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L’Analyse Coût-Bénéfice

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4.6.1 Historique

L’ACB trouve son origine dans les pratiques des agences fédérales de l’eau aux États-Unis : pour certains auteurs [114] la première référence à cette méthode d’évaluation est située dans un rapport du se-crétaire du Trésor Gallatin [92] qui, dès 1808, recommandait une comparaison des coûts et des bénéfices avant la réalisation de tout projet d’irrigation ou d’aménagement hydraulique. Aux États-Unis, comme c’est précisé en annexeD, page281, son utilisation est quasiment systématique concernant la mise en place de projet de réduction de l’exposition aux inondations depuis la promulgation du Flood Control Act de 1936 [4]. De façon plus générale, dans ce pays, le gouvernement fédéral demande explicitement, aujourd’hui encore, qu’une analyse de type coût-bénéfice soit appliquée à toute nouvelle réglementa-tion majeure. Ainsi, depuis 1981 et l’Executive Order 12291 de l’administraréglementa-tion Reagan, l’utilisaréglementa-tion quasi-systématique des techniques formelles de l’ACB(déjà requises comme soutien aux prescriptions environnementales depuis les années 1970) se généralise. Une exigence similaire se retrouve dans l’Exe-cutive Order 12866 de l’administration Clinton (1993).

Notons également que l’utilisation de l’ACB pour l’évaluation des projets de réduction de l’ex-position aux inondations est également quasi-systématique en Angleterre [147]. Le guide procédural concernant les dommages aux inondations en site urbain [75] rappelle que l’analyse coûts-bénéfices est l’approche la plus utilisée, dans le monde anglo-saxon, pour évaluer l’efficience économique des projets d’aménagements publics.

En France, l’utilisation de cette méthodologie a été préconisée dès les années 50-60 par des ingénieurs-économistes comme Lesourne [150], Boiteux ou Massé [79]. Pourtant, son utilisation, en dehors du do-maine du transport, n’a pas connu un développement similaire à celui des États-Unis. Elle n’a pas survécu à l’échec du mouvement de Rationalisation des Choix Budgétaires dans les années 70, qui consistait à introduire systématiquement le calcul économique public dans l’évaluation des décisions.

Aujourd’hui, les rares tentatives d’évaluation économique dans la gestion des inondations s’ins-crivent dans cette pratique [36, 94], sans toutefois prétendre au raffinement des pratiques éprouvées qu’on peut rencontrer aux États-Unis [204] ou au Royaume Uni [178].

4.6.2 Méthodologie

L’ACBest une méthode au principe très simple reposant sur la comparaison des bénéfices et des coûts attendus des décisions publiques. Cette comparaison est supposée être un indicateur de la modification de l’utilité sociale apportée par cette décision publique. Les fondements théoriques de cette analyse ne seront pas discutés dans la présente thèse, le lecteur intéressé pourra se reporter aux ouvrages tels que ceux de

4.6. L’Analyse Coût-Bénéfice 91 Eickstein [87]1, Hanley et Spash [114], Desaigues et Point [81], voire la récente thèse de Guillaume [110]

qui discute plus particulièrement certains de ces points théoriques dans le cadre particulier des risques environnementaux.

Les étapes classiquement admises d’uneACBsont les suivantes :

1. la définition des différents projets susceptibles d’apporter une amélioration au problème identifié ; 2. pour chacun des projets, l’estimation des impacts ;

3. pour chacun des projets, l’évaluation monétaire des impacts ;

4. pour chacun des projets, la pondération éventuelle et l’actualisation des impacts monétarisés ; 5. pour chacun des projets, l’expression d’une valeur bilan, nette et actualisée ;

6. pour chacun des projets, l’analyse de la sensibilité des résultats.

Nous détaillons ci-dessous les points décisifs de la méthodologie. Ces points sont complétés par l’annexeD, page281qui propose de dresser l’état des lieux des recommandations de rigueur aux États-Unis pour la pratique de l’évaluation des projets de réduction de l’exposition aux inondations.

4.6.2.1 Définition des projets

La définition des projets présuppose que la ou les questions auxquelles ils sont censés répondre sont établies et acceptées. Ce n’est pas forcément évident, notamment dans le cas où de multiples parties prenantes interviennent dans le processus de décision. Dans le pire des cas, ces parties prenantes peuvent effectivement avoir des objectifs qu’elles jugent contradictoires, voire incompatibles, ce qui rend quasi-ment impossible de proposer un cadre même général dans lequel situer l’évaluation.

Dans le cas des inondations, nous avons proposé d’inscrire l’évaluation des projets dans le cadre d’une utilisation rationnelle du territoire, à l’instar de ce qui est fait aux États-Unis. Ce cadre est« a priori»suffisamment vaste pour permettre à des parties prenantes prêtes à discuter de se livrer au jeu de l’évaluation conjointe de leurs différents intérêts. Il est en tout cas beaucoup plus vaste que celui de la réduction des dommages dus aux inondations, qui dans notre cadre ne correspond qu’à un aspect du problème.

Étant accepté que la question à laquelle répondent les projets soit à la fois définie et acceptée, la définition des projets consiste principalement à en définir les frontières. Il est traditionnellement recom-mandé de considérer cet aspect de la question au travers de la définition de la population effectivement affectée par la réalisation des projets, comprenant à la fois les agents favorisés et les agents défavorisés.

La question de la frontière des projets n’est en aucun cas anodine, elle peut complètement changer le sens de l’évaluation. Il ne s’agit surtout pas, par exemple, de ne considérer que les personnes bénéfi-ciant d’un projet, ce qui dans le cas des inondations pourrait correspondre à ces agents dont l’exposition aux inondations serait améliorée. Comme nous en avons discutés dans la section4.2.2.1, page77, elle comprend également les populations affectées par les modifications éventuelles des usages de l’hydro-système, de la qualité de l’écol’hydro-système, de la qualité paysagère du cours d’eau, ainsi que les personnes dont l’exposition aux inondations serait détériorée suite à la réalisation d’un projet.

La détermination de la frontière du projet doit également permettre de considérer les effets attendus sur une population qui n’est pas directement concernée par les inondations, n’ayant donc pas d’enjeux directement exposés en zone inondable. Ceci est nécessaire pour prendre en compte les effets attendus de l’amélioration de l’exposition d’enjeux tels que les réseaux ou les voies de communications.

1Cet auteur est considéré comme étant le premier à avoir assis lACBsur de fondements compatibles avec la théorie écono-mique.

Aux États-Unis, il est ainsi proposé de considérer« a priori»les évaluations coûts-bénéfices rela-tives aux projets de réduction de l’exposition aux inondations dans un cadre national, et non pas stricte-ment local. La réduction de ce cadre est bien entendu permise, si l’analyse le justifie.

4.6.2.2 Estimation des impacts

Étant définie la« frontière»d’un projet, un impact correspond à toute modification concernant au moins une personne de la population affectée1. C’est à ce niveau que la distinction entre bénéfice et coût intervient : les bénéfices correspondent aux impacts dits positifs qui réduisent le prix ou qui augmente la qualité ou la quantité des biens ou services dont l’utilité est positive ; inversement les coûts correspondent aux impacts dits négatifs qui augmentent le prix, réduisent la qualité ou la quantité de ces biens ou services. La notion d’impact, de bénéfice ou de coût se fait donc par rapport à la situation dite de« statu quo», correspondant à celle où aucun projet n’est réalisé.

Deux points particuliers sont à signaler.

1. Dans uneACB, les impacts considérés comme pertinents sont les impacts nets. Ceci implique de ne pas tenir compte par exemple des paiements dits de transfert (comme les modifications de revenu des taxes indirectes), parce qu’il ne s’agit pas d’un indicateur de modification de la disponibilité ou de la qualité d’une ressource, seulement de la modification d’une redistribution monétaire. Cette question de la non prise en compte de la redistribution des avantages et des bénéfices dans la méthode prête souvent à des critiques. La notion d’équité de la distribution des bénéfices et des coûts, des éventuelles redistributions monétaires induites, n’est de fait pas prise en compte.

2. En toute rigueur, les impacts ne sont pas à considérer uniquement au moment (ou dans un futur proche) de la réalisation des projets. Il s’agit également d’anticiper les modifications induites par les projets dans un futur éventuellement éloigné.

Concernant les inondations, certains effets sont à anticiper plus particulièrement. Les projets visant à contrôler l’aléa, quand ils ne sont pas associés à des mesures réglementaires de contrôle de l’urbanisme, sont reconnus pour avoir un impact d’intensification de l’usage du territoire protégé.

Outre le fait que cette intensification n’est à considérer comme bénéfice que s’il n’elle aurait pas eu lieu ailleurs sans le projet (principe des impacts nets), il s’agit de toute façon de considérer les effets de cette intensification sur l’exposition du territoire aux inondations. En effet, alors que dans un premier temps, l’exposition du territoire aux inondations peut avoir baissé parce que l’aléa a été réduit, cette exposition va augmenter mécaniquement avec l’intensification de l’usage, et donc des enjeux (voire de leur vulnérabilité). En considérant que le coût annuel moyen des inondations soit un indicateur de l’exposition d’un territoire aux inondations, la tendance de cet indicateur serait la suivante : une baisse significative après la réalisation du projet suivi d’une augmentation avec l’intensification des usages du territoire exposé2.

Une fois les impacts déterminés, il s’agit également d’en estimer les effets. À ce stade, il s’agit bien d’une estimation dans le sens qu’il lui a été accordé dans le chapitre2, page13.

1Ansi, un impact qui n’affecterait personne n’est pas considéré dans l’analyse.

2D’autres aspects autres qu’économiques confirment la nécessité d’identifier les modifications induites par les projets dans un futur plus ou moins éloigné. L’impact des aménagements sur la géomorphologie des cours d’eau est par exemple rarement suffisamment exploré, notamment dans le cas d’une modification de l’aléa. Le lit de la rivière à l’amont et surtout à l’aval d’un aménagement évolue et peut entraîner des modifications plus ou moins importantes de l’aléa lui-même ainsi que des impacts environnementaux selon une dynamique temporelle qui reste à préciser. À cette modification dynamique de l’aléa, on peut s’attendre à une adaptation de l’occupation du territoire, en tout état de cause à une modification de son exposition.

4.6. L’Analyse Coût-Bénéfice 93 4.6.2.3 Évaluation monétaire des impacts

Nous ne présentons ici que succinctement une étape détaillée dans la section suivante (section4.7, page 95), qui est consacrée aux techniques d’évaluation des bénéfices induits par la modification de l’exposition d’un territoire aux inondations.

L’évaluation des impacts consiste en toute rigueur à mesurer ou estimer la valeur accordée par la so-ciété aux modifications induites par les projets étudiés. Dans la théorie économique, elle n’est pas réduite à la pratique, historique, d’évaluation par les experts des coûts et des bénéfices attendus de chaque projet.

La théorie impose en effet d’asseoir cette évaluation sur les préférences de la population affectée par la décision, et notamment par le biais des consentements à payer des agents affectés. Ces consentements à payer, censés représenter de ce que les agents sont prêts à renoncer en termes d’autres opportunités de consommation, fournissent les mesures monétaires de leur variation de bien-être pour accepter le changement de leur situation associé à la réalisation d’un projet.

Ce point de vue théorique est clairement repris dans la littérature pratique américaine de l’évaluation des inondations [76], où il est stipulé que le consentement à payer doit être considéré comme l’élément normatif pour le calcul de tout bénéfice du développement économique national. Le principe, largement accepté par ailleurs, est de considérer que les biens et services fournis par un projet n’ont de valeur que dans la mesure où il y a une demande correspondante.

Dans le cas de de variations d’approvisionnement de biens marchands, l’estimation des consente-ments à payer peut être déduite (sous couvert d’un certain nombre d’hypothèses cependant) de l’analyse des prix constatés. Dans le cas de biens non marchands, de biens fournis par le secteur public, cette esti-mation se base sur des méthodes spécifiques qui sont justement détaillées dans la section4.7, page95.

4.6.2.4 Pondération et actualisation des impacts

Deux points cruciaux de la méthode, sont signalés sans être spécialement détaillés (voir Guillaume [110]

pour un traitement plus approfondi) :

1. Distribution des revenusL’expression des consentements à payer dépend fortement de la distri-bution des revenus de la population interrogée. Cette forte corrélation peut justifier de procéder à une pondération correctrice. Cette pondération n’est que très rarement faite.

L’hypothèse de distribution optimale des revenus au sein de la population est souvent avancée comme nécessaire pour que la sommation des consentements à payer représente bien une variation du bien-être social. Cette hypothèse, difficile à vérifier, est souvent implicitement faite.

2. De même, en toute rigueur, les impacts attendus n’ont pas la même importance selon la date de leur occurrence. L’ordonnance des impacts dans le temps est une opération nécessaire : elle permet de relativiser l’ampleur des impacts futurs en les estimant par une valeur actualisée au temps courant.

Il est donc d’usage d’appliquer un taux d’actualisation iaux bénéfices et aux coûts futurs selon une formule du type :

PV(Xt) = Xt

(1+i)t

oùPV désigne la valeur présente actualisée du bénéfice ou coûtXt intervenant à la période future t.

Ces deux points, surtout le deuxième, sont souvent considérés comme des aspects purement tech-niques liés à la méthode. Une autre interprétation est de considérer que ce sont deux points permettant de considérer d’une certaine façon l’équité dans la méthode :

1. équité intra-générationnelle pour la pondération desCAP;

2. équité inter-générationnelle pour l’actualisation des bénéfices et des coûts.

4.6.2.5 Valeur bilan nette actualisée

La comparaison des coûts et des bénéfices, après le traitement détaillé ci-dessus, s’opère simplement par l’addition des valeurs monétarisées de tous les impacts recensés.

Une valeur positive de ce bilan témoigne d’un surplus de bien-être social associé à la mise en œuvre du projet.

4.6.2.6 Analyse de sensibilité

L’analyse de sensibilité est essentielle dans une ACB, parce que les incertitudes possibles inter-viennent à de nombreux endroits de la démarche. Ces incertitudes peuvent éventuellement modifier la valeur nette actualisée. Ces incertitudes peuvent intervenir dans les étapes suivantes :

1. Mauvaise détermination des projets, c’est-à-dire oubli de certains impacts, d’une partie de la po-pulation affectée.

2. Estimation des impacts :

(a) Incertitudes liées à la connaissance de l’aléa (évolution dans le temps indépendamment des projets)

(b) Incertitudes liées à la connaissance des impacts des projets sur l’aléa ;

(c) Incertitudes liées à la connaissance de la vulnérabilité du territoire (uniquement en vision statique) ;

(d) Incertitudes liées à la réponse prospective de la société suite à la modification de l’exposition aux inondations ;

3. Évaluation des impacts ; 4. Valeur du taux d’actualisation.

4.6.3 Utilisation de l’ACB

Selon Kopp, Krupnick et Torman [131], l’utilisation de l’ACBdans le processus de décision peut prendre trois grandes formes :

1. le critère coût-bénéfice comme critère strict ; 2. le test coût-bénéfice parmi d’autres considérations ; 3. aucune considération de type coût-bénéfice.

4.6.3.1 Le critère coût-bénéfice comme critère strict

Dans ce cadre d’utilisation, la condition nécessaire pour que le projet soit réalisé (ou jugé selon des critères décisionnels complémentaires) est que les bénéfices nets issus de l’analyse soient positifs.

Cette utilisation de l’ACBne peut être envisagée que dans le cas où les bénéfices et les coûts des projets sont estimés avec peu d’incertitudes. Elle suppose également que l’évaluation ne souffre que de peu de controverses.

Dans ce cadre d’utilisation :

1. L’ACBaide à la détermination, la composition et l’ampleur des investissements les plus efficaces en terme de ratio coût-efficacité.

2. L’ACBest utilisée comme critère de choix entre différents projets envisagés.

4.7. Prise en compte des préférences dans uneACB 95

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