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96. Même si la doctrine s’accorde majoritairement à ne pas voir dans la famille un sujet, elle reconnaît, au moins en certaines occasions, que « [cela] n’exclut pourtant pas que des biens – tels les souvenirs de famille – lui soient, de quelque manière, rattachés » 283. Paradoxe juridique ?

Aveu d’impuissance de la part de la doctrine, prise en défaut par un corps de règles en apparence incohérent ? Certes non. Mais cette doctrine s’oblige alors à lire le droit positif afin d’y faire apparaître le collectif qui, de prime abord, n’y apparaît pas, afin donc de faire de la famille un cadre qui n’est pas explicitement visé par le droit, mais qui en est la référence obligée, explicative, qui en est donc à proprement parler le paradigme 284.

Au-delà de l’appartenance individuelle de tel bien 285 ou de telle prérogative, comme

l’autorité parentale, la doctrine doit faire surgir la famille.

C’est à travers la notion de pouvoir ou de fonction que cette doctrine rattache alors le collectif familial aux prérogatives individuelles 286. Constatant que le droit tend à finaliser ces

prérogatives, que l’individu ne peut exercer librement dans son intérêt exclusif, mais qu’il doit exercer dans un intérêt partiellement distinct du sien, celui d’un autre individu appartenant à la famille, tel l’enfant, ou celui du groupe lui-même, la doctrine s’appuie alors sur cette fonctionnalisation pour montrer la prise en compte de la famille par le droit. L’interprétation doctrinale est pertinente : elle traduit fidèlement l’état du droit positif, qui se réfère effectivement à

283 F. Terré, Introduction générale au droit, Dalloz, 1991, p. 288.

284 Le Robert définit ainsi le paradigme : « Mot-type qui est donné comme modèle pour une déclinaison, une conjugaison. ». La doctrine juridique l’emploie, comme nous l’avons dit, pour signifier « un cadre de relations, [...], une référence implicite des normes de droit [...], mais une référence indéfinissable, promise à de constants ajustements et peu opératoire lorsqu’il s’agit d’appliquer certaines règles qui la visent [...] » (A. Jeammaud, Irréductibilité du droit du travail à

une organisation de l'entreprise, extrait d’un ouvrage à paraître).

285 Ou de la mise en commun des biens par accord des parties, comme pour les biens constituant la communauté matrimoniale. Cela participe de la même logique que l’appartenance individuelle puisque cette mise en commune se rapporte à la volonté individuelle : les biens sont librement affectés par les époux (dans une certaine mesure) ou, en toute hypothèse, ils sont affectés par la loi parce que les époux ont consenti à se marier et à se placer, ce faisant, sous tel régime matrimonial.

286 Sur l’ensemble du chapitre, on se reportera à la thèse d’Emmanuel Gaillard, Le pouvoir en droit privé, op. cit. (n. 187).

Adde, pour une critique et des nuances, J. B. Donnier, L’autorité en droit privé, Thèse droit, Aix-en-Provence, 1992.

L’auteur oppose le pouvoir à l’autorité, et caractérise l’autorité par les mêmes éléments que ceux qu’ E. gaillard attribue au pouvoir : finalité et proportionnalité notamment.

la famille comme à un paradigme des fonctions. Elle parvient ainsi à montrer comment le droit, dans le cadre de l’individualisme méthodologique, n’exclut pas la famille comme collectif, et comment ainsi le droit construit, par ce paradigme, la famille comme objet.

Cependant, pour être pertinente, une telle analyse peut sembler insuffisante. Notamment, elle rend compte de la famille construite comme paradigme, sans laisser place à la nature sociale et de la famille et du droit ; c’est-à-dire qu’elle ne situe pas socialement l’objet construit, parce qu’elle n’appréhende pas le phénomène de construction. A cet égard, on peut légitimement s’interroger sur l’objectivisation résultant d’une analyse en termes de fonction ici, et partant sur son idéalisme : ce n’est pas la pertinence interne d’une telle analyse, en tant qu’elle rend compte du droit positif explicite, qui est alors en cause ; mais c’est sa capacité à rendre compte, au-delà de la construction juridique apparente, de la dialectique qui aboutit à cette construction. Car le paradigme n’est pas un objet neutre du droit. Il est un moyen par lequel une réalité sociale, l’Etat, construit son rapport politique avec une autre réalité sociale, la famille.

Il convient alors de suivre la doctrine dans sa présentation de la famille au travers des fonctions individuelles reconnues par le droit positif (section 1). Puis sans s’en tenir à cet aspect explicite, il faut éclairer la construction du paradigme, par le droit positif, comme élément de la relation politique entre deux institutions (section 2).

SECTION 1 : UNE LECTURE FONCTIONNALISTE

DU DROIT POSITIF.

97. Le droit positif accorde une place importante à des prérogatives qui ne relèvent nullement d’une logique du droit subjectif, mais bien de celle du pouvoir. C’est en s’appuyant sur cette catégorie d’actes que la doctrine parvient à établir la connexion nécessaire entre l’individu, titulaire des prérogatives juridiques, et le paradigme familial, qui oriente et finalise ces prérogatives. L’interprétation téléologique des puissances attribuées débouche sur l’idée de fonction.

Une telle démarche place ainsi la question sur le seul terrain de la puissance, à l’exclusion de celui concernant la fondation de la juridicité du groupe. N’est directement sujet de droit que l’individu. Ne possède de pouvoir ou de biens que la personne physique. L’ensemble des relations qui impliquent ces individus révèle alors la famille comme un objet, souvent implicite, du droit, et ces statuts complexes sont ramenés à la volonté de l’Etat, prévus par la loi, et justifiés par ce seul fait.

L’analyse « fonctionnaliste » de la famille 287 s’ouvre ainsi sur une construction

doctrinale capable de concilier l’individualisme méthodologique du droit positif et la protection de la famille ramenée à une référence. Mais elle le fait en fonction de sa logique, fondamentalement normativiste, qui marque, de fait, l’ensemble de la construction. Elle peut présenter alors, pour qui ne se rallierait pas sans état d’âmes à une analyse normativiste du droit, des prémisses et des conséquences logiques à questionner.

Il nous faut ainsi retracer la construction de la prise en compte de la famille dans cette logique individualiste (§ 1) puis en saisir les implications théoriques (§ 2).

287 En employant ce terme d’analyse fonctionnaliste, nous ne voulons pas faire référence à une doctrine déterminée et bien délimitée, et se présentant comme telle (ce qui n’exclut pas par ailleurs, comme nous le verrons, que cette approche obéit à une logique relativement bien arrêtée). Nous voulons simplement suivre une des approches possibles du droit dans la famille, qui se construit autour de l’idée que les prérogatives accordées aux individus dans la famille doivent être analysées comme des fonctions.

§ 1 – La famille dans une logique individualiste.

98. Ce sont les juristes normativistes, en raison sans doute des conditions épistémologiques qu’ils ont énoncées pour une analyse juridique, qui ont forgé les instruments utiles à la compréhension juridique du collectif autour de la notion de fonction.

Cette logique individualiste, qui fait du collectif un paradigme des fonctions individuelles, sous-tend cependant, au-delà de la doctrine normativiste, une majorité d’analyses théoriques, particulièrement dans le champ des juristes intéressés à la famille, et y compris au sein de la doctrine subjectiviste. Si cependant la notion de fonction en matière familiale paraît maintenant bien admise, il n’est pas certain que ce soit, comme dans le cadre du normativisme, à titre de véritable concept explicatif. Notamment, au-delà du terme, volontiers utilisé, nombre d’auteurs semblent avoir quelques réticences à proposer une véritable lecture fonctionnaliste du droit positif.

Après avoir montré comment la fonction permet l ’élaboration d’une théorie susceptible de relier le collectif « famille », non reconnu directement, aux prérogatives individuelles (A), nous observerons concrètement comment cette notion juridique peut rendre compte des rapports de famille (B) et nous signalerons l’utilisation équivoque qu’une partie de la doctrine semble faire du concept de « fonction » dans l’analyse du paradigme familial (C).

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