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C – Les textes nationaux protégeant la famille.

183. Nous employons ici un pluriel pour désigner des textes alors qu’en vérité, on chercherait

en vain davantage qu’une référence dans l’alinéa 10 du Préambule de la Constitution de 1946. L’énoncé est pour le moins succinct, voire obscur : « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Nous verrons cependant que, parce qu’énoncé constitutionnel, parce qu’énoncé national, il occupe une place centrale dans la normativité qui a abouti au droit de l’homme à une vie familiale normale. Comparer la formulation du droit par rapport à celle de l’énoncé permet alors d’apprécier l’ampleur de ce travail normatif.

De manière indirecte cependant, et c’est ce qui peut justifier notre pluriel, des lois ou règlements peuvent organiser une protection. Dire alors que les énoncés français en font explicitement un droit fondamental est sans doute exagéré ; mais cela n’est cependant pas sans importance. En effet, d’une part, les juges vont construire une norme constitutionnelle, à partir notamment du Préambule de 1946, que le juge constitutionnel utilise comme modèle pour apprécier la validité de telles dispositions législatives, et le juge administratif de celles qui seraient réglementaires. Les ingérences étatiques ne sont valables dans le mécanisme de la Convention européenne, d’autre part, qu’en étant, entre autres conditions, prévues par la loi. Pour ces deux raisons, il n’est pas indifférent de constater que l’article 34 de la Constitution, même s’il ne mentionne pas la famille, semble réserver au législateur l’ensemble des éléments qui la constituent, au moins s’agissant des prérogatives individuelles susceptibles de s’intégrer dans le droit de l’homme à la vie familiale normale 520, tel que le dégagent les juges. C’est leur travail

normatif, à partir de ces ensembles d’énoncés, qu’il faut à présent retracer.

518 26/2/1986, art. 8 A.

519 Dir. du 28/6/1990 : 90/364 CEE; 90/365 CEE & 90/366 CEE.

520 « [...] La loi fixe les règles concernant : les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; [...] ; l’état et la capacité des personnes [...]. La loi détermine les principes fondamentaux : [...] du régime de la propriété, des droits réels, et des obligations civiles et commerciales [...] ».

§ 2 – Des jurisprudences convergentes.

184. A partir des énoncés que nous venons de présenter, les juges ont dégagé une norme

commune, le droit de mener une vie familiale normale.

La chose est aisée à concevoir, une fois le processus provisoirement terminé. La jurisprudence se réfère à cette norme, en indique le statut, et l’impose à la fois comme droit générique fondamental, et comme seule norme protectrice des droits individuels en matière familiale. En cela, les juges 521 participent à la relation entre l’Etat et la famille. Ils le font dans un

sens qui traduit l’unité politique de cette relation, qui conforte le paradigme familial, la construction fonctionnelle des pouvoirs, et sa valeur constitutive pour l’Etat : droit fondamental de valeur constitutionnelle de mener une vie familiale normale, tous les éléments sont là.

La chose est moins aisée à décrire. Au-delà éventuellement des arrêts de principe, on se doit de tenir compte de plusieurs faits essentiels. Aucun juge n’a dégagé seul la norme, l’imposant pour la voir reprise par d’autres : il y a un processus dialectique, qui n’est sans doute pas achevé, l’Etat évoluant. Les juges ne se sont pas référés nécessairement aux mêmes énoncés ; l’ont-ils fait, que diverses raisons ont pu avoir pour conséquences qu’ils ne l’ont pas exprimé. Les juges qui ont participé à cette normativité sont intervenus, de plus, en fonction de pouvoirs divers, ce qui joue nécessairement sur l’exercice du pouvoir normateur 522 : dans quel ordre se situe-t-on, européen,

et lequel, ou national ? Que contrôle-t-on : un acte administratif, une loi, ou un acte juridique d’une personne privée ? Quels systèmes de contraintes interviennent ?

Il est un symbole de ces difficultés : alors que l’on arrive à identifier le juge – le Conseil d’Etat – qui a explicitement conceptualisé et formulé la règle, le voilà qui y renonce et, s’il l’applique matériellement (en ce sens, la norme demeure), il l’explicite tout autrement (et alors, la norme est implicite).

Pour la clarté de la présentation, on pourra alors montrer que c’est dans le cadre du Conseil de l’Europe que la norme est née (A), mais qu’elle a été formulée en ces termes pour les juridictions nationales, et par elles (B). Cela ne doit cependant pas occulter que ces mouvements s’imbriquent, comme s’imbriquent les ordres juridiques nationaux et européens en la matière ; cela ne doit pas occulter la génération dialectique de la norme

521 Qui sont autorités des ordres juridiques investies du pouvoir de donner une interprétation authentique, et qui, par le jeu de la relevance en ce qui concerne la France, sont des autorités de l’ordre juridique étatique, quel que soit leur moment d’intervention (juge national, juges européens). Même si l’ordre de l’Etat tient compte, en effet, des ordres européens et donne compétence à certains de leurs organes pour intervenir en son sein avec un pouvoir normatif (Cour de justice des communautés, Cour et commission européennes des droits de l’homme), il n’y a pas disparition de l’Etat, ni de sa prétention à la souveraineté. La relevance tend au contraire à faire apparaître l’ensemble de ces organes comme des organes de l’Etat.

522 Pour une problématique générale, Cf. M. A. Eissen, Cours constitutionnelles et Cour européenne des droits de

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