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Les principaux biais imputés à la méthode

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Un certain nombre des caractéristiques de l’évaluation contingente, que ce soit le fait qu’elle soit associée à une enquête, qu’elle résulte de choix hypothétiques, qu’elle nécessite la mise en situation des

5.6. Les principaux biais imputés à la méthode 125 personnes interrogées peuvent être autant de sources de biais. Dans les propos qui suivent, le terme biais1 désigne indifféremment une cause impliquant que la valeur spécifiée par le répondant ne correspond pas à la valeur qu’il accorde au bien que l’enquête cherche à évaluer que l’écart entre ces deux valeurs.

Dans cette section, nous faisons une présentation systématique des biais associées à la pratique de l’évaluation contingente, et nous en discutons l’importance par rapport à notre contexte particulier. Nous suivons pour cela la typologie des biais telle que spécifiée par Mitchell et Carson [161].

5.6.1 Incitations à déformer les réponses

Ces incitations à ce que le répondant déforme les réponses sont associées à deux types de comporte-ments, éventuellement encouragés par un ou plusieurs aspects particuliers de la situation d’enquête. Ces deux comportements sont :

1. le comportement stratégique du répondant, qui désigne une tentative volontaire du répondant d’in-fluer par sa réponse sur la provision du bien ou sa propre participation financière au projet.

2. le comportement de complaisance, qui désigne les tentatives (conscientes ou inconscientes) du ré-pondant de combler ce qu’il perçoit comme étant une attente, soit par l’organisme qui commandite l’enquête, soit par l’interrogateur particulier qui effectue l’entretien.

5.6.1.1 Comportement stratégique

Le comportement stratégique résulte d’une volonté délibérée du répondant d’ajuster ses réponses pour qu’elles influencent les résultats de l’enquête dans un sens qui sert ses intérêts personnels. Dès les travaux précurseurs de Samuelson sur les biens publics, ce comportement a été érigé comme une règle :

« It is in the selfish interest of each person to give false signals, to pretend to have less interest in a given collectivity than he really has»(Samuelson [189])

L’existence de ces comportements stratégiques, ou la croyance d’un grand nombre d’économistes quant à leur existence et à leur importance, a souvent apporté une critique radicale à la méthode d’éva-luation contingente en particulier et aux procédures d’acquisition des données économiques par ques-tionnaire en général. Ceci explique, au moins partiellement, l’importance qu’accordent les économistes aux techniques dites indirectes d’acquisition de données économiques, quelle que soit la longueur, et donc la faiblesse, de la chaîne d’hypothèse permettant de mettre en relation une observation avec son interprétation finale.

Il semble que la question de la pertinence des approches directes soit difficile à trancher sur des cri-tères purement scientifiques [161]. Toutefois, dans la section5.7, page129, nous proposons un protocole permettant de contrôler« a minima»l’existence de tels biais comportementaux.

Dans ce travail, nous prenons la posture suivante : les biais stratégiques peuvent exister sous certaines conditions qui les favorisent mais ils n’impliquent pas nécessairement une critique radicale des données recueillies. L’objectif, dans cette perspective, est de connaître les conditions favorisant la survenue de ces biais, afin d’essayer de les éviter au maximum.

5.6.1.2 Biais de complaisance

Mitchell et Carson distinguent deux cas :

1. Biais de« sponsor»: le répondant donne un montant qui diffère de sonCAPparce qu’il cherche à se conformer avec les attentes présumées du sponsor (ou supposé tel).

1De l’anglaisbias.

2. Biais de l’interrogateur : le répondant donne un montant qui diffère de sonCAPparce qu’il cherche à faire plaisir à ou acquérir la considération d’un interrogateur particulier.

Les garde-fous contre ces types de biais sont de différents types :

1. Insister sur le fait qu’il n’y a pas de bonnes réponses aux questions posées, que les réponses attendues sont avant tout personnelles.

2. Être rigoureux quant à la tenue des entretiens, notamment lorsqu’ils sont en vis-à-vis (choix re-tenu dans cette thèse). Un questionnaire établi soigneusement et suivi scrupuleusement (entretien directif) permet« a priori»de réduire significativement le biais de l’interrogateur.

3. Si les échantillons sont suffisamment conséquents, un protocole de contrôle statistique peut être envisagé pour détecter d’éventuelles tendances d’un interrogateur à l’autre.

5.6.2 Signaux indicateurs de la valeur

Ces biais interviennent lorsque les répondants interprètent comme des signaux sur la valeur correcte des éléments du marché contingent

1. Biais du point de départ: lorsque le mécanisme d’expression ou le support de paiement introduit directement ou indirectement un montant potentiel qui influence leCAPdonné par le répondant.

Ce biais est particulièrement associé aux mécanismes d’expression à choix simples, qui n’ont pas été employés dans cette thèse. Signalons cependant que ce biais peut être accentué par une tendance à dire oui à la réponse posée (par exemple suite à un biais de complaisance défini précé-demment ou un biais d’importance défini plus loin). Dans le cas d’un mécanisme d’expression des CAPde type offre à prendre ou à laisser, il est par exemple particulièrement important d’insister sur le fait que le montant proposé n’a pas de relation particulière avec le coût du projet ou la par-ticipation attendue et pré-calculée du projet. Il ne s’agit pas en effet que les individus croient que le montant proposé est celui qui existera de toute façon, et qu’ils fassent un arbitrage« forcé»du type :« si je suis pour le projet de réduction, de toute façon c’est ce prix que je dois accepter.» 2. Biais d’éventail: lorsque le mécanisme d’expression présente une éventail de montants potentiels

qui influence la réponse pour leCAP.

Ce biais concerne le travail effectué dans cette thèse, vu le mécanisme d’expression que nous avons choisi (carte de paiement). Les garde-fous proposés ont été de :

– proposer un éventail suffisamment large, incluant la valeur 0 et montant jusqu’à une valeur de l’ordre de grandeur de la taxe support ;

– préciser clairement, à l’oral comme sur la carte support, qu’un autre montant pouvait être choisi.

Une autre possibilité aurait été de proposer, aléatoirement, différentes cartes de paiement et de contrôler après coup leur influence sur les réponses. Cette possibilité n’a pas été réalisée, essen-tiellement, parce que nous savions que la taille de nos échantillons ne nous permettrait pas de faire un contrôle rigoureux. De toute façon, si nous avions eu des échantillons plus conséquents, nous aurions sûrement, comme le suggère la littérature, opté pour un mécanisme d’expression à choix simple.

3. Biais relationnel: lorsque la description du bien présente des informations à propos de sa relation avec d’autres biens publics ou privés qui influencent leCAPdu répondant.

Un garde-fou envisageable est de ne pas donner d’indications qui puissent clairement suggérer une bonne réponse (ce qui peut être en partie en contradiction avec une spécification précise du scénario). Par exemple dans le cas des projets d’inondation, il pourrait être tentant de spécifier le coût attendu d’un projet de réduction, mais cette information pourrait avoir une influence non négligeable sur les réponses recueillies ;

5.6. Les principaux biais imputés à la méthode 127 4. Biais d’importance: lorsque le fait d’être interrogé ou lorsque certaines caractéristiques de

l’ins-trumentation suggèrent au répondant que le bien évalué a de la valeur en soi.

Ce biais peut-être influencé par une pratique rencontrée dans la littérature d’interroger les indivi-dus sur leur attitudes vis-à-vis du bien, afin de proposer une interprétation des CAP. Ce type de questions est souvent réalisé avant la question sur les CAP (et c’est notamment le cas dans les travaux des équipes de Shabman [195] et de Novotny [66]), l’intérêt étant que cela permet une mise en contexte interactive du bien valorisé.

Les effets éventuels d’ancrage (en psychologie sociale [38, 39] on parlerait plutôt d’engagement) ne sont pourtant que rarement quantifiés. En toute rigueur, une mesure de ces phénomènes néces-siterait un travail sur l’ergonomie des questionnaires (les questions précises sur les attitudes des personnes seraient posées après les questions sur lesCAPsur un échantillon test).

Dans le cas particulier de nos enquêtes, nous avons choisi de ne pas procéder à une telle caractéri-sation de l’attitude des individus, parce que nous n’avions pas les moyens d’en mesurer les effets sur la valeur duCAP(échantillon trop faible pour les traitements statistiques nécessaires).

5. Biais de position: lorsque la position ou l’ordre dans lesquelles les questions relatives à l’évalua-tion pour différents niveaux du bien suggèrent au répondant comment ces niveaux devraient être évalués.

Dans les travaux que nous avons réalisés, ce biais peut être rencontré, parce que nous interrogeons systématiquement les personnes sur trois niveaux de protection différents.

Toujours pour des raisons d’échantillonnages, nous n’avons pas utilisé un protocole dans lequel, sur chaque site interrogé, les individus seraient interrogées de façon aléatoire avec différentes versions de questionnaires, où les questions sur lesCAPse feraient dans des ordres de niveau de protection distinct.

Par contre, notons dès à présent que l’ordre n’est pas identique d’un site d’enquête à l’autre. Dans l’enquête Yzeron, nous avons d’abord posé la question sur le niveau intermédiaire de protection, puis le plus faible, puis le plus élevé. Dans l’enquête du Mans, nous avons interrogé les individus dans l’ordre croissant des niveaux de protection.

5.6.3 Mauvaise spécification du scénario

Les biais de cette catégorie interviennent lorsqu’un répondant ne répond pas au scénario contingent tel que visé par l’enquêteur.

Dans toutes les catégories suivantes, à l’exception de la première, il est supposé que le scénario visé est correct et que les erreurs interviennent parce que le répondant ne comprend pas correctement le scénario, ou plutôt qu’il ne comprend pas le scénario comme le chercheur désirait le spécifier.

1. Biais théorique de mauvaise spécification.

Ce biais correspond au cas, radical, où le scénario spécifié par le chercheur est incorrect soit vis-à-vis de la théorie économique soit vis-vis-à-vis des éléments majeurs du traitement politique de la question.

Les seuls garde-fous envisageables sont une validation des grandes idées du scénario par d’autres chercheurs. Dans le présent travail, nous nous sommes appuyés sur la littérature générale de l’éva-luation contingente, ainsi que sur celle des travaux de l’équipe de Shabman [195]. Le questionnaire a ensuite été validé (avant d’être validé également par une pré-enquête) par un collège de cher-cheurs en sciences économiques, sociales et d’experts dans le domaine des risques d’inondation.

2. Biais de la mauvaise spécification du bien: lorsque le bien perçu comme étant évalué n’est pas celui spécifié par le chercheur.

(a) Symbolique: lorsque le répondant évalue le bien comme une entité symbolique en lieu du bien spécifié par le chercheur. L’individu ne répond donc pas au problème spécifié mais plutôt à un problème idéalisé, non concret.

(b) Effet d’échelle: lorsque le répondant évalue une plus grande ou une plus petite entité que celle visée par le chercheur. Ces effets d’échelle peuvent concerner différentes caractéris-tiques du bien :

i. caractéristiques géographiques: le répondant n’associe pas au bien la même étendue spatiale que celle visée par le chercheur.

ii. variété des bénéfices : le répondant associe au bien évalué une variété de bénéfices différente de celle visée par le chercheur.

iii. mesures politiques: les mesures politiques associées au scénario de mise à disposition du bien diffèrent de la présentation du chercheur, soit parce que le répondant en néglige certaines présentées, soit parce qu’il en ajoute des non spécifiées.

(c) Métrique: lorsque le répondant évalue le bien dans une métrique ou une échelle différentes (et plutôt moins précises) que celle visée par le chercheur.

(d) Probabilité de provision: lorsque le répondant évalue un bien dont la probabilité de provi-sion diffère de celle visée par le chercheur.

Il est difficile de déceler un tel comportement sans analyser finement le raisonnement suivi par la personne interrogée.

Les garde-fous contre de tels biais reposent sur la meilleure spécification possible par le chercheur du bien qu’il cherche à évaluer, en évaluant au maximum les sous-entendus ou les zones d’ombre.

La spécification du bien à évaluer, notamment parce qu’il comportait une partie aléatoire, a été considérée comme un enjeu majeur. Ceci explique les efforts consacrés à la construction d’une échelle crue, construction qui est détaillée dans le chapitre6, page133.

3. Biais de mauvaise spécification contextuelle: lorsque le contexte perçu de la mise en marché du bien diffère du contexte visé par le chercheur. Ces biais peuvent concerner les différents aspects suivants :

(a) Support de paiement. Le support de paiement est soit mal perçu, ou il est évalué dans un sens qui n’est pas celui visé par le chercheur.

(b) Droit de propriété du bien. Les individus ne font pas le même lien que le chercheur entre le bien évalué et les droits des individus sur ce bien.

Dans le cas qui nous intéresse, il n’y a pas, à proprement parler, de lien de propriété entre niveau de protection contre les inondations et les individus. Ce lien de propriété ne peut s’en-visager que par le biais des droits de propriétés sur le cours d’eau ou sur les aménagements réalisés.

(c) Méthode de provision du bien. Les individus n’intègrent pas la méthode de provision du bien formulée mais lui en substituent une autre, non spécifiée par l’interrogateur.

Dans le cadre des inondations, la méthode de provision concerne essentiellement les types de mesures (aménagements notamment) permettant de réduire l’exposition d’un territoire aux inondations.

(d) Contrainte budgétaire. Les individus interrogés n’intègrent pas correctement les consé-quences de leurs réponses sur la disponibilité de leurs ressources budgétaires.

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