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La prise en compte du phénomène monoparental en France

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 42-45)

I NTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE

NOUVELLE CATEGORIE FAMILIALE

2.1. Les familles monoparentales : une visibilité institutionnelle et sociale nouvelle

2.1.3. La prise en compte du phénomène monoparental en France

La politisation du phénomène monoparental a émergé du féminisme avant d’entrer dans le champ politique. La visibilité de la monoparentalité qui a découlé du discours féministe a incité le champ politique à ne pas ignorer ses enjeux. La sociologue Nadine Lefaucheur estime que le succès de l’expression vient du « télescopage des thèmes de (nouveau) modèle de forme familiale et de la (nouvelle) pauvreté [qui] lui permit d’offrir asile aux représentations les plus conflictuelles de la condition féminine » (Lefaucheur, 1986, p.180).

L’Etat, par sa volonté politique de soutenir des catégories en difficultés ne pouvait fermer les yeux sur le nombre croissant d’enfants à la charge de femmes seules et délaisser ces familles aux conditions socioéconomiques souvent modestes : « si la monoparentalité s’étend aux catégories socioprofessionnelles dotées d’un capital scolaire important, la population monoparentale est aussi constituée de femmes vivant dans une situation économique précaire » (Martin-Papineau, 2001, p.8). La confrontation de ces deux thèmes d’envergure est

également responsable de la perception de la famille monoparentale comme une « famille à risque » par les institutions (Eydoux, Letablier, 2007).

Au lendemain de la guerre et jusqu’aux années soixante, l’amélioration de la santé de l’enfant et de sa mère du fait de la mauvaise situation sanitaire sont les principaux défis à relever par les pouvoirs publics. L’objectif démographique de la politique familiale soutient dès lors le modèle du couple traditionnel. Les allocations familiales ne sont versées qu’à partir de l'enfant de deuxième rang. L’allocation de salaire unique (ASU) est versée indépendamment des revenus de la famille et non imposable. Les femmes sans enfant y ont droit jusqu'à deux ans après leur mariage. Les objectifs natalistes sont également présents dans la loi fiscale (le quotient familial), la politique du logement (ciblant les familles nombreuses) et l'allocation de maternité qui favorise les jeunes mères et les naissances rapprochées (Bergeron, Janson, 1999) : c'est d'abord et avant tout en tant que mères que les femmes ont un rôle à jouer.

Le début des années 1970 marque un tournant capital dans la conception de la politique familiale. L’interventionnisme stratégique des « trente glorieuses » agissant sur la natalité laisse place provisoirement à un interventionnisme qui assure aux prestations familiales une progression rapide en faveur des catégories des moins favorisées. A une période

« familialiste » succède les années 1970, dites « féministes » (Commaille, 1992, p.129).

L’objectif nataliste encourageant la naissance d’enfants par le versement de prestations est soumis à une réalité nouvelle. La volonté des femmes de s’intégrer sur le marché du travail portée par les revendications des mouvements féministes est un nouveau défi à relever. Dès lors, le droit de la famille est profondément remanié. En 1965, la réforme des régimes matrimoniaux autorise la femme mariée à ouvrir un compte en banque sans l’autorisation écrite de son mari. En 1967, la loi Neuwirth établit le droit à la contraception. La loi de 1975 instaure le divorce par consentement mutuel tandis que la même année, la loi Veil donne le droit à l’avortement.

Parallèlement à ces mesures d’une importance majeure pour la société française, le soutien spécifique aux familles monoparentales se trouve renforcé : « l’intervention de l’Etat auprès des ménages monoparentaux ou des enfants séparés de l’un de leurs parents a représenté en France, comme au Royaume-Uni, un tournant important dans l’histoire des politiques familiales françaises » (Martin, Millar in David, Eydoux, Marin, Millar, Séchet, 2004, p.57). En 1976, l’allocation de parent isolé (A.P.I) est instaurée. Elle garantit un revenu minimum et vise à offrir un minimum de ressources aux personnes qui se retrouvent seules pour élever

leur(s) enfant(s) et marque la reconnaissance d’une nouvelle cible privilégiée de l’action sociale. Le principal argument avancé en faveur de cette mesure était d’éviter les situations difficiles de certaines mères isolées en versant un revenu minimum proche du SMIC de l’époque. Hélène Missoffe, ancienne secrétaire d'État auprès du ministre de la Santé et de la Sécurité sociale, explique que l’objectif était de« supporter le passage difficile que constitue pour une mère démunie de revenus, l’arrivée d’un enfant, si elle est célibataire, ou la perte du soutien de famille, si elle est mariée ou vit maritalement » (Martin, Millar, 2003, p.26).

Dans le même temps, la portée des discours féministes participe à la reconnaissance du phénomène monoparental en dehors du champ politique. Dans le milieu associatif, la Confédération syndicale des familles intègre, en 1967, la Fédération syndicale des familles monoparentales, laquelle fait valoir le droit des mères et des pères seuls avec enfant(s) auprès des pouvoirs publics et de services semi-publics ou privés. L’Union Nationale des Associations Familiales (UNAF) réunit, au milieu des années 1970, les principales associations et fédérations qui représentent les familles monoparentales13. C’est également à la fin des années 1970 que la Caisse Nationale des Allocations Familiales (CNAF) participe à la reconnaissance d’une expression en phase avec la réalité sociale. Nadine Lefaucheur est à l’origine de l’entrée du concept de familles dites « monoparentale » dans le vocable de la CNAF. En 1979, la sociologue propose qu’un numéro de la revue Informations sociales porte l’intitulé Familles monoparentales (Neyrand, 2001). A la suite de cette première avancée, la Caisse Nationale des Allocations Familiales lance en 1985 le programme de recherche nommé « Évolution des structures familiales : les familles monoparentales ». Le phénomène monoparental devient un objet de recherche prioritaire (Blanc, 1985, 1987).

Enfin, la mise en œuvre de politiques sociales dirigées vers les familles monoparentales contribue à en faire une catégorie statistique14. Comme signal important de cette considération, l’Insee les intègre en 1982 à sa nomenclature au côté des autres types de ménage. Il s’agit d’une catégorie utilisée depuis dans les classements et recensements familiaux : « (…) entrait dans les catégories sociodémographiques une réalité pourtant ancienne. Au début des années 1960, on estimait en effet à 10% la proportion des foyers avec enfant(s) à charge et parent unique » (Insee, 1994).

13 Par exemple, la Fédération des associations de conjoints survivants (FAVEC) et l’association d’entraide des veuves et orphelins de guerre (AEVOG). Plus récemment, l’UNAF a admise l’association « SOS Papa » (depuis le 24 Novembre 2005) : une association visant à défendre les liens pères-enfants en cas de divorce ou séparation des parents.

14 « Dans les différents pays d'Europe et d'Amérique du Nord, les notions de famille et de ménage ont été élaborées au XIXe siècle pour les besoins des recensements. La catégorie de référence a d'ailleurs moins été la famille que le ménage, qui peut lui-même être défini par l'unité budgétaire ou par l'unité de résidence » (David, Eydoux, Martin, Millar, Séchet, 2004, p.8).

L’action publique en direction des familles a fortement évolué depuis les années 1970 sous l’effet conjoint de la nécessité de s’ajuster aux transformations de la société et des changements d’orientation politique. Avec la montée du nombre de divorces et des séparations, le déclin du veuvage et le développement de la cohabitation, les politiques familiales ont été source d’intenses débats, lesquels ont participé à la visibilité accrue de ce que Renée B. Dandurand nomme « la nouvelle monoparentalité » (Dandurand, 1994). Celle-ci n’est plus envisagée comme uniquement subie mais comme pouvant résulter d’un choix personnel (Martin-Papineau, 2003). La volonté d’accroître la visibilité des situations monoparentales se traduit par diverses formes de reconnaissances. Du fait d’un renouvellement des sources statistiques et des mises en garde du champ académique et associatif, les familles monoparentales bénéficient d’une visibilité nouvelle et d’une légitimité à la fois sociale et institutionnelle (Neyrand, 2001). La récente prise de conscience académique et politique permet aujourd’hui de ne plus envisager la monoparentalité comme une forme familiale relevant de quelconques déviances sociales. L’évolution des regards sur le fait monoparental détermine une nouvelle manière de penser la famille, de concevoir la famille comme témoin des mutations d’une société de plus en plus individualisée.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 42-45)