• Aucun résultat trouvé

Analyse multi-critère

Dans le document en fr (Page 127-133)

4.7 Prise en compte des préférences dans une ACB

4.7.9 Analyse multi-critère

L’utilisation de l’AMCcomme technique support d’enquêtes auprès d’agents n’est pas excessivement répandue. Ces techniques étant préférentiellement utilisées auprès de décideurs pour leur permettre de clarifier leur préférences vis-à-vis d’un problème jugé complexe.

Il existe différentes façons d’aborder l’AMC, dont au moins l’école américaine inspirée des travaux de Keeney et Raiffa [130], et l’école dite française autour des méthodes Électre [187].

Pour les travaux inspirés de l’école américaine, le schéma sous-jacent à la méthode est que les préfé-rences des personnes sont représentées par une fonctionnelle de choix, qui dépend de plusieurs critères.

Cette fonctionnelle de choix est censée être représentée sous la forme d’une fonction d’utilité multi-attribut. Sous réserve du respect de certains axiomes (à vérifier normalement), cette fonction d’utilité peut être décomposée de telle sorte à aborder son« encodage»1de façon relativement simplifiée.

Cette démarche peut être étendue au cas de l’univers risqué, sous réserve de respecter une axioma-tique légèrement différente. Le cas de de l’utilité espérée multi-attribut est le plus simple, mais celui avec l’axiomatique la plus contraignante, ce qui veut dire que les hypothèses sur la rationalité des agents sont fortes. L’« encodage»des préférences se fait par des arbitrages entre des situations aléatoires : ces si-tuations peuvent différer autant dans leurs conséquences (multi-attribuées) attendues que dans leur partie aléatoire. Cette présentation entraîne une complication de la méthode par rapport au cas dit certain, ainsi qu’une plus grand effort cognitif de la part des agents interrogés qui doivent être capables de saisir les différences entre les différentes situations aléatoires entre lesquelles ils doivent choisir.

Il est également possible d’adapter les techniques aux plus récentes évolutions de la théorie de la décision, notamment dans le cadre de l’utilité espérée à dépendance de rang [211]. Ceci est particuliè-rement recommandé dans le cas où les événements dont il est question ont de faible probabilité de sur-venir, cas pour lequel il est reconnu que le paradigme de l’utilité espérée est à la limite de son domaine de validité [154, 166, 167]. Notons toutefois que si le choix de fonction d’utilité non espérée permet une meilleure prise en compte du comportement des individus en univers risqué et un relâchement de l’axiomatique sous-jacente, le prix à payer est une complication certaine de la technique d’enquête.

Miyamoto [164, 162, 163] n’a ainsi proposé qu’une adaptation de cette méthode pour évaluer un indicateur de la vie humaine (QALY), sans toutefois aller jusqu’à l’utilisation pratique. Au contraire, Beaudouin, Munier et Serquin [37] ont utilisé cette méthode dans le domaine de la sûreté nucléaire. Re-marquons toutefois que l’étude de Baudoin, Munier et Srequin a certes le mérite de ne pas seulement interroger des décideurs habitués à procéder quotidiennement à des arbitrages entre des situations aux conséquences incertaines, mais que les individus interrogés n’en appartiennent pas moins à une popu-lation de techniciens travaillant dans les centrales nucléaires, plus à même de comprendre les questions posées.

Il avait été envisagé, dans un premier temps, de tester cette méthode dans le cadre de cette thèse.

Il était apparu que dans ce cas, il était plus appropriée de considérer le cadre de l’utilité à dépendance de rang, parce que l’occurrence des événements les plus rares étaient suffisamment faibles. L’objectif

1C’est-à-dire la connaissance de la forme de la fonction d’utilité multi-atribut à partir des réponses d’un individu à des situations de choix, ou d’arbitrage, entre différentes situations qui diffèrent par la quantité des attributs jugés importants.

4.8. Conclusion 105 était notamment de permettre une comparaison avec les résultats obtenus par le biais de l’évaluation contingente.

Cet objectif a finalement été abandonné par faute de temps pour développer un processus d’enquête suffisamment adapté (simplifié) à une population complètement profane.

4.8 Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons vu que l’évaluation des projets de réduction de l’exposition aux inon-dations n’étaient que très peu réalisée en France, au contraire de certains pays comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne où elle est institutionnalisée. Les raisons avancées pour ce manque d’évaluation sont multiples :

– manque de culture de l’évaluation ;

– manque de méthodes permettant l’évaluation ; – manque de données alimentant l’évaluation ;

– une organisation collective ne facilitant pas l’évaluation.

Cette situation est problématique dans le mesure où elle n’assure pas que les projets retenus ou non le soient selon des critères transparents et discutables.

Le problème du manque de culture de l’évaluation ne semble pas se justifier, ou plutôt reposé sur un malentendu concernant l’optique dans laquelle est réalisée une évaluation économique. Concernant notamment l’ACB, loin d’être l’objet autoritaire et inflexible d’une décision qui ne souffre d’aucune contestation que certains imaginent, elle n’est au final qu’un instrument donnant une indication aussi précise que possible sur un aspect particulier de la question : le projet envisagé est-il ou non efficient.

On notera d’ailleurs avec Henry [116] que la pratique de l’ACBpeut prêter, et notamment dans le cadre des inondations, même si l’article de Henry concerne un cas anglais, à une intéressante discussion par différentes parties affectées d’un projet à l’étude.

L’argument du manque de méthode est difficile à cautionner, tant la pratique de l’évaluation écono-mique est établie dans des pays tels que les États-Unis ou l’Angleterre. C’est d’ailleurs dans ces pays que des pratiques alternatives à l’ACBvoient le jour, telle que l’ADMC, permettant de s’adapter plus efficacement à des contextes de décision moins centralisés où la négociation est un aspect privilégié.

Même si cet argument du manque de méthode ne s’applique pas à l’étape de l’évaluation mais plutôt à celle de l’estimation de l’exposition d’un territoire aux inondations, il ne semble pas forcément pertinent.

Le manque de données pour l’estimation de l’exposition aux inondations est, quant à lui, patent.

Nous en avons déjà parlé dans le chapitre2, page13, nous ne reviendrons pas dessus.

Le fait que l’organisation collective ne favorise pas l’évaluation est également avéré. Il est ainsi extrê-mement dérangeant de constater que l’État peut financer des projets sans réel contrôle de leur efficience au niveau national, ce qui est justement l’un des objets de l’évaluation économique.

La situation actuelle semble bloquée dans un cercle vicieux : il n’y a pas de données donc on n’évalue pas, on n’évalue pas donc il n’y a pas de données. Cette situation peut prêter au pessimisme quant à un changement futur de la situation. Pourtant, comme nous l’avons rappelé dans le chapitre2, page13, il suffirait de peu de choses pour que le système d’indemnisation Catastrophes Naturelles puisse permettre d’alimenter, au moins dans un premier temps, le début d’un nouveau cercle vertueux.

À la question de la prise en compte de l’avis de la population dans l’évaluation économique, nous nous sommes particulièrement concentré sur la signification que cela pourrait avoir dans un cadre plutôt centralisé, auquel est plus naturellement associé l’ACB. Dans ce cadre, la prise en compte de l’avis de la population est à rapprocher de la notion deCAPdes agents affectés, fondement théorique de l’analyse.

Nous avons vu que différentes techniques d’expression desCAPétaient disponibles. Notons avec Shab-man et Stephenson [194] qu’aucune d’entre elles ne puisse prétendre« a priori»fournir la« bonne»

réponse. Il semblerait en effet, selon leur analyse que l’usage des différentes techniques les plus promet-teuses (coûts évités, prix hédoniques, évaluation contingente) au cas des inondations ne puissent donner les mêmes résultats, parce qu’elles ne mesurent pas la même chose.

Dans ces conditions, les techniques dites d’enquête ont un potentiel particulièrement prometteur.

D’une part, elles ne pâtissent pas forcément du manque de données inhérents aux analyses de type dom-mage évités (ou dans une moindre mesure des prix hédoniques). D’autre part, nous notons que ce qui est souvent présenté comme un inconvénient majeur aux méthodes d’enquêtes (le fait qu’elles s’appuient explicitement sur un avis des personnes interrogées, ce qui pourraient pour de multiples raisons induire des biais dans la mesure des bénéfices mesurés dans le cadre par exemple d’uneACB), est justement ce qui nous incite à pousser plus en avant l’analyse de la potentialité de cette méthode. En effet, parmi toutes les techniques d’expression desCAP, les méthodes d’enquête sont les seules qui permettent une réelle interactivité entre les décideurs et les populations affectées. Ces méthodes sont ainsi reconnues comme permettant une réelle consultation du public, au contraire des méthodes, éventuellement plus maîtrisables, en tout cas plus techniques et normatives, comme les dommages évités ou la méthodes des prix hédoniques.

Cependant, ce potentiel à mesurer lesCAPdes individus dans le cadre d’uneACB, ou plus simple-ment à donner une indication d’ordre économique sur les préférences des populations interrogées doit être testé au regard des difficultés propres à toute enquête. C’est l’objet des chapitres suivants. Le pro-chain chapitre se concentre ainsi sur un outil de communication permettant la définition du bien public au cœur de l’évaluation : le« degré d’exposition d’un territoire aux inondations». Le chapitre suivant se concentre plus spécifiquement sur l’application de l’évaluation contingente à deux terrains d’études.

4.8. Conclusion 107

Le contexte de décision contractuelle autour du bien commun

Adéquation avec l’ADMC

Plusieurs parties prenantes réunies IIdentification des parties prenantes ...autour de la réalisation d’un projet

particu-lier

IIdentification des différents projets ...recherchent un accord qui les satisfassent

...au vu de critères de jugement qui leur sont propres

IStructuration des enjeux selon uneAMC ...en négociant librement entre eux les

trade-off à consentir

IMise en commun des enjeux structurés INégociation

TAB. 4.1:ADMC et décision contractuelle autour du bien commun

Le contexte de décision centralisé visant l’intérêt général

Adéquation avec l’ACB

Un décideur centralisateur, typiquement une autorité publique

...en charge de résoudre un problème donné IIdentification des différents projets ...recherche la meilleure décision possible

...au vu d’un critère d’efficience sociale ILe surplus économique global ...en tentant d’être neutre et objectif dans son

évaluation.

IÉvaluation des impacts de chaque projet IValeur bilan nette et actualisée

TAB. 4.2:ACB et décision centralisée visant l’intérêt général

Observation directe Observation indirecte

Réponse réelle Référendum Coût de protection

Prix hédoniques Réponse hypothétique Méthodes d’enquêtes Dommages évités

Fonction de production du foyer TAB. 4.3:Différentes méthodes d’expression desCAP

Chapitre 5

Présentation de la méthode et des choix méthodologiques

L

E CHAPITRE EN BREF

Objet du chapitre Ce chapitre est le premier consacré spécifiquement à l’utilisation de l’évaluation contingente dans le cadre des inondations. Il propose une discussion des choix méthodologiques ef-fectués. Le chapitre est organisé autour des façons de répondre dans le contexte spécifique qui nous intéresse aux recommandations d’usage propres à toute enquête basée sur l’évaluation contingente. Les points suivants sont donc abordés : mise en situation hypothétique de l’individu ; choix d’un mécanisme d’évaluation ; population qu’il est pertinent d’interroger et types d’entretien.

La construction d’un instrument de communication sur le degré d’exposition d’un territoire aux inon-dations est l’une des réponses fournies, mais dont le développement justifie un chapitre à part entière (chapitre6, page133).

Un point particulier est fait sur les biais associés à la méthode ainsi que sur les façons envisagées de les limiter ou de les éviter. L’analyse de ces biais met en perspective l’intérêt de procéder au cours de l’enquête à une pratique s’apparentant à du protocole verbal, afin de contrôlera minimales compor-tements sous-jacents des individus interrogés lorsqu’ils répondent aux question sur lesCAP.

5.1 Introduction

L’objet de ce chapitre est de présenter les choix méthodologiques effectués pour les deux enquêtes réalisées dans le cadre de cette thèse et qui se sont appuyées sur la méthode dite d’évaluation contingente.

La description de l’ensemble des caractéristiques de ces deux enquêtes est réalisée dans la section7.1, page159. Toutefois, il est sûrement utile pour la clarté du propos de préciser, dès à présent, que ces enquêtes se sont déroulées sur deux sites distincts, à un an d’intervalle :

1. La première enquête a concerné la population habitant en zone réglementée par unPPRI établi sur le site bassin versant de l’Yzeron, dans l’ouest immédiat de l’agglomération lyonnaise, cette enquête sera indifféremment désignée par« la première enquête»ou« l’enquête sur l’Yzeron».

2. La deuxième enquête a concerné la population habitant en zone réglementée par unPPRIétabli sur la CUM, elle sera indifféremment désignée par« la deuxième enquête»ou « l’enquête du Mans».

109

L’objectif de ces enquêtes est dans l’ordre suivant :

1. de tester la validité de l’évaluation contingente, comme outil de mesures de préférences d’une population vis-à-vis de mesures de réduction des inondations ;

2. d’analyser les résultats obtenus par rapport aux contextes propres à chaque enquête, voire dans un contexte plus général, si cela s’avère pertinent.

Le premier objectif serait plus facile à atteindre s’il existait une démarche établie et reconnue sur la façon de mener à bien une évaluation contingente. Ce n’est pas exactement le cas. Il existe bien un consensus sur les points sur lesquels il faut prêter attention lorsqu’on met en place une enquête basée sur cette méthode, mais il n’existe pas de consensus sur la façon de prêter cette attention. Ceci nous place dans une situation où les inconnues sont nombreuses, en tout cas bien trop nombreuses pour avoir été traitées de façon exhaustive avec les moyens disponibles pour cette thèse1. Il nous a fallu donc faire des choix, qui sont forcément discutables et d’ailleurs discutés dans ce présent chapitre.

Dans le document en fr (Page 127-133)