur emploie le concept de droit social dans un sens sans doute plus sociologique (le droit qui traite du champ social) que technique et juridique (droit du travail, de la sécurité sociale, etc.), ce qui n’est d’ailleurs pas sans poser des problèmes logiques, sur lesquels nous reviendrons (Cf. particulièrement le dernier chapitre de la thèse). Nous retiendrons nous-mêmes généralement ce sens, pour signaler, sous réserve de précisions, le champ social comme ce qui n’est ni le domaine politico-juridique, ni le domaine privé et intime.

86 Actes du colloque du 26 janvier 1983 à l'UNESCO, RF aff. soc., n° 4, Octobre-décembre 1983, p. 137. Rappr. de l’étude de J. F. Niort, La naissance du concept de droit social en France : une problématique de la liberté et de la solidarité, RRJ, 1994, p. 773 et s.

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12. Il convient, semble-t-il, de partir non de ce que l’on croit être ou devoir être la famille a

priori, en tant qu’élément sensible, empiriquement observable et soumis à un régime juridique,

mais de la famille telle qu’elle se dégage du droit, telle qu’elle apparaît comme notion intelligible, relevant d’une interprétation qui lui donne un ou plusieurs sens ou significations. Ce qu’il faut ainsi rechercher, comme l’indique Jean-Arnaud Mazères à propos de notions qui partagent avec la famille un caractère polysémique, le marché et la Nation, n’est pas tant « la constatation seulement descriptive du rapport d’un objet au droit qui le règle, mais l’interrogation sur la signification de ce rapport : l’analyse se déplace alors sur le terrain du dégagement de l’intelligibilité de ce rapport [...] La question devient celle de l’interprétation par le droit de cette notion » 88.

Ainsi doit-on admettre que le droit n’a pas le monopole de la construction de la famille, et que cet objet est aussi bien un objet sociologique, religieux, politique, etc., en fonction du système qui procède à sa construction. Nous rencontrons donc un objet qui est appréhendé par plusieurs constructions intellectuelles, souvent en relation les unes avec les autres 89, ce qui oblige à

comprendre la construction juridique de la famille par rapport à la spécificité de l’Etat lui-même, en tant qu’ordre juridique, donc en tant que construction. Aussi la construction juridique de la famille ne peut-elle être détachée de la relation qui existe entre l’Etat et la famille : elle constitue au sens le plus complet l’expression d’une politique du droit. Pour pouvoir être saisie, elle suppose qu’on puisse s’attacher aussi bien, dans la construction, à l’objet construit qu’à l’objet qui construit : à l’unilatéralité du discours juridique, qui constate la construction par le droit public comme un résultat, doit être substituée une approche phénoménologique 90, qui considère l’Etat,

dans cette relation constructive, non comme un axiome, ce qui est le propre des analyses positivistes 91, mais comme un phénomène social, c’est-à-dire un phénomène dont la nature

sociale est apte à éclairer la construction juridique à laquelle il soumet 92 un autre phénomène

social : la famille.

88 J. A. Mazères, Marché et Nation : essai d’approche juridique, Université des sciences sociales de Toulouse, mars 1994, p. 16.

89 Comme l’a montré notamment Jack Goody (L'évolution de la famille et du mariage en Europe, Armand Collin, 1983), l’Eglise a influé sur la construction d’un système de comportements et d’interdits familiaux, qui sont devenus la règle commune. On peut ajouter que jusqu’à une période récente tout au moins, et à l’exception de certains milieux très minoritaires (libertaires, etc.), l’image de la famille propagée par l’église a été l’image dominante dans l’ensemble du milieu politique, y compris dans la tradition socialiste française, ou dans la tradition syndicale et/ou communiste. Sur ces points, Cf. la bibliographie proposée par D. Renard, La famille comme catégorie de l'action socio-politique, MIRE, 1988, particulièrement au chapitre IV.

90 Sur la phénoménologie en droit, Cf. la thèse de P. Amselek : Perspectives critiques d’une réflexion épistémologique sur

la théorie du droit, essai de phénoménologie juridique (Méthode phénoménologique et théorie du droit), LGDJ, 1964.

91 La question de l’Etat, dans cette perspective, est métajuridique ; la science du droit n’a pas à s’en préoccuper. L’Etat est l’ordre juridique (axiome) et la science du droit se préoccupe du fonctionnement valide de cet ordre.

92 Une première convention de langage doit être précisée. Même si, comme nous le verrons, l’Etat n’est pas pour nous tout le droit, nous concevons l’Etat comme un ordre juridique : « Etat = droit ». En tant qu’ordre juridique, il est évident que l’Etat est une simple construction intellectuelle et immatérielle qui ne saurait en elle-même avoir une quelconque volonté ou capacité d’agir. Mais en tant que phénomène social, l’Etat est un objet construit pour et par quelque chose. Son institution n’est ni naturelle ni aléatoire. Elle est le fruit d’éléments complexes. Certains sont invariants et d’autres varient, certains sont explicites et d’autres obscurs et cachés, certains relèvent d’une volonté consciente et d’autres de déterminations diverses, etc. Ainsi, par commodité d’écriture, pourrons-nous fréquemment écrire « l’Etat veut ... » ou comme ici « l’Etat

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13. L’analyse institutionnelle nous semble permettre cette approche. Aussi nous appuierons-nous sur elle, non pas parce qu’elle constituerait pour appuierons-nous un idéal en soi, mais parce qu'elle s’est imposée à nous dès lors que nous avons cherché à comprendre la génération du droit et que, pour reprendre l’heureuse expression de Jacques Mourgeon, « s’enracinant dans la sociologie pour jaillir vers le droit » 93, elle est apparue apte à éclairer efficacement notre projet de recherche 94. 14. L’analyse institutionnelle suppose, à la différence des théories classiques sans doute, que l’on considère le droit comme une réalité qui apparaît dès qu’un groupe atteint une certaine cohérence : ubi societas, ibi jus, selon le mot de Cicéron. Le groupe constitue alors une institution, qui génère du droit, mais qui n’est pas créée par du droit, même si le droit lui permet de durer. Le mot institution fait ainsi référence non à un groupe institué par le droit 95, mais à « une

construction intellectuelle qui va au-delà de la description pour tenter de constituer un modèle explicatif, s’appliquant à l’Etat et au droit » 96. Cette analyse a donné naissance à des théories

nombreuses, diverses, et se déployant dans tous les champs de la connaissance sociale : sociologie, philosophie, politique, économie, etc. 97. Ces théories ne sont pas constitutives d’une école

soumet » sans pour cela prêter une quelconque vie à cette construction. Simplement, nous voulons dire de manière courte et lisible que l’ensemble des phénomènes, conscients ou inconscients, explicites ou implicites, politiques, économiques ou autres, qui influent sur l’ordre juridique « Etat », et participent à sa construction, sont tels qu’un sens se dégage de cet ordre juridique sans que l’on puisse dire que tel gouvernement, tel groupe de pression, etc., a voulu explicitement ce sens – en revanche, lorsque tel serait le cas, nous ne dirions pas « l’Etat veut », mais « telle personne veut » –.

93 Cf. La répression administrative, LGDJ, 1967.

94 La notion même d’institution pourrait aisément faire encore l’objet de plusieurs thèses en droit, pour en présenter la genèse et en proposer une réelle critique. Nous n’avons ici nulle prétention de présenter de manière complète et objective un tel concept, qui est à nos yeux fondamental pour une compréhension du droit. Rejoignant en cela Jacques Chevallier

(L’analyse institutionnelle, in L’institution, PUF, 1981, p. 3 et s.), nous nous servirons dans ce travail de l’analyse

institutionnelle en ne retenant que les critères de l’opérationnel et de l’efficace, pour comprendre la construction du concept de famille par le droit public. Cela nous conduira donc à nous placer essentiellement au niveau interinstitutionnel de l’analyse, niveau dynamique et en perpétuelle évolution pour la constitution des institutions elles-mêmes, qui est par ailleurs celui qui pose le plus de problèmes à l’analyse institutionnelle, qu’elle soit ou non juridique (Cf. R. Hess & M. Authier, L’analyse institutionnelle, PUF, 1993, spécialement 4e partie).

95 Au sens des institutions politiques et administratives, par exemple.

96 J. A. Mazères, Théories institutionnelles de la connaissance juridique, cours de DEA de droit public, Université de Toulouse 1, 1994.

97 V. pour une approche pluridisciplinaire R. Lourau, L'analyse institutionnelle, Editions de minuit, 1970, & V° Institutions, Encyclopaedia Universalis. Comme introduction, on pourra consulter : J. Chevallier (Dir.) : L’institution, PUF, 1981 ; G. Deleuze, Instincts et institutions, Hachette, 1955 & Présentation de Sacher-Masoch, Minuit, 1967 ; R. Hess & M. Authier, L’analyse institutionnelle, PUF- L’éducateur, 1993 ; R. Hess & A. Savoye, L’analyse institutionnelle,

Que-sais-je ? n° 1968, PUF, 2e édition 1993 ; N. MacCormick & O. Weinberger, Pour une théorie institutionnelle du droit, nouvelles

approches du positivisme juridique, LGDJ, 1992 ; S. Romano, L’ordre juridique, Dalloz, 1975 ; J. P. Sartre, Critique de la raison dialectique, t. 1 Théorie des ensembles pratiques, Gallimard 1960 ; A. Touraine, La voix et le regard, Seuil, 1978 .

On trouvera de nombreux éléments de bibliographie complémentaire dans ces ouvrages et dans l’article de Y. Tanguy :

L’institution dans l’oeuvre de Maurice Hauriou, actualité d’une doctrine, RD publ. 1991 n° 1 p. 61 et s. Certaines

approches, dans des disciplines diverses, mériteraient enfin d’être précisées par rapport à ce que l’on entend dans le monde des juristes par analyse institutionnelle. On pense notamment à certains courants émergeant en Economie, dont a priori la problématique rejoint des interrogations institutionnalistes : outre le cas maintenant bien connu de François Perroux (Cf. notamment Pouvoir et économie, Bordas, 1973), des recherches seraient à entreprendre en direction de l’Ecole française de la régulation, de l’Ecole néo-institutionnaliste ou de l’Ecole française conventionnaliste (V. Revue économique n° 2, 1989, «L’économie des conventions », spécialement à partir de la définition de la convention comme « une régularité qui a sa

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