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Professionnalisation au travers des échanges de pratiques

Introduction de la problématique théorique

2. Le développement professionnel des enseignants

2.4. Professionnalisation au travers des échanges de pratiques

Nous développerons le rôle des situations d’échanges de pratiques formalisés. La démarche d’un groupe d’échanges (et non d’analyse, la sémantique est importante)

129 permet l’intégration des pratiques communes et développe une dimension collective du développement professionnel. Dans le débat, chacun apporte sa personnalité, sa façon d’ « être le métier » et son expérience qui obéissent à ses propres règles et ses valeurs. Il s’agit, à l’instar Marcel (2005, p. 19), de permettre aux participants de développer des « compétences en analyse » susceptibles d’être mobilisées pour appréhender les futures situations professionnelles qui se présenteront à lui. La volonté de rendre ses positions légitimes et crédibles imposera à l’individu d’étayer et de justifier ses prises de décisions. Au sein d’un groupe socialement reconnu, la place accordée à une expérience vécue par l’un des membres est davantage considérée qu’une expérience livresque, moins contextualisée. L’appropriation des expériences qui s’inscrit dans le contexte local par les membres du groupe se diffuse selon des dimensions individuelles et collectives qui participent à renforcer le sens négocié et la pratique réflexive (Donnay & Charlier, 2008). La notion d’engagement dans un collectif se traduit par la participation au débat afin que chaque membre puisse donner du sens aux expériences partagées et faire de cet échange un support d’apprentissage. Cette démarche rend les pratiques intelligibles et crée ainsi un enrichissement mutuel au travers des confrontations d’expériences et développe un autre mode de formation (Altet & Guilbert, 2014, p. 85). Les pratiques d’activités de discussion et de collaboration sur les pratiques dans et hors de la classe favorisent une décentration du point de vue. L’objectif souhaité est variable selon les individus et peut concerner notamment le renouvellement des pratiques, l’intégration des réformes. Grâce à ces dispositifs, l’intégration des jeunes enseignants est facilité et ceux-ci se familiarisent à la culture professionnelle (Audran & Daele, 2009). Toute la dimension liée au projet, évoquée précédemment, provoque souvent le dialogue et les enseignants débattent de questions pratiques. Cela permet de questionner en profondeur les situations, de les analyser, développer une attitude réflexive et la faire évoluer pour s’adapter, augmenter la maitrise de la pratique et améliorer le sentiment d’auto-efficacité. Ces pratiques discursives amènent à se décentrer, à argumenter pour élargir leurs visions d’une problématique pédagogique. Nous voyons apparaitre un autre rôle attribué au groupe qui consiste à créer des savoirs, pour ensuite les diffuser dans le groupe (Marcel & Garcia, 2010, p. 19).

Nous reprenons à l’instar de ce qui est développé par Daele (2013, p. 45) les trois conditions pour qu’une communauté se développe. Bien que ces travaux soient issus

130 d’un travail sur une communauté virtuelle, la transposition nous semble appropriée et intéressante.

Les conditions d’entrée : cette condition est liée au mode de désignation des membres du groupe. Ce groupe se constitue-t-il à partir d’un volontariat ou d’un intérêt commun pour un thème d’étude ? Dans le cadre des comités TICE des établissements, il sera important de savoir comment le groupe observé aura été constitué. Il peut être intéressant dans un groupe de connaitre l’habitude et la place accordée par les membres aux pratiques réflexives. Les différences de statut sont à prendre en considération bien que celles-ci peuvent apparaitre comme favorables aux échanges dans certaines situations (Wittorski, 1997) ainsi que la nature des relations existantes entre les membres.

Conditions de participation et d’implication : la nature et l’importance du développement professionnel dépendent des membres du groupe eux-mêmes, de leurs histoires personnelles et de la confiance qu’ils pourront s’accorder les uns avec les autres. La nature de l’animation et la place de l’animateur sont importantes pour favoriser la participation et l’implication des participants. Du cadre de fonctionnement du groupe dépendra le caractère d’employabilité accordé aux savoirs construits et échangés.

Conditions d’échanges entre participants et entre pairs : La liberté et la sincérité des échanges dépendent du respect mutuel ressenti et du droit à l’erreur consenti par tous. L’acceptation par l’enseignant du projet commun défendu par la communauté est nécessaire. L’acceptation d’entrer dans une controverse est liée à l’acceptation du conflit, et doit s’accompagner d’une reconnaissance des compétences de chacun des membres et des règles de vie du groupe.

Le travail de groupe et la négociation du sens se construisent par la réunion régulière du groupe pour favoriser la mise en action d’un intérêt commun. Cette pratique développe de nouvelles façons de considérer ou de comprendre les activités d’enseignement. L’engagement dans ce type de pratiques contribue à façonner l’identité professionnelle des enseignants et permet un développement des compétences professionnelles. Les membres de ces groupes d’échanges sont en capacité de connaitre les éléments du milieu culturel et social qui impactent sur la situation, identifient les liens entre les enseignants et le milieu. Au sein du groupe se développent deux processus inséparables : la co-construction de connaissances et le conflit socio cognitif qui permet au groupe de ne pas se couper de nouvelles idées

131 pour faire avancer la réflexion. Le développement professionnel se construit souvent autour d’un conflit socio cognitif qui apparait au cours d’un échange et provoque une décentration sur les pratiques qui favorise la compréhension de celles-ci et diffuse les éléments de réflexion dans le groupe professionnel. Les informations perturbantes qui ressortent des différentes interactions et autres formes de prises d’informations sont essentielles. Ces éléments de remise en question des pratiques amènent les enseignants à un enjeu social de rétablissement et le besoin d’un équilibre cognitif qui permet de dépasser les difficultés et établir une nouvelle structure qui sera elle-même précaire dans un futur proche (Bourgeois & Nizet, 1997; Daele, 2013, p. 13;65). Un exemple intéressant de posture d’accompagnement et de développement de compétences est proposé par Boutte lorsqu’il fait apparaitre l’évolution des échanges entre novices et experts pour mettre en évidence une réciprocité des échanges au sein des dyades (Boutte, 2004). Grâce au processus de co-construction, les idées peuvent être travaillées sans être perpétuellement remises en cause.

Nous remarquons que la formation liée au numérique responsable est souvent rejetée car perçue comme une nouvelle intrusion des objets technologiques dans les pratiques enseignantes. Nous savons que la diffusion des pratiques numériques a été difficile pour certains enseignants avec notamment une difficulté d’approche pour les anciens qui ont pu être dépassé par de nombreuses pratiques collaboratives et des formations appuyées sur des apprentissages socioconstructivistes (Coen, 2007, p. 126). Nous pouvons convenir que les échanges de pratiques à propos de la formation du cyber-citoyen seront initialement centrés sur les contradictions institutionnelles actives, les oppositions voire conflits entre enseignants ou autres catégories de personnels. Dans ce cas, ces dispositifs deviennent des analyseurs de situations présentes ainsi que des évolutions institutionnelles qui pèsent sur les activités d’enseignement. Pour Monceau, une situation conflictuelle tient de la dynamique de groupe, elle permet de faire évoluer les rapports aux autres groupes sociaux. Le rapport est de même nature avec l’évolution institutionnelle que l’on retrouve dans le processus de professionnalisation de l’enseignement. (Monceau, 2004, p. 32). De façon tout à fait contraire, Mallet (2008, p. 128) considère les conflits et les malentendus comme des sources de régression de formes, y compris des processus d’intelligence collective et des organisations apprenantes. Pour Marcel, les situations d’échange de « trucs » et de savoir-faire contribuent au développement du savoir « être » à son métier. La progressivité du réinvestissement au sein des pratiques

132 illustre à la fois le phénomène de développement professionnel et le dispositif de transmission (Marcel, 2009a, p. 136-137). Pour les enseignants novices, il s’agit de pouvoir tirer profit des pratiques expertes par une mise en questionnement des gestes professionnels et le développement d’un esprit critique au travers des situations exposées. Par exemple, une activité conjointe avec un professeur plus expérimenté dispose de plus de crédit et permet une projection de la pratique. Une telle situation offre une place privilégiée au langage. (Marcel, 2009c, p. 140).

Nous abordons notre travail de recherche avec la notion « insidieuse » qui concerne la relation personnelle que pourrait entretenir les jeunes enseignants à la cyber-citoyenneté. Cette position pourrait déplacer la situation d’expertise accordée aux gestes professionnels (aux enseignants expérimentés) vers une expertise d’usage et de proximité sociale (aux novices).

La situation d’apprentissage proposée, au travers des échanges de tour de mains, propose une réflexion sur l’action qui peut générer de nouvelles expériences de pratiques mais n’engendre pas forcément de changements. Les réponses données à un message lors de la discussion entre deux enseignants offrent un partage d’expériences en décrivant et précisant les contextes, ce qui permet un élargissement du champ d’observation. Cet échange peut déboucher sur une adaptation des éléments, une appropriation et peut-être une réutilisation des éléments conceptualisés. En ce qui concerne les enseignants qui apportent leur témoignage, le fait de devoir argumenter leur point de vue favorise la décentration, élargit la représentation de leurs pratiques et construit du sens autour des pratiques quotidiennes. La participation aux débats et le règlement de conflits socio-cognitifs augmentent la qualité des échanges et favorisent l’implication des membres (Boutte, 2004; Daele, 2013, p. 16). Cette démarche d’échanges de pratiques engage des raisonnements collectifs, se construit sur un argumentaire plus poussé et permet pour l’établissement de créer des liens entre savoirs, théories, concepts et la pratique enseignante, alors que les liens initiaux n’étaient pas si évidents pour les différents acteurs du groupe (Butler, Lauscher, Jarvis-Selinger, & Beckingham, 2004). L’apport du groupe est plus intéressant qu’un échange direct avec un expert unique qui ne proposerait qu’un seul point de vue et ne pourrait profiter d’une variété d’analyse. Bien entendu, la discussion ne fonctionne pas toujours car elle dépend de la capacité des enseignants à s’ouvrir à la démarche réflexive et à leur degré d’acceptation de la critique. Ce type de pratiques peut permettre de développer des réponses plus

133 adaptées à des situations de classes nouvelles pour soi et imprévisibles. Pour saisir les situations dans leur intégralité (sous tous les aspects : matériels, conceptuels et organisationnels) les participants à ces échanges doivent accepter de s’exposer et de s’ouvrir aux regards des autres. Pour construire et développer des compétences grâce à ce type de pratiques, il est nécessaire que les enseignants fassent preuve d’une réelle envie de collaborer. La démarche réflexive et les prises de position argumentées sur des débats pédagogiques peuvent faire progressivement évoluer la culture des enseignants en y intégrant une routine d’exposition aux opinions divergentes et au débat argumenté. Ces pratiques réflexives appartiennent aujourd’hui aux dispositifs de formation initiale et gagneraient à être mise en place en formation continue pour diffuser ces habitus dans les pratiques enseignantes. Les situations d’apprentissage proposées en groupe se font au travers de situations variées d’interaction qui prennent un caractère formel ou informel (Daele, 2013, p. 53). Les gestes professionnels présentés demandent des capacités d’adaptation pour faire en sorte de s’approprier les éléments de l’échange. Nous connaissons l’impact pour les jeunes enseignants du modèle du tuteur et de sa contribution dans le déploiement de certaines pratiques dont nous pouvons penser que les apprentissages ont été vicariants ou par imitation et supportés par l’échange de pratiques tout au long de l’accompagnement du stagiaire (Karsenti, 2007).

Nous avons relevé une situation dissymétrique dans le cadre d’un parcours de formation initiale qui relève d’un accompagnement à l’entrée dans le métier. Lorsque les échanges se déroulent entre des personnes de même statut et dans un climat de confiance réciproque, les échanges sont favorables et riches. Ce climat de confiance se traduit par un respect mutuel des personnes, une liberté de parole et de comportement. Un tel contexte provoque une décentration de sa propre activité, ce qui est une source importante d’apprentissage (Daele, 2013, p. 64). Dans une démarche de décentration, l’individu n’est pas l’objet d’un jugement, le travail collectif porte sur la résolution d’un problème pédagogique ou lié à la pratique enseignante. La performance individuelle et la mise en avant des personnes n’est pas au centre des préoccupations. Toutes ces conditions matérielles contribuent à développer pour les participants un sentiment de sécurité perceptible sur plusieurs points. Cette situation de sécurité est favorable à l’expression libre, authentique, dépourvue de crainte et empreinte de sincérité. Lorsque le groupe sort de sa définition première, les échanges

134 se bloquent, les apprentissages se réduisent pour ensuite disparaitre et parfois générer des tensions.

Pour préserver le bon fonctionnement de tels groupes, il est nécessaire de s’assurer de sa bonne organisation. Le respect des règles constitutives du collectif doit être une garantie. La place de l’animateur et/ou du modérateur est importante pour garantir un respect mutuel et un fonctionnement harmonieux. Cette sécurité psychologique octroie aux membres du groupe un espace dans lequel ils n’ont pas à gaspiller d’énergie ni à lutter contre les diverses formes de critique. Les enseignants engagés peuvent se consacrer exclusivement à leurs pratiques professionnelles. Des relations interpersonnelles d’aide et de soutien se créent pour permettre l’expression des émotions lors d’expériences diverses pour y apporter un regard différent. Tous ces éléments sont de nature à renforcer le lien initial d’engagement dans la collaboration, par la présence de signes d’appartenance à un groupe socialement constitué et reconnu.

Ainsi, le sentiment d’appartenance au groupe se construit à la fois à partir de l’histoire antérieure des individus et sur la base d’expériences communes. Le temps consacré à l’adhésion au groupe et à l’établissement des perspectives du collectif sert de catalyseur à la démarche. Pour le bon fonctionnement du groupe, il est nécessaire que les frontières soient distinctement marquées entre les échanges à l’intérieur mais aussi à l’extérieur du groupe.

Dans sa revue de littérature, Rovai, (2002) in (Daele, 2013, p. 81 ) met en avant quatre caractéristiques qui favorisent le développement du sens de la communauté. Tout d’abord l’esprit de communauté qui traduit l’appartenance et le lien qui existe entre ses membres qui partagent un objectif commun, la confiance mutuelle qui lie les membres du groupe et favorise la bienveillance, une notion d’engagement qui permet de favoriser les apprentissages et l’interaction entre ses membres qui se définit par les relations personnelles.

Les travaux de groupe permettent la construction de savoirs au travers d’une forme de socialisation professionnelle. Celle-ci est définie et caractérisée par les éléments de l’identité professionnelle des enseignants, leur positionnement face aux différents acteurs du contexte, les espaces professionnels qu’ils fréquentent et ceux qu’ils évitent ainsi que les règles du métier qu’ils ont incorporées et qu’ils incarnent (Marcel, 2005, p. 19). Les expériences professionnelles sont également constitutives de cette identité en raison des échecs et des réussites qui ont jalonnés la carrière. Certaines

135 situations professionnelles caractéristiques peuvent être sensibles et chargées émotionnellement, tant en terme de réussite que d’échec.

De notre point de vue, l’approche des analyses de pratiques demande une mise en place très précise et des dispositifs de formation pour les animateurs et les régulateurs des séances. Ces dispositifs demandent une méthodologie spécifique dans la mise en œuvre du dispositif et dans l’accompagnement de l’exploitation des matériaux obtenus. Notre travail s’intéresse davantage à des échanges autour de pratiques et d’analyse des situations qui ne sont pas identifiés comme des analyses de pratiques. L’objectif de notre approche est de permettre aux enseignants, dans un dispositif accessible, de comprendre la façon de « faire » d’un point de vue plus large. Cette forme d’analyse propose une résolution des situations jugées parfois problématiques et place l’enseignant en difficulté pour la mettre à l’épreuve de la théorie et ainsi trouver collectivement des solutions qui profitent à chacun des participants. Nous nous retrouvons dans la perspective sémantique que propose Perrenoud 2001) lorsqu’il évoque des analyses de pratiques moins méthodiques et cadrées. Nous avons une position explicite sur le fait que ces deux types d’actions ne se font pas concurrence. Les dispositifs d’analyse de pratiques participent à une formation continue plus élaborée et complexe. Nous défendons l’idée que l’accès aux dispositifs d’échanges sur les pratiques sera plus facile à intégrer au quotidien des établissements scolaires. Ces dispositifs locaux permettront d’engager un nombre plus important d’enseignants dans une pratique discursive et collaborative autour des problématiques de terrain. Cette démarche nous semble pertinente pour faire en sorte que les enseignants soient en capacité de se nourrir de la diversité et capable de susciter certaines controverses pour dépasser les différents formes d’opposition. Ce format de dispositif d’échange et de formation peut selon nous proposer une entrée plus large pour discuter de la formation au numérique responsable et permettre une adhésion sur le thème, voire une diffusion des pratiques. Cette démarche collective et collaborative est transposable à d’autres objets de travail et à d’autres collectifs constitués et à venir.