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La proximité, une traduction spatiale des relations familiales

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 94-98)

I NTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE

1. D ES RAPPORTS A L ’ ESPACE DE LA FAMILLE CONTEMPORAINE

1.2. Le traitement des espaces de la famille en sciences sociales

1.2.2. La proximité, une traduction spatiale des relations familiales

Les études sur le logement et la famille ont souvent fait état des relations familiales au sein du logement et de la multiplicité de son appropriation : la pluralité des « espaces à soi », analysée notamment par François de Singly (De Singly, 1998). Mais, depuis les transformations de la structure familiale dans les pays occidentaux, étudier le rapport famille-résidence exige de ne pas réduire la famille au ménage et de prendre en compte le contexte familial élargi. Il s’agit de ne plus se limiter au logement principal, coupé d’une réalité résidentielle plus globale de la famille dans la mesure où « le logement principal n’est pas toujours le seul espace habité » (Bertaux-Wiame, 1995, p.170). C’est le cas évidemment des familles recomposées au sein desquelles l’enfant est le centre de gravité. Les espaces de la famille deviennent les espaces de l’enfant : « la fratrie recomposée se décline en plusieurs lieux dont elle modifie l’organisation et l’appréhension en fonction de ses variations » (Poittevin, 2005, p.61). Les sciences sociales sont ainsi de plus en plus attentives à la manière dont les enfants construisent leur propre spatialité et se « ré-approprient » leur monde. Si la recomposition familiale tient une place importante dans ces travaux, les lieux de la famille monoparentale ne sont que rarement traités. Le manque de littérature scientifique à ce sujet confirme la nécessité de s’intéresser à ces familles sous l’angle de leur dimension spatiale.

La « famille étendue » dans un espace étendu

La vision traditionnelle de la famille a longtemps admis une corrélation entre le ménage et le logement : les contours de la famille se définissaient selon un lieu unique, c’est à dire selon le logement des membres d’une même famille. Le renouveau de la sociologie de la famille contemporaine provient de la mise en cause de ce modèle. En effet, parallèlement aux mutations familiales, sociologues et géographes tentent de définir les contours des ménages contemporains et d’en évaluer les conséquences sur la spatialité des familles. Louis Roussel et Catherine Gokalp intègrent l’espace à leur sociologie de la famille en s’interrogeant sur la proximité entre le lieu de résidence des parents et celui des enfants mariés. Les sociologues sont à l’initiative en 1976 d’une enquête précurseur en la matière : l’enquête « Réseau familial » réalisée en partenariat avec l’Ined (Bourguignon, Roussel, 1976 ; Gokalp, 1978).

Cette enquête témoigne pour la première fois de l’importance du choix familial comme facteur de localisation des enfants adultes, celui de se situer proche des parents, au sein du lieu de vie où ils se sentent intégrés. La famille élargie vit souvent dans une proximité spatiale, au sein d’un espace considéré comme support d’échanges entre enfants et parents.

De ce fait, les relations familiales se maintiennent et témoignent d’une étonnante proximité résidentielle entre les parents et leurs enfants adultes. Les données de l’enquête « Réseau familial » permettent de mettre en évidence les signes de la « persistance d’une solidarité familiale et de liens étroits entre parents » (Gokalp, 1978, p.1080). Le rôle de l’ « affinité » sur la localisation résidentielle est ainsi mis à jour, ce qui témoigne d’une réelle importance prise par la notion d’espace familial dans la sociologie de la famille à la fin des années 1970.

Cependant, l’idée selon laquelle la famille élargie se trouve dans un espace plus large que le quartier de résidence figurait déjà dans certains travaux anglo-saxons, notamment ceux de Peter Wilmott et Mickaël Young sur les types de configurations de parenté dans l’Angleterre urbaine contemporaine. Les sociologues anglais proposent une typologie inédite de la famille « étendue » selon une entrée par l’espace (Young, Willmott, 1983) :

la famille « étendue locale », lorsque deux ou trois ménages habitent à proximité et se rencontrent presque quotidiennement ;

la famille « étendue dispersée », lorsque deux ou trois ménages, non localisés, se rencontrent moins régulièrement, malgré des contacts et aides encore fréquents ;

la famille « étendue atténuée », lorsque les liens se sont distendus indépendamment de la localisation des ménages.

Le recours à la notion de « proximité », à la fois géographique et sociale, comme élément de définition apparaît judicieux dès lors que l’on s’intéresse à la spatialité des familles. En effet, la solidarité évaluée sous forme de proximité, notamment résidentielle, permet au

« ménage » de ne plus apparaître comme le seul concept efficace pour comprendre les dynamiques de la famille contemporaine. La localisation d’individus apparentés dans un même espace peut désormais prouver l’existence d’un groupe familial formé de plusieurs ménages. Cette idée sera de plus en plus reprise dans les travaux de recherche des sociologues de la famille23.

Dans la continuité des recherches de Catherine Gokalp, Louis Roussel et Peter Willmott, les études sociologiques françaises sur la famille étendue se renouvellent. En témoigne

23 Citons également dans le domaine des recherches anglo-saxonnes les récents travaux de Martin Kohli, Harald Künemund et Jörg Lüdicke: « Family structure, proximity and contact Chapter 4.1. of the SHARE First Results Book., January 24, 2005 ». Les auteurs analysent de manière très intéressante les différences de « dynamiques résidentielles » entre enfants et parents selon différents pays européens.

l’exploitation des résultats de l’enquête « Proches et parents » réalisé par l’INED en 1990 (Bonvalet, Charles, Le Bras, Maison, 1993) dont l’objectif est « d’approfondir la connaissance de la famille étendue, d’étudier les usages sociaux du réseau familial et amical et d’évaluer les réseaux d’affinités entre membres d’une même famille : analyser la force des liens qui unissent les individus à leur réseau de parenté » (Bonvalet, 2003, p.12). Le principal intérêt de cette étude consiste en la mise en perspective des solidarités familiales à l’intérieur de la famille, principalement lorsque celles-ci se traduisent par une plus large entraide quand les besoins sont plus conséquents. Les résultats de l’enquête confirment la persistance des relations de parenté sous un jour nouveau. En effet, d’une vision opposant systématiquement aides données et aides reçues, le système d’entraide est évalué selon la part de ceux qui sont exclus de ce système, de ceux qui donnent ou reçoivent exclusivement et de ceux qui échangent. Pour chacune de ces pratiques, il est désormais possible de savoir si elles répondent à des logiques sociales ou à des dynamiques familiales.

Cette procédure dressait une « géographie statique de la famille » (Bonvalet, Charles, Le Bras, Maison, 1993, p.8). Orientant davantage l’analyse sur les interactions sociales, sur les éléments importants dans cette parenté, l’Atelier SRAI, « Statuts Résidentiels et Approche Intergénérationnelle », réalise une nouvelle exploitation de l’enquête « Proches et Parents » (Bonvalet, Gotman, Grafmeyer, 1999). Cette nouvelle ligne de recherche prend désormais en compte les profondes transformations qui ont affecté l’univers familial. L’enquête met en évidence des formes différenciées d'ajustements individuels aux contraintes qui structurent par ailleurs les flux de mobilité résidentielle. Les solidarités familiales sont montrées comme potentiellement soumises aux conflits internes et aux ruptures relationnelles, lesquelles permettent de relativiser l’efficacité des réseaux familiaux en termes de solidarité financière et affective. L’espace de référence des acteurs se construit bien selon une logique familiale dans la mesure où les individus manifestent leur volonté d'inscrire leur indépendance résidentielle dans un rayon plus ou moins dense de proximités familiales et amicales. De la même manière, les données de l’enquête « Biographies et entourage »24 de l’Ined ont permis d’élaborer une géographie de la famille des Franciliens âgés de 50 à 70 ans : la constitution d’une « carte familiale des possibles » (Bonvalet, Lelièvre, 2005, p.101). Les résultats de l’enquête prouvent l’importance des lieux dans le fonctionnement des familles (visites hebdomadaires ou mensuelles, aides domestiques, regroupement familial pendant les

24 Les données de l’enquête Biographies et entourage ont été collectées par l’Institut National d’Études Démographiques de mars 2000 à septembre 2001. Biographie et entourage analyse les biographies familiales, les parcours résidentiels et la vie active de 2830 Franciliens nés entre 1930 et 1950, ainsi que celles de leurs parents, conjoints, frères et soeurs, enfants et petits enfants.

vacances). La prise en compte des distances et des enjeux de proximité révèle la persistance des liens familiaux dans la société urbaine, mais aussi les ruptures qui ont pu s’opérer dans certaines familles. La pluralité des parcours de vie et la variabilité de la qualité des liens familiaux influencent les comportements spatiaux des familles.

La « famille-entourage » ou la cohésion spatiale de la parenté

La sociologue Catherine Bonvalet évalue la multiplicité des espaces de vie de la famille contemporaine à travers un concept, celui de l’entourage. Partant du constat que le ménage n’est pas l’unité pertinente d’observation de la famille (Bonvalet, Lelièvre, 1995), elle estime nécessaire le recours à une notion qui « identifie le groupe de façon univoque au cours du temps ». La notion d’entourage permet ainsi d’éviter de choisir entre la famille et le ménage puisqu’elle prend en compte le groupe domestique (les membres de la famille sur quatre générations) ainsi que les personnes clés du réseau familial (anciens conjoints et anciens beaux-parents, amis les plus importants) (Bonvalet, 2003) : « la famille ne serait donc plus perçue en fonction des aides données ou reçues, de la fréquence des rencontres observées à un moment donné, mais en fonction des liens tissés au cours du temps et de leur traduction dans l’espace, qu’il soit géographique ou social » (Bonvalet, Lelièvre, 1995, p.188).

La notion d’entourage a pour objet l’étude de la dynamique du cercle des proches. Celle de famille-entourage est centrée sur l’appréhension des modes d’organisation et des solidarités au sein de la famille. En effet, selon Catherine Bonvalet, la famille évolue vers une forme de famille-entourage que la sociologue mesure selon trois critères (Bonvalet, Gotman, Grafmayer, 1999) :

les affinités, faire partie des parents désignés comme proches ;

la fréquence des contacts, au moins une fois par semaine ;

l’entraide, le parent proche a été aidé par ego ou a aidé celui-ci.

Penser en termes de « famille-entourage », c’est mettre fin au déterminisme entre individus et liens familiaux. L’acteur aménage son territoire, son « espace de référence » selon le degré d’affinité, la solidarité familiale et la fréquence des contacts. Afin d’intégrer davantage une dimension spatiale à cette notion, Catherine Bonvalet distingue à nouveau :

la « famille-entourage locale » qui se caractérise par une forte proximité résidentielle (habiter la même commune ou une commune limitrophe) et des relations intenses entre membres de la famille étendue ;

la « famille-entourage dispersée», laquelle entretient des relations fortes avec un membre de sa parenté sans habiter la même commune que lui ni une commune limitrophe.

De cette manière, les espaces familiaux sont étudiés selon la proximité géographique et sociale des différents membres d’une même famille grâce au concept de famille-entourage, lequel autorise une meilleure compréhension de la réalité des espaces familiaux. Cette conception de la famille a notamment révélé l’existence d’une famille contemporaine soumise à une certaine « dépendance familiale » et non à un repli domestique généralisé (30% des personnes interrogées par l’enquête « Proches et parents » appartiennent à une famille-entourage locale, Bonvalet, 2003). La tendance générale n’est pas au repli domestique : « étudier comment l’espace est associé à la dynamique des liens d’affinité, c’est comprendre le rapport que les personnes entretiennent avec leur famille, celle qu’ils ont choisie, car la proximité géographique contribue à construire le lien social en facilitant les échanges et les rencontres » (Bonvalet, 2003, p.10). Les proximités doivent être analysées comme une traduction spatiale de la parenté. Pour les parents divorcés, la proximité n’est pas toujours seulement une question d’affinité. Elle est aussi une question de sociabilité.

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