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B – Une présentation raisonnée du droit positif.

106. Dans une thèse qu’elle a consacrée à la protection de l’enfant dans la famille 311, Claire

Neirinck a proposé une analyse systématique des prérogatives dont sont dotés les membres du

305 V. note 292. Et nous verrons au point suivant qu’à notre sens, dans cette perspective, ces divergences ne sont pas pertinentes.

306 V. Sur le concept de famille, Miscelanea Vermeersch, t. 2 in Analecta Gregoriana t. X, Rome, 1935.

307 Le problème de la personnalité morale de la famille, Bulletin de la classe des lettres et des sciences morales et politiques de l'Académie royale de Belgique, vol. 35, 1949, p. 334. Les italiques sont de Jean Dabin.

308 On trouve en substance une analyse comparable chez Josserand (De l’esprit des droits et de leur relativité, Dalloz, 1939) ou chez Brethe de la Gressaye. Mais comme l’a montré et critiqué E. Gaillard (n. 187), la « fonctionnalisation » joue dans un cadre subjectiviste généralisé, par référence constante à la notion unique d’abus de droit, là où il convient, pour le moins, c’est-à-dire si l’on ne renonce pas au subjectivisme, de distinguer des pouvoirs fonctionnalisés et des droits subjectifs : on trouve un effort en ce sens chez A. Rouast, Les droits discrétionnaires et les droits contrôlés, RTD civ., 1944, p. 1 et s.

309 V. chapitre précédent.

310 C’est-à-dire assurer la protection de leur intérêt par d’autres moyens que la simple confiance placée dans la perception et la conscience des parents.

groupe familial en termes de fonctions. On remarque tout de suite que la problématique et le titre choisis par l ’auteur, pour apparaître « provocants » 312, s’inscrivent tout à fait dans l’approche de

la famille que nous avons considérée comme pertinente, tant au regard du contenu du groupe qu’en ce qui concerne les rapports qui s’y déroulent, au point de pouvoir en constituer l’idéal-type. On peut donc aisément considérer cette démonstration comme fondamentale pour voir de quelle manière se manifeste l’approche fonctionnaliste dans la famille, d’autant que l’auteur, à la différence d’une partie de la doctrine, intègre expressément la notion de fonction sans remettre en cause le subjectivisme.

107. Claire Neirinck montre tout d’abord que le Code Napoléon avait principalement en vue

une protection patrimoniale de l’enfant. Or, ce qui pose problème en droit comme en fait, c’est moins la protection du patrimoine que la protection de la personne, rapportée, d’une part, aux prérogatives dont disposent les parents et, d’autre part, à une évanescence des structures traditionnelles de parenté et de vie. Cela fait apparaître que « l’individu n’est plus assujetti à la famille. Celle-ci est au contraire à son service. Elle doit permettre son épanouissement » 313.

C’est de cette manière que l’on pourrait définir simplement la fonction individuelle première de l’individu dans la famille : permettre l’épanouissement de chaque membre du groupe

314. Dans la problématique que s’est donnée Claire Neirinck, il s’agit d’une fonction des parents

envers les enfants. Mais dans une perspective plus large, il n’est pas impossible de considérer très généralement que cette fonction gouverne également les prérogatives que le droit accorde à un parent envers l’autre, ou les solidarités que le droit instaure de manière réciproque entre ascendants et descendants 315.

Ce que montre ainsi l’auteur, même si elle le nuance, c’est qu’il n’existe pas d’un côté des prérogatives qui seraient des droits sur des personnes, et qui rencontreraient contre elles d’autres prérogatives – celles de l’enfant ou celles de l’Etat – pour les limiter, mais qu’au contraire, les prérogatives des individus sont en elles-mêmes des limites, réalisant la fonction ainsi définie. A cet égard, le glissement sémantique de la puissance paternelle à la fonction parentale traduit le double mouvement de l’égalité des parents d’une part, de leur « fonctionnarisation » d’autre part, qui substitue à un droit subjectif égoïste un pouvoir s’apparentant à une charge 316,

révélant une prérogative dont on ne pourrait abuser (abus de droit) mais qu’on ne remplirait pas en la détournant (détournement de pouvoir).

312 Id., préface de B. Teyssié. 313 Id., p. 9.

314 Une illustration en sera trouvée à l’art. 213 C. civ. « les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir ».

315 V. par exemple le devoir d’aliment : art. 205 et s. C. civ.

108. Dans cette optique, l’auteur établit une classification en distinguant deux grandes

fonctions, qu’elle qualifie respectivement de «fonction-vie» et de « fonction-gouvernement ». Une première série de prérogatives se rattache à la « fonction-vie ». Ces prérogatives sont des droits et obligations d’un ou des parents qui ont pour objet de permettre à l’enfant de vivre

317:

— durant la grossesse (obligations administratives et médicales, mais aussi droit des parents aux allocations de l’Etat, de la mère au congé maternité ou à la protection contre le licenciement), à l’occasion de la naissance (établissement de l’état de l’enfant) ou directement après elle (congé postnatal) ;

— après la naissance (aliments, entretien et autres conditions matérielles d’existence) 318.

Une deuxième série de prérogatives réalise une « fonction-gouvernement» ; il s’agit très généralement de l’autorité parentale :

— vis-à-vis de l’enfant, qui est objet de gouvernement ;

— vis-à-vis des tiers (responsabilité, représentation et liberté des choix essentiels de gouvernement : éducation, soins 319, religion, etc.).

109. Cette classification permet à Claire Neirinck d’envisager de manière dynamique et

unitaire l’ensemble des normes trouvant à s’appliquer dans son champ d’analyse.

Ce travail montre que l’analyse fonctionnelle peut rendre ainsi compte, dans le même mouvement, tant de la législation pénale en matière familiale 320 et du contrôle public, que des

techniques civilistes, en les ramenant tous à une fonction simple. Tout en restant dans une stricte démarche individualiste, cette analyse intègre le paradigme collectif (la famille comme objet) et des prérogatives exorbitantes (l’autorité parentale essentiellement). De manière suffisamment réaliste, elle témoigne de certaines ambiguïtés qui font apparaître l’individu à la fois comme sujet et objet de droit, comme bénéficiaire de droits ou comme enjeu de pouvoirs dans des relations qui

317 De ce point de vue d’ailleurs, et en l’absence de statut de l’embryon, il ne nous semble pas que les questions relatives à la décision de faire naître puisse se rattacher à ces fonctions, cette décision s’analysant juridiquement en liberté de la mère. V. titre 2 de cette partie et les nuances de Claire Neirinck (thèse p. 201-205).

318 A la différence de l’auteur, nous ne croyons pas que l’on puisse placer intégralement le problème de la maltraitance ici. Si l’on raisonne en termes de fonctions, celle-ci sera un détournement de la fonction gouvernement ou se ramènera à une autre question : celle des coups et blessures volontaires, celle des infanticides, celle de l’abandon (c’est-à-dire la renonciation à toute fonction), etc. Le cadre familial n’est pas le paradigme d’une fonction dans ces cas mais une circonstance de l’infraction. Cf. titre 2 de cette partie.

319La loi allemande retient d’ailleurs ce terme de « soin » pour en faire la catégorie générique des devoirs dus par les parents. On pourra également rapprocher l’attitude du droit anglais qui, préférant le terme de responsabilité à celui d’autorité, traduit bien une philosophie fonctionnelle. Cf. entre autres : J. P. Nicolas (Dir.), La protection de l'enfance et de

la jeunesse dans les pays de la Communauté Européenne, IDEF & Association de sauvegarde de l'enfance et de

l'adolescence de Maine-et-Loire, 1993 (un fascicule par pays membre de la CEE).

320 P. Couvrat, Le droit pénal et la famille, Rev. sc. crim. 1969, p. 807 et s. & Les orientations actuelles du droit pénal de

la famille en France, in Journées de la société de législation comparée, RID comp., 1992, n° spécial, vol. 14, p.371 et s. ; du

même auteur, La famille, parent pauvre du droit pénal, in Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers, Le droit non civil de la famille, PUF, 1983, p. 133 et s. ; G. Levasseur, Les transformations du droit pénal concernant la vie familiale, APD t. 20, 1975, p. 57 et s.

l’englobent et le dépassent. Ainsi, par exemple, les enfants sont-ils dans cette perspective fonctionnelle à la fois au centre des intérêts qui orientent les pouvoirs des parents, et l’enjeu de ces pouvoirs. La situation qui leur est réservée dans le cadre du divorce le montre : à voir les enfants ballottés et les pouvoirs revendiqués, on ne sait pas toujours si les parents exercent vraiment et uniquement l’autorité parentale dans l’intérêt des enfants, ou s’ils prennent prétexte de cette autorité pour se servir des enfants eux-mêmes dans le cadre du conflit entre adultes.

Cependant, à bien des égards, il semble que Claire Neirinck ne veuille pas faire de cette analyse fonctionnelle l’explication des phénomènes que l’on observe dans la famille, s’arrêtant à une classification pourtant éclairante, et semblant hésiter, comme nous allons le voir, devant les conséquences de cette analyse. Une telle attitude est loin d’être isolée. Elle révèle une certaine ambiguïté dans l’utilisation de l’analyse fonctionnelle par la doctrine dominante, particulièrement sensible à l’approche subjectiviste.

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