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Les raisons d’une mobilité résidentielle soudaine

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 195-200)

I NTRODUCTION DE LA DEUXIEME PARTIE

L A MOBILITE RESIDENTIELLE AU MOMENT DU CHANGEMENT FAMILIAL

2. U NE MOBILITE RESIDENTIELLE « REGRESSIVE »

2.3. Les raisons d’une mobilité résidentielle soudaine

L’entrée en situation monoparentale engendre une importante mobilité résidentielle, un déménagement pour s’en sortir. Plus en détails, les raisons expliquant le changement de logement soudain des mères isolées sont des obligations avant tout financières (21,7%), le besoin de résider dans un logement individuel (18,2%), la volonté de changer de cadre de vie (16,7%) et l’exigence de l’ancien conjoint (11,7%, Enquête, 2009). Les deux principales raisons de la mobilité résidentielle des mères isolées au moment du changement familial sont :

• un abaissement mécanique du niveau de vie mal anticipé au moment du changement familial. Les conditions de logement moins favorables chez les familles monoparentales sont fortement liées à leur niveau de vie plus faible ;

• une mise à distance provoquée par un conflit parental alarmant ou par la volonté d’échapper au souvenir familial.

2.3.1. Un abaissement mécanique du niveau de vie

L’entrée en situation monoparentale engendre un appauvrissement. Cela s’explique avant tout par le fait qu'un seul adulte assume la charge quotidienne des enfants au moment du changement familial : « la séparation s'accompagne, en effet, en règle générale, d'une croissance mécanique et immédiate des « frais fixes » des deux membres du couple qui n'est pas financée par une augmentation proportionnelle de leurs ressources » (Gautier, 2006, p.94). L’enfant représente alors un coût bien plus important pour les parents de famille monoparentale que pour les couples avec enfant(s) (Laummeau, Paupy, 2001). Il faut davantage de revenus que pour un adulte seul, alors même que la présence d'enfants à charge risque de limiter le temps de travail et le choix des horaires de travail. L'absence d'une sécurité de vie autonome rend les parents, surtout les femmes, extrêmement vulnérables. Le risque de pauvreté est encore plus sensible pour les familles dont les parents se retrouvent exclus du marché du travail ou qui n’ont simplement qu’un faible niveau de formation ou de qualification. L’entrée en situation monoparentale ne joue pas ici un rôle décisif, mais agit plutôt comme un facteur structurel à l'origine de la situation défavorisée des individus. Même les mères intégrées au marché du travail doivent répondre soudainement aux besoins de leur famille avec un seul salaire et doivent faire face à plusieurs obstacles, dont la gestion en solo des dépenses liées au logement.

Pour trois mères sur dix qui ont changé de logement, le déménagement est ainsi la conséquence d’une réduction brutale du niveau de vie (Enquête, 2009). Avec dans le meilleur des cas un seul salaire et l’obligation d’assumer seule l’ensemble des charges financières de la famille, les mères isolées ne peuvent faire face au paiement de leur loyer ou à l’entretien d’un espace trop grand. Elles n’ont alors pas d’autre choix que de quitter un logement trop coûteux par rapport aux possibilités de la famille. Conserver le logement familial demande un sacrifice financier trop important. C’est parfois même le propriétaire du logement qui impose le déménagement.

Dans tous les cas, les mères isolées mentionnent le besoin urgent de résider dans un logement individuel. Beaucoup se retrouvent dans un logement qui ne correspond plus à leur situation personnelle et familiale. Mais la gestion de la baisse immédiate du niveau de vie diffère selon les trajectoires familiales :

• à la suite d’une désunion lorsque l’ancien conjoint quitte le logement familial, le changement de logement est inévitable lorsque les frais qui étaient partagés dans

un logement commun deviennent à la seule charge des mères isolées. Véronique en témoigne : « je me suis retrouvée seule. J’ai perdu mon mari, une certaine aisance financière et surtout mon logement. On avait un bel appart’. C’était un petit collectif, il n’y avait que deux étages, un appartement de 80 m2, au dernier étage, donc on était vraiment très tranquille. Il a fallu repartir de zéro » ;

• à la suite du décès du conjoint avec qui la mère résidait. Plus indépendantes financièrement car plus âgées et élevant plus souvent des adolescents, les veuves sont moins vulnérables sur ce plan (seulement 8,5% d’entre elles évoquent une raison financière comme motif de déménagement, Enquête 2009). C’est davantage parce qu’elles ne peuvent plus entretenir seule leur logement ou leur terrain qu’elles décident de changer de logement. C’est le cas de Judith : « on avait un grand jardin dans lequel mon mari aimait travailler. Je n’avais ni le temps, ni l’envie de l’entretenir, et puis ça aurait été inutile de mettre de l’argent dans quelque chose qui n’était pas ma passion » ;

• à la suite d’une naissance lorsque la mère résidait déjà dans un logement individuel. L’arrivée d’un premier enfant induit des dépenses supplémentaires mais également de nouveaux besoins. Anne a quitté son petit appartement pour offrir à son enfant un lieu de résidence plus confortable : « quand on s’est séparé, j’étais enceinte. Quand j’ai commencé à chercher, j’étais enceinte. Et comme l’appart était trop petit j’ai acheté celui là, plus grand. Pour avoir une chambre supplémentaire. Je suis arrivé ici elle avait huit mois. Et puis aussi il était accessible financièrement ».

La baisse immédiate du niveau de vie ne permet pas de conserver le logement familial, encore plus lorsque celui-ci n’est pas à loyer modéré, trop coûteux ou trop grand à entretenir. C’est pourquoi le paiement seul du loyer devient impossible, davantage pour les mères résidant dans une maison individuelle que pour celles logeant en appartement, davantage pour les femmes qui résident dans le parc locatif privé que pour les propriétaires et les mères vivant dans un logement social, davantage pour les femmes occupant un logement spacieux et confortable que les mères résidant dans un logement plus petit (tableau 35).

Tableau 35 – L’impossibilité de conserver le logement pour des raisons financières selon les

Note : pourcentages calculés selon le nombre de citations Note de lecture : 25,8% des mères qui habitaient une maison individuelle ont changé de logement pour des raisons financières Champ : mères isolées ayant dû changer de logement au moment de l’entrée en monoparentalité Source : Enquête (2009) – Réalisation : F. Leray, CNRS UMR ESO 6590, 2009

La baisse des ressources financières n’est pas le seul facteur d’une mobilité résidentielle soudaine. Les éléments déclencheurs peuvent être relatifs à la relation entretenue entre les deux parents au moment du changement familial. La manière dont se déroule la rupture d’union, ses conséquences sur les parents et les enfants sont souvent décisives dans le choix de quitter le logement de la famille.

2.3.2. Une mise à distance

Dans le cas d’une rupture d’union et lorsqu’un conflit parental engendre l'insécurité des parents et des enfants, le changement de logement est inévitable. Mais l’éloignement n’est pas seulement géographique. Il est aussi psychologique dans le cas des femmes qui quittent soudainement leur logement pour s’éloigner des souvenirs heureux de la vie familiale ou effacer les souvenirs douloureux du conflit parental. L’entrée dans un nouveau logement marque une rupture avec le passé.

Déménager soudainement pour s’éloigner de l’ancien conjoint

Le changement de logement résulte d’une situation d’urgence lorsque les relations avec l’ancien conjoint sont conflictuelles. D’une part, le changement de logement imposé par l’ancien conjoint concerne 11,7% des mères qui ont déménagé au moment de l’entrée en

monoparentalité tandis que six mères divorcées ou séparées sur dix déclarent avoir quitté le logement familial avant leur ancien conjoint (Enquête, 2009). D’autre part, c’est parfois une vie de couple violente physiquement ou moralement qui aboutit à une fuite ou un éloignement du père44. Très peu de mères isolées évoquent cette raison dans le questionnaire. La phase d’entretien a révélé de manière plus réaliste un bon nombre de situations préoccupantes. La violence conjugale se traduit par une atteinte à l’intégrité physique ou psychique. Dans ces cas de violence, la situation monoparentale est souvent ressentie comme une libération pour les mères qui en sont les victimes. Nadine estime que son déménagement a été la première étape de sa réinsertion sociale : « depuis que je suis divorcée et que j’ai déménagé, nous avons une vie normale et heureuse. Nous ne vivons plus dans la peur. La vie a changé et parfois, je me dis même que j’aurais dû me décider beaucoup plus tôt ».

Eloigner définitivement l'enfant du conflit parental devient une priorité au moment de la séparation. Le changement de logement doit finir par profiter à la fois à l’enfant et aux parents. D’ailleurs, ce sont parfois les enfants qui imposent à leur mère un déménagement soudain. Christine témoigne de leur influence : « elles [mes filles] n’attendaient qu’une chose, c’est qu’on se sépare. Elles m’ont clairement poussé à déménager, c’est une décision si difficile. Je savais que je devais partir, mais sans elles, peut être que je n’aurais pas franchit le pas ». Si la mobilité résidentielle résulte d’une situation d’urgence, elle ne met pas toujours un terme à l’emprise de l’ancien conjoint, principalement à cause du partage de la garde de l’enfant. Le changement de logement, même s’il est perçu comme salutaire, ne met pas toujours définitivement fin au conflit parental, aux agressions psychologiques ou aux actes de chantage sur le plan économique et affectif.

Face aux situations d’urgence, les mères financièrement fragilisées et/ou les mères victimes de violences conjugales n’ont pas d’autres choix que d’abandonner leur logement familial ou individuel. En résulte une situation résidentielle préoccupante lorsqu’aucune recherche de logement n’a été effectuée au préalable. Dès lors, le réseau familial, amical et les associations sociales ont un rôle primordial à jouer en termes d’hébergement et de soutien moral.

Déménager soudainement pour fuir le souvenir de la vie familiale

L’entrée en situation monoparentale relève d’un changement de vie ; et, pour certaines mères isolées, un changement de vie implique un changement de cadre de vie. La volonté de fuir le souvenir de la vie familiale est un facteur important de mobilité résidentielle, que la

44 La loi n°2006-399 du 5 Avril 2006 a renforcé la prévention et la répression des violences au sein des couples, notamment par le renforcement des possibilités d’éloignement du conjoint violent.

vie de famille précédent la situation monoparentale ait été heureuse ou difficile au quotidien. L’enquête révèle que cela concerne d’abord les femmes dont le conjoint est décédé. Le changement de cadre de vie est d’ailleurs la première raison au déménagement citée par les veuves (33,3% d’entre elles). Pour Madeleine, changer de logement a été le moyen le plus rapide et le plus efficace pour supporter le souvenir de son ancien conjoint : « je ne pouvais plus supporter d’être dans cette maison. Pour moi et les enfants, c’était trop dur de supporter tout ce qui rappelait notre vie d’avant. Il aurait fallu changer beaucoup de choses dans la maison pour que ça aille mieux mais je n’en ai pas eu la force. Pour tout le monde et pour avancer, c’était nécessaire de partir, retrouver un logement neuf et essayer de rendre la vie un peu plus facile et pas « plombante » comme ça l’était dans notre ancienne maison. Je n’ai pas pris la décision seule, mes enfants étaient d’accord. Je ne l’aurais pas fait s’ils n’avaient pas été d’accord ».

Dès lors, les veuves ont souvent la volonté de se rapprocher de leur réseau familial pour combler le manque affectif et faciliter le travail de deuil. Ce désir de fuir la solitude en se rapprochant de la famille proche concerne une veuve sur quatre ayant changé de logement au moment de l’entrée en monoparentalité. Parmi les différents statuts matrimoniaux, ce sont elles qui font le plus référence à ce besoin immédiat d’un soutien familial.

La fuite du souvenir familial ne concerne pas seulement les veuves. Les mères divorcées font également état de leur volonté de ne pas conserver le logement familial. Hélène a divorcé de son conjoint. La séparation s’est faite à l’amiable, sans heurts et dans un climat favorisant l’entente entre les deux parents. Elle avait pourtant la possibilité financière de garder le logement familial mais « tirer un trait comme ça, après tant d’année de vie commune [16 années], c’est impossible. On a beau avoir un bon salaire, être bien entouré et tout, mais quand on se retrouve seule dans son logement, on n’a qu’une envie, c’est de partir le plus vite possible et essayer de se reprendre en main pour ne pas sombrer. Parce que les voisins, les boutiques, l’ascenseur, tout rappelle ce qu’on a perdu ». Le changement de logement est une étape indispensable pour se reconstruire socialement, psychologiquement et prendre un nouveau départ.

La mobilité résidentielle soudaine des mères isolées est la plupart du temps vécue violemment : une baisse du niveau de vie, une régression résidentielle, un éloignement géographique du domicile familial (vécue comme une fuite). Le cadre et les habitudes de vie s’en trouvent transformées. Cela n’est pas sans conséquences sur les représentations du logement et de son environnement.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 195-200)