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Prise en compte du public

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Alors que nous cherchons à répondre à la question« Comment peut-on tenir compte de l’avis de la population dans la phase d’évaluation économique des politiques de gestion des inondations ?», il est difficile de passer sous silence la question, connexe mais plus agressive, posée avec force, par la société :

« Comment faire participer la population dans la gestion collective des risques en général, dans la gestion collective de l’environnement ?». Cette section se propose de faire un bref point sur une tendance actuellement constatée et sur ses répercussions éventuelles sur la phase d’évaluation économique.

4.4. Prise en compte du public 85 4.4.1 Positionnement de l’État français

L’État français, pourtant réputé pour sa tradition centralisatrice voire technocratique (certains diront même jacobine), prête à cette question une attention de plus en plus grande. Cette tendance est suffisam-ment forte qu’elle appelle un ancrage dans la loi des engagesuffisam-ments de l’État. Le gouvernesuffisam-ment français a ainsi signé le 25 juin 1998, puis approuvé le 8 juillet 2002, la Convention d’Aarhus relative à l’accès à l’information, la participation du public et l’accès à la justice pour les questions environnementales [12], à l’instar d’une grande majorité des pays du continent européen. Cette convention a trouvé un prolonge-ment au niveau de l’Union Européenne, par le biais notamprolonge-ment de la directive européenne 2003/35/CE du 26 mai 2003 prévoyant la participation du public lors de l’élaboration de certains plans et programmes relatifs à l’environnement [19]. Au niveau national, le Code de l’Environnement porte également le té-moignage de cette transformation. Notamment, le principe de participation stipule que chacun a un droit à l’information :

« chacun a accès aux informations relatives à l’environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuses»(Code de l’Environnement [1], article L110-1)

Ce droit est d’ailleurs repris explicitement dans le cadre plus spécifique des risques naturels dans un autre article du même code :

« Les citoyens ont un droit à l’information sur les risques majeurs auxquels ils sont soumis dans certaines zones du territoire et sur les mesures de sauvegarde qui les concernent. Ce droit s’applique aux risques technologiques et aux risques naturels prévisibles.»(Code de l’Environnement [1], article L125-2, reproduit en annexeA.5, page231)

Mais le droit à l’information, condition nécessaire à une participation, ne présume pourtant en rien de cette participation. La deuxième partie du principe de participation stipule explicitement cette nécessité de la participation du public :

« le public est associé au processus d’élaboration des projets ayant une incidence impor-tante sur l’environnement ou l’aménagement du territoire»(Code de l’Environnement [1], article L110-1)

En ce sens, en considérant que l’évaluation « a priori» d’un projet procède nécessairement de son élaboration, la participation du public à cette phase d’évaluation est inscrite dans la loi. Le fait que les projets dont nous parlons dans ce chapitre concernent bien l’aménagement du territoire finit d’asseoir la nécessité de lier le public à l’évaluation des projets de réduction des l’exposition aux inondations.

4.4.2 Participation du public et expertise

L’évolution européenne sur la question de la gouvernance des questions environnementales, trouve un écho (à moins que ce soit l’inverse) dans la situation dans d’autres pays, dont notamment les États-Unis. Charnley [62] note, par exemple, que l’implication des parties prenantes dans la gestion des risques est recommandée avec de plus en plus d’insistance depuis plus d’une décennie aux États-Unis. À l’ins-tar de l’Europe, cette demande n’émane plus seulement de la société, mais est intégrée par différents acteurs représentatifs de l’autorité publique, comme laCommission on Risk Assessment and Risk Mana-gement[70] ou la National Academy of Sciences [198]. Cette demande est notamment perçue comme une réponse au manque de confiance du public dans les décisions prises par les autorités publiques ; comme une conséquence du degré (ou du désir) d’information du public sur les problèmes liés à l’en-vironnement, la santé ou la sécurité ; voire comme le désir des autorités publiques de démontrer leur considération des préoccupations du public [214]. Si cette tendance reflète une démocratisation des dé-cisions concernant la gestion des risques [88], elle pose le problème crucial de la place de la science et de l’expertise. Une des peurs exprimées par de nombreux acteurs traditionnels de la décisions est que les

parties prenants s’affranchissent trop librement des enseignements« éclairants» de la science, tandis que d’autres remarquent que la science et ses experts sont déjà de véritables tyrans dans les processus de décision, et que l’implication de parties prenantes qui ne soient ni scientifiques, ni experts est un véritable besoin pour enfin faire entrer les valeurs sociales dans les processus de décision.

Pour autant, la question reste entière, et nous devons la garder à l’esprit. Elle rejoint et renforce d’ailleurs le constat concernant la difficulté d’intégration de la notion d’efficience dans les contextes décisionnels décentralisés, qui font plutôt la part belle à la négociation, au compromis et aux accords entre parties prenantes.

4.4.3 Différents degrés d’implication du public

Il existe différentes façons de faire participer les parties affectées [198, 110] qui donnent un rôle plus ou moins grand à celles-ci dans le processus de décision :

1. Les parties affectées sont informées. L’objectif est d’informer les parties affectées dans une lo-gique descendante (décideur vers parties affectées) sans qu’un retour montant ne soit effectivement prévu. Ces pratiques ne peuvent donc pas permettre la prise en compte de l’avis du public dans la phase d’évaluation. Les moyens traditionnellement associés sont les suivants :

– L’information publique. L’information est placée dans des endroits publics où le public peut la consulter (c’est le cas par exemple pour lesPPRIinstruits qui sont disponibles dans les mairies concernées).

– L’information distribuée. L’information est directement distribuée aux parties affectées (ou supposées telles). La pratique est courante pour les collectivités territoriales qui éditent un jour-nal souvent mensuels sur les actions entreprises.

– L’audience publique. Ce sont des audiences où le public est convié, mais auxquelles il ne peut pas s’exprimer. L’ordre du jour est choisi par les communicants. La pratique est également courante dans les collectivités territoriales (notamment les mairies).

2. Les parties affectées sont consultées. L’objectif est à la fois d’informer les parties affectées, mais également de connaître leurs avis. L’intégration formelle de cet avis dans le processus de décision n’est pas explicite, ni forcément effectif. Elle est seulement rendue possible. Les moyens associés à la consultation sont les suivants :

– Les conférences publiques. Ces conférences ressemblent énormément aux audiences publiques, sauf qu’elles permettent une participation effective du public. Ces conférences peuvent être uti-lisées par les collectivités territoriales, par les acteurs en charge de la réalisation d’un projet de réduction de l’exposition aux inondations. L’EPAMAorganise par exemple de telles confé-rences, en ciblant notamment comme public les maires du bassin versant de la Meuse, dans le cadre d’une procédure dite des Débats Publics Locaux.

– Les enquêtes publiques. En France, le terme d’enquête publique a une signification consacrée.

Il désigne une étape de la procédure réglementaire s’appliquant à la plupart des projets d’im-portance, où, juste avant l’acceptation de la décision, quiconque peut avoir accès à un dossier déposé en préfecture ou en maire et y faire des remarques. Ces remarques sont rapportées in extenso, elles peuvent, sans que cela soit directement mesurable, influencer ou reporter la déci-sion. Il n’y a que très peu de chances que ce type d’enquête ait effectivement une importance dans la phase d’évaluation, qui si elle existe, a lieu avant l’enquête publique.

– Les enquêtes personnalisées. Cela désigne toutes les procédures d’enquête auprès d’individus.

– Les groupes de discussion. C’est une pratique particulièrement en vogue dans les pays anglo-saxons, dérivée des pratiques d’enquêtes. Les individus ne sont pas interrogés un par un, mais par groupes constitués.

4.4. Prise en compte du public 87 – Les comités de conseil des citoyens. Cela désigne une autre pratique anglo-saxonne, où un comité d’individus choisis parmi les administrés (citoyens) d’une collectivité territoriale est constituée et émet un avis sur une ou plusieurs questions posées par l’initiateur de la démarche.

– Les jurys de citoyens. C’est une autre pratique anglo-saxonne, qui ressemble aux comités de conseil. L’optique est différente, dans le sens où un jury de citoyen agit comme s’il de-vait prendrein fine une décision concernant la ou les questions posées (et non plus un simple conseil).

3. Les parties affectées sont« co-décideur». Les parties affectées font partie du processus de dé-cision. Il est rare que l’ensemble des parties affectées fassent effectivement partie du processus de décision, de façon plus courante ce rôle est donné à des représentants. La prise en compte de l’avis des parties prenantes représentées est assurée, en admettant que la représentation soit fidèle, ce qui peut être problématique dans le cas où un groupe est particulièrement hétérogène. Demeure toutefois le cas des éventuels groupes de parties affectées non représentées. Les moyens associés à la co-décision sont les suivants :

– Jury de citoyens. Dans le cas où les décisions du jury ont un réel poids dans la décision finale.

– Conciliation — Médiation.

– Décision conjointe prévue dans le processus de décision. Ceci désigne l’ensemble des cas où la participation est effective en tant que parties prenantes. LesSAGEet contrat de rivière entrent dans cette catégorie.

– Décision sanctionnée par un vote. Cela désigne le cas, peu probable en France, mais courant dans d’autres pays, où la décision est soumise à un référendum local. La participation du public à la prise de décision ne peut pas être niée, mais le fait de voter ne garantit toutefois pas la participation effective des parties affectées au processus de décision, à l’élaboration du projet.

La participation du public est très utilisée dans les procédures de résolution de conflit, ou comme moyen d’éviter l’apparition prévisible de tels conflits (voir par exemple le ton général du manuel sur la concertation dans les procédures de mise en place desPPR [20]). Son utilisation n’est toutefois pas généralisée dans les pratiques a priori non conflictuelles.

4.4.4 Concilier l’évaluation économique et la prise en compte du public

Les sciences économiques proposent plusieurs approches d’aide à la décision. Dans le sens le plus large, une approche d’aide à la décision est une méthode ordonnée et systématique qui assiste le décideur dans le processus de prise de décision. La théorie de la décision distingue la théorie descriptive (qui tente de comprendre et de prédire la manière dont les individus prennent leurs décisions), et la théorie norma-tive ou prescripnorma-tive (qui s’attache à définir la manière dont les individus ou les organisationsdevraientles prendre). Les méthodes économiques reposent sur une phase d’évaluation, c’est-à-dire sur l’expression selon une métrique spécifiée de la valeur accordée par le décideur aux actions considérées.

L’analyse que nous avons faite dans le chapitre précédent, reprise en partie dans la section 4.2, page76, est plutôt du ressort d’une approche descriptive. Elle, a mis en lumière les deux « contextes décisionnels» susceptibles d’être rencontrés en matière de prévention des inondations. L’enjeu de la suite de ce chapitre est d’examiner la part de prescription qu’il est envisageable d’attendre d’un trai-tement économique du problème. Plus précisément, nous nous intéressons à l’aide que nous pouvons apporter à un décideur (ou un groupe de décideurs) en tant que représentant des intérêts de tout ou par-tie de la population. La distinction que nous avons introduite entre« contextes décisionnels»conduit à souligner une différence subtile : dans chaque cas, la nature de la contribution que l’on attend de l’ana-lyse économique varie. La contrainte supplémentaire que nous ajoutons à l’anal’ana-lyse de la section4.2.4, page79est celle de la participation de la population à la phase d’évaluation.

Dans le cadre d’une « décision centralisée visant l’intérêt général», le travail d’aide à la décision consiste en effet à fournir au décideur centralisateur une information sur les préférences de l’ensemble de la population, de manière à éclairer son choix au regard de son objectif principal : la poursuite de l’intérêt général par la maximisation d’un critère d’évaluation. Dans le cadre d’une « décision contractuelle autour du bien commun», en revanche, il s’agit certes de fournir aux acteurs chargés de les représenter une information sur l’avis des différentes parties prenantes, mais surtout d’aider à la structuration des objectifs des différents acteurs pour que la phase de négociation soit facilitée.

L’économie de la décision, qui se propose d’améliorer les décisions en préconisant formellement un choix, propose justement deux types d’outils adaptés à chacune de ses exigences. L’ADMCest une mé-thode, parmi d’autres, développée pour permettre l’expression et la structuration des valeurs d’un groupe de parties prenantes, étape qui aide à une phase de négociation. L’ACBest une méthode permettant de juger de l’efficience économique des actions entreprises en mettant en balance les bénéfices et les coûts sociaux attendus de ces actions.

Dans la suite de ce chapitre, nous allons pour chacun de ces outils, présenter rapidement un bref historique de son utilisation, les grandes lignes de son approche analytique et de sa méthodologie. Nous mettons surtout en évidence leur adéquation respective aux « contextes décisionnels» de la gestion préventive des inondations introduits dans la première partie, ainsi que la place laissée à la participation du public.

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