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Notion de communauté et d’espace social construit

Introduction de la problématique théorique

2. Le développement professionnel des enseignants

2.3. Notion de communauté et d’espace social construit

Le développement professionnel induit par les pratiques collaboratives déplace la focale, non pas sur l’acte d’enseigner, mais bien sur l’acte d’apprendre à enseigner. Il s’agit d’une forme de décentration. La mise en place de pratiques collaboratives permet un soutien mutuel des apprenants. Tous les dispositifs de co-construction de connaissances constituent une réponse aux attentes des enseignants et répondent à un besoin de s’engager. Cet espace de co-construction accorde une place aux enseignants novices comme aux enseignants expérimentés qui bénéficient de ces échanges entre pairs. Dans la mise en œuvre de pratiques de collaboration , le chef d’établissement dispose d’un rôle d’organisateur de façon à faire en sorte que le travail l en équipe amène chacun à connaitre et à intervenir dans la pratique des collègues (Monceau, 2004, p. 40). Le pilotage de ces pratiques de collaboration constitue un levier de changement qui peut s’appuyer sur la place qui lui est accordé dans les différents conseils qui organisent la vie d’un établissement (conseils d’enseignement, pédagogique, conseil de classes, conseil d’administration ...). Comme c’est le cas pour notre objet d’étude, la démarche peut être initiée parfois par l’injonction, puis intégrée à l’ensemble des pratiques par un phénomène de diffusion ou de percolation pour reprendre les termes de Brousseau (2002) et de Chevallard (2003). Nous pouvons évoquer l’adhésion qui se crée, au sein d’un collectif socialement construit, et contribue à l’appropriation des objets construits. Une fois

125 passé le cap d’acceptation de l’injonction, le collectif peut s’émanciper du cadre pour devenir constitutif du travail enseignant et ainsi s’intégrer à la pratique. Lorsque certaines difficultés locales sont contournées (comme par exemple la constitution du collectif : aléatoire, imposé, affinitaire) comme Marcel l’a déjà souligné (Marcel, 2005, p. 595).

La notion de travail partagé et de pratiques de collaboration contribuent à l’apparition de communauté d’apprentissage dans la perspective d’un développement professionnel, dans lequel le rôle des pairs est essentiel au titre des théories de l’apprentissage social (Paquay, Perrenoud, & Etienne, 2014; Saint-Luc, 2011, p. 140). Choplin (2007, p. 57) organise les différentes communautés selon les deux axes de la collaboration et de la communauté. Nous y retrouvons à la fois les communautés de pratiques et les communautés d’apprentissage qui nous intéressent.

Degré de communauté

Degré de collaboration

Commun faible Commun fort

Collaboration forte 2-Réseaux d’entraide, groupes « projet »

3-Communautés d’apprentissage

Collaboration faible 1-Réseaux 4-Communautés de

pratiques Tableau 6: Quatre types de collectifs selon Choplin (2007 ; p.57)

Le développement de la communauté ne se réduit pas aux échanges, notamment autour des pratiques langagières. Ce développement s’appuie également sur l’engagement mutuel et collectif autour du « faire ensemble » et des principes de coaction développés précédemment (Marcel & Garcia, 2010, p. 18-19). L’élaboration d’actions communes est nécessaire pour que les situations de collaboration et de coopération soient propices aux apprentissages professionnels, que cela soit par imitation ou de nature vicariante. L’approche de la théorie de l’apprentissage vicariant (Bandura, 1995) a également été retenue par Marcel pour observer la construction de savoirs professionnels au travers de l’investissement et l’engagement des enseignants dans un travail partagé (prescrit ou choisi). Ces travaux laissent apparaître une influence de la nature de la prescription. La prescription est de nature descendante lorsqu’elle vient de l’institution, à caractère hiérarchique, celle-ci est vécue comme une injonction, ou montante si elle provient du collectif, dans ce cas elle est concertée et

126 contextualisée (Marcel, 2009c, p. 141). L’organisation d’un projet montant est propice à un apprentissage social car une telle démarche permet la structuration du collectif, participe à l’élaboration de règles de fonctionnement, organise et expose un mode de prise de décision et de régulation. Ces types de responsabilisation des acteurs constituent, selon Carré et Charbonnier (2005), un espace favorable au développement des apprentissages professionnels informels. D’autre part, chaque dispositif nécessite une planification des taches et une cohérence entre les actions et les différents acteurs. Par la mise en place de ce type d’action au travers des échanges et des débats argumentés, se développe un climat de sécurité dans le sens où chaque acteur se considère libre de s’engager et de s’exprimer dans un espace de construction. Il s’agit de trouver un cadre convivial et rassurant de nature à créer une dynamique d’engagement et une perception d’un espace social identifié dépourvu d’animosité et d’agressivité (Daele, 2013, p. 17). Chaque individu s’engage dans cette démarche selon sa trajectoire personnelle, ses intérêts et les stratégies qui l’animent. Il existe également au sein des différents dispositifs, des formes de luttes et de concurrences qui se jouent. Ces différents éléments se tissent et se déploient au travers de cet environnement professionnel social (Lahire, 2007, p. 76). Le nécessaire établissement de bonnes relations humaines apparait essentiel pour le développement des facteurs de motivation dans un apprentissage social (Bandura, 1995, p. 97). La caractérisation d’un groupe social par une définition statutaire (les personnels enseignants) ne permet pas assurément la naissance d’un collectif dans lequel les interactions sociales seront porteuses. L’espace social, au sens où nous l’entendons, permet de décrire les interactions sociales qui se construisent au sein d’un groupe (Daele, 2013, p. 20). L’engagement dans un contexte d’apprentissage partagé, de développement des connaissances et de compétences par le biais de l’interaction entre les apprenants correspond à la définition d’un espace social. Cet espace ainsi défini est utile pour l’enseignant, qui en fait partie, pour réfléchir et agir dans sans classe et ne pas se sentir seul dans cette démarche réflexive. Le cadre construit par la communauté permettra d’en guider l’analyse. La notion de communauté et d’espace social accompagnent chaque membre de celle-ci pour dépasser le niveau individuel du dialogue professionnel afin de l’étendre au niveau de la communauté. Le processus complexe de développement professionnel dépasse la dimension individuelle grâce aux interactions sociales crées dans cet espace social et par le lien

127 avec la communauté. Une routine de réflexion est ainsi créée dans l’action de façon immédiate et peut s’inscrire dans la durée au niveau de la carrière professionnelle. Cette notion de communauté et de collectif (varié) d’enseignants a déjà été reprise par Marcel & Murillo (2014, p. 2) au niveau du primaire sur la base établie par Marcel (2006) « groupe d’enseignants engagés collectivement dans la réalisation d’un projet dans le champ professionnel » autour desquels l’influence du sentiment d’efficacité professionnel est significative par l’engagement. Ces auteurs évoquent également la limite d’un collectif prescrit et la définition de la marge d’autonomie dont les acteurs disposent. Il en ressort que cette marge est à construire et à aménager selon le contexte, comme nous le précisions plus tôt en ce qui concerne l’espace social à construire pour favoriser l’existence d’un collectif.

Pour revenir sur notre cas particulier de recherche, la pratique enseignante doit tenter de répondre collectivement à une prescription de formation au numérique responsable. Cette question motive l’engagement et l’objectif des collectifs sera de faire évoluer ces pratiques dans les classes. Ce cas de figure illustre le propos de Daele (2013, p. 39) qui évoque, comme Donnay et Charlier (2008), que la pratique est à la fois le point de départ et d’arrivée du développement professionnel des enseignants. Les questionnements dans l’espace social aborderont la notion de faire apprendre, ce que Wenger appelait le « faire » et Marcel le « faire le métier ». Une telle pratique est sociale, s’inscrit dans une histoire personnelle et professionnelle et vient structurer et donner un sens à l’action. La pratique inclut le tacite et l’explicite de la profession de la discipline enseignée et les idéaux personnels (Wenger, 2005, p. 47) et se construit et s’éprouve au quotidien dans les classes, pour permettre de trouver un modus operandi avec les élèves. Les artefacts utilisés lors des enseignements sont les objets qui assurent l’échange à moyen terme entre les membres d’une communauté pour en discuter le sens. Nous ne pouvons pour autant limiter la pratique professionnelle des enseignants aux pratiques de classe. Une part de l’activité professionnelle des enseignants se développe au sein du groupe professionnel par une dimension sociale qui se mobilise continuellement y compris dans des lieux et des temps informels. Cette imprégnation continue dans la sphère professionnelle des codes et pratiques du métier sont des vecteurs forts d’intégration des pratiques du métier, de la profession et du contexte (Daele, 2013, p. 41). Lors des échanges, divers construits dans l’espace professionnel de la verbalisation propose une ouverture des pratiques aux autres, de façon réciproque, lors d’échange entre

128 pairs. Ce processus d’échange-apprentissage s’opère en continu et de façon parfois furtive et imprévisible. Des situations d’apprentissage mises en jeu par des conflits sociocognitifs se trouvent bien présentes dans le quotidien de l’enseignant. Ceux-ci se construisent selon un processus sociocognitif et participent au développement professionnel. D’une part la dimension individuelle est présente lorsqu’on s’intéresse à la façon de « faire » le métier et correspond au style de l’enseignant. D’autre part, la composante collective contribue à définir « genre » au sens de Clot (1999) in Marcel (2005, p. 587). L’impact du collectif est significatif dans le modelage du développement professionnel d’un enseignant car il est étroitement lié à la culture d’établissement (Kherroubi, 2004). L’intégralité du système et les différentes relations, qui le constituent, participent à la construction de l’identité professionnelle des enseignants (Dubar, 1996). Cette mise en tension de la construction identitaire et du développement professionnel d’un individu est d’autant plus marqué que les schèmes collectifs sont acceptés par un groupe d’acteurs importants et que les échanges se font dans un esprit bienveillant et de confiance (Tardif & Lessard, 1999, p. 428). La présence de traces du collectif dans les pratiques individuelles semble liée à l’existence d’un collectif socialement reconnu, ce qui permet de faire en sorte que l’enseignant décloisonne son activité et s’intègre au groupe.

La notion de communauté d’apprentissage s’inspire des travaux de Wenger sur la pratique de la collaboration. La méthode de résolutions commune de problèmes à partir d’un travail de reformulation repose sur un principe de confrontation des modes de penser. La confrontation des points de vue fait apparaitre des conflits sociocognitifs potentiellement riches d’apprentissage réciproques pour les acteurs du débat ainsi que pour les autres membres du groupe. Pour rappeler la position de Vygotski, nous évoquerons la place qu’il accordait à la dispute et aux discussions pour favoriser le développement de la réflexion (Vygotski, 1997, p. 105). Une telle mise en tension qui permet le développement d’une communauté d’apprentissage exige un enjeu de professionnalisation pour ses acteurs (Choplin, 2007, p. 57̻58; Karsenti, 2007, p. 203) (Choplin, 2007, p. 57-58).