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La conception de la mobilité quotidienne

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 109-116)

I NTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE

PHASE HEURISTIQUE DE LA RECHERCHE

2.1. Le choix des concepts géographiques et sociologiques

2.1.3. La conception de la mobilité quotidienne

Selon Eric Le Breton, l’étude des mobilités du quotidien impose deux démarches scientifiques (Le Breton, 2005b) : décrire l’essentiel des activités de la vie quotidienne ; comprendre l’organisation des déplacements au sein des familles en interrogeant le potentiel de mobilité (puisque nous considérons que les conséquences économiques et sociales inhérentes au changement familial influencent les mobilités individuelles). C’est pourquoi nous distinguons les pratiques de mobilité (activités quotidiennes) des pratiques de déplacement (moyens de transports, distance, temps de déplacement). Les mobilités quotidiennes se caractérisent ainsi par des fréquences journalières et hebdomadaires.

Nous considérons également que la mobilité quotidienne correspond à un « fait socio-spatial» comme l’envisage le géographe Samuel Carpentier dans ses récents travaux de recherche (figure 14). Les individus ne se sont pas considérés comme rationnels mais comme porteurs d’une « subjectivité individuelle » (Carpentier, 2007b). C’est pourquoi de nombreux travaux de recherche considèrent que « la mobilité quotidienne doit être interprétée en référence à leurs [les habitants] expériences résidentielles antérieures et au(x) déterminants,

et à la signification de la mobilité résidentielle » (Clerget, Harzot, Rosales-Montano, 1998, p.14). La mobilité résulte des pratiques sociales structurées par les exigences de la vie professionnelle ou familiale et par les aspirations de chacun. Elle dépend également du système de transport (accès aux modes, développement des infrastructures) et de la structure spatiale qui sert de support aux déplacements.

Figure 14 – La mobilité quotidienne comme « fait socio-spatial »

Réalisation : F. Leray, CNRS UMR ESO 6590, 2009 d’après Carpentier, Samuel, « Une analyse exploratoire des liens entre mobilité quotidienne et ancrage résidentiel », Articulo, n°3, 2007

Les pratiques de mobilité

Le lieu du domicile est considéré comme le point d’ancrage des espaces de vie : « le point structurant principal de ces espaces à partir duquel les individus vont organiser leurs déplacement quotidiens » (Carpentier, Gerber, 2008). Les logiques spatiales s’appuient d'abord sur le lieu de résidence. Pour mettre en évidence les différents lieux fréquentés par les habitants, il est nécessaire de recenser les différentes activités de la vie quotidienne.

Celles-ci sont articulées autour de quatre sphères selon Vincent Kaufmann (figure 15).

Figure 15 – Typologie des activités de la vie quotidienne

Source : Kaufmann, Vincent, « Mobilité et vie quotidienne : synthèse et questions de recherche », 2001 plus, n°98, 1999

Les rythmes quotidiens alternent des temps « contraints » (travail et déplacement) et des temps « libres », vécus différemment selon les contextes (le temps qui ne passe pas vite, le temps qui file, le temps qui manque) (Hilal, Sencebe, 2003). La sphère du travail est constituée des activités financièrement rémunérées et des activités annexes déployées dans le cadre du travail ; la sphère de l’engagement est constituée des activités politiques, responsabilités associatives vecteur de reconnaissance sociale ; la sphère domestique correspond à l’ensemble des activités nécessaires liées au fonctionnement du ménage (approvisionnement, socialisation) ; la sphère du temps libre recouvre des activités non obligées et orientées vers l’épanouissement de soi (loisirs récréatifs, culturels, sportifs). Ces quatre sphères sont associées à « des mobilités spatiales spécifiques, qui constituent la dimension spatialisée des modes de vie » (Kaufmann, 1999, p.10). Les pratiques de mobilité quotidienne, dispersées ou centrées autour du logement, s’inscrivent dans un espace de vie. Elles correspondent à un processus qui amène au déplacement (Andan, 1984). Pratiques de mobilité et pratiques de déplacement : les uns et les autres sont indissociables.

Les pratiques de déplacements

La mobilité quotidienne renvoie naturellement à l’ensemble des déplacements de la vie quotidienne (la mobilité effective) : « elle renvoie aux temporalités courtes que sont les rythmes sociaux de la quotidienneté » (Kaufmann, 1999, p.8). La mobilité quotidienne n’est pas réduite à la simple mobilité domicile-travail. Elle se réfère plutôt à un trait de comportement, à « l’ensemble des pratiques de déplacements d’une population dans son cadre habituel » (Segaud, Brun et al., 2001) contrairement à la migration qui désigne le déplacement lui-même et qui est utilisé pour évoquer des mouvements concernant des effectifs numériquement importants et/ou un changement de circonscription administrative.

Les spatialités dépendent largement d’un système d’opportunités, d’aspirations spécifiques et de ressources personnelles (revenus, réseaux sociaux, moyens de locomotion). La place de l’automobile dans l’accomplissement des mobilités familiales n’est pas un objet de recherche récent. Le traitement de cette question est proposé par l’école de Chicago dès les années 1950.

Les mobilités quotidiennes sont considérés par les penseurs américains comme « un fait sociétal total » (Lannoy, 2005, p.152). Aujourd’hui, la motorisation est considérée comme un enjeu d’intégration sociale. Le risque d’exclusion sociale et de marginalisation spatiale des membres d’une famille n’ayant pas de permis de conduire, ou pas de voiture personnelle, ou encore résidant à l’écart des transports collectifs est notamment analysé par Eric Le Breton.

Le sociologue étudie l’ensemble des empêchements de mobilité qui font obstacle à toutes les ressources de l’intégration sociale (Le Breton, 2005a). Selon E. Le Breton, les mères isolées font partie des acteurs qui peuvent moins que les autres « bouger pour s’en sortir ». Dans un contexte de mobilité géographique accrue (professionnelle, récréative), la mobilité devient un signe de différenciation sociale, d’autant plus lorsqu’un changement familial impose un devoir de s’adapter.

La mobilité effective suppose en effet un projet de mobilité qui dépend de capacités, de compétences et de liens sociaux au sein d’un cercle vertueux. Le potentiel de mobilité – ou motilité – définie comme « la manière dont un individu ou un groupe fait sien le champ du possible en matière de mobilité et en fait usage pour développer des projets » (Kaufmann, Flamm, 2003, p.8) – est un concept utile pour l’orientation de notre réflexion. Le seul fait d’être en possession des moyens de déplacement ne suffit pas à générer effectivement le déplacement. Vincent Kaufmann et Mickael Flamm identifient les trois principaux enjeux relatifs aux mobilités quotidiennes : la localisation résidentielle et la dépendance automobile, l’organisation de la vie quotidienne et l’indépendance des membres de la famille, la gestion des imprévus et des ruptures familiales (Kaufmann, Flamm, 2003). C’est l’ « autonomie mobilitaire » des familles qui est en question et qui définit l’aptitude à répondre aux impératifs de la vie quotidienne, qu’elles soient professionnelles ou familiales. Cela passe par des facteurs relatifs aux compétences, c’est à dire une connaissance de son espace (les savoirs acquis), une capacité d’organisation (ou de réorganisation) efficace (la manière de programmer ses activités) mais aussi par des facteurs relatifs à l’accessibilité (laquelle renvoie à la notion de service) et à l’appropriation (les stratégies, les valeurs, les perceptions et les habitudes) : « le déplacement est aussi fait de distance et de temps de trajet ce qui signifie qu’il correspond à un temps du quotidien, à une expérience physique faite de perceptions et de représentations » (Carpentier, 2007a, p. 62).

Les principaux concepts utilisés dans la thèse ont été exposés. La construction de la problématique doit passer par la formulation des principaux repères théoriques mais aussi par la construction d’un questionnement en lien avec le modèle d’interprétation du phénomène étudié. Avant cela, il s’agit d’élaborer des hypothèses et des indicateurs auxquels il faudra rechercher des correspondances dans le réel. La méthode scientifique choisie est donc une méthode hypothético-déductive.

2.2. Les mères isolées évoluent dans un « espace social de vulnérabilité »25

Banalisée, la monoparentalité est de plus en plus une étape dans les parcours familiaux à laquelle une recomposition familiale vient souvent mettre un terme. Cette banalisation de la monoparentalité, son passage « du registre de la déviance à celui de la variance des formes familiales » (Lefaucheur, 1985, p.210), ne doit pas occulter la vulnérabilité des familles monoparentales. En 2003, 27%26 d’entre elles vivent en dessous du seuil de pauvreté contre 12% des couples avec enfant(s) (Blanpain, 2007). Ce n’est pas pour autant la monoparentalité par elle-même qui explique cette vulnérabilité des familles monoparentales mais le fait que celles-ci sont confrontées à des contraintes spécifiques qui pèsent d’autant plus fortement qu’elles sont le plus souvent dirigées par une femme.

La recherche reprend l’hypothèse selon laquelle les femmes seules avec enfants seraient prises dans un ensemble de contraintes spécifiques, à la fois parce qu’elles sont dirigées par des femmes et parce qu’elles ne comportent qu’un parent, et qu’en conséquence la plus physiques ou psychique (âge, santé, contraintes physiques) mais aussi d’éléments externes aux individus, c’est à dire de « leur exposition au risque et leur capacité à faire face (resistance and resilience) » (Séchet, 2003, p.19). La notion de vulnérabilité ajoute également une dimension sociétale « pour comprendre comment la personne va organiser sa vie au quotidien, comment elle va se construire dans un environnement choisi ou subi, avec ses propres schémas cognitifs, ses cartes mentales, ses représentations » (Séchet, 2003, p.20). Le recours à la notion de vulnérabilité permet ainsi d’articuler les inégalités avec la manière dont elles sont vécues par l’individu.

25 Le cadre problématique exposé maintenant s’inspire de la communication présentée lors du Neuvième colloque du groupe « Mobilités spatiales et fluidité sociale » (26-27 Mars 2009, Luxembourg) de l'AISLF (Leray, Frédéric, Séchet, Raymonde, « Les mobilités sous contraintes des mères seules. Premiers enseignements d'une recherche », L’Harmattan, à paraître)

26 Les ménages pauvres sont ici ceux qui disposent de ressources inférieures à 60 % du revenu médian (Blanpain, 2007).

27 La théorie de Sen se situe dans une logique qui met l’accent sur les opportunités offertes aux individus plutôt que sur les résultats et qui tient compte de l’hétérogénéité des individus. Ces derniers disposent de capacités très inégales pour atteindre leurs objectifs, même s’ils ont accès à la même quantité de biens sociaux (Paulo, 2006b).

La vulnérabilité va bien au-delà des dispositions physiques et mentales et doit être étudiée en référence aux dimensions sociales et économiques qui façonnent l’espace de capacités des individus. La vulnérabilité des femmes seules avec enfants, quelle que soit la singularité des situations personnelles, émerge à la rencontre de trois dimensions (figure 16, Séchet et al., 2002, p.259) :

la dimension familiale, avec notamment des contraintes d’emploi du temps inhérentes à l’obligation de devoir faire face seule aux activités et tâches du quotidien, pour le parent et pour le ou les enfants. L’accumulation des rôles sociaux s'avère un élément très contraignant dans le processus d'ajustement à la monoparentalité. Elle diminue la possibilité pour les mères isolées de profiter d'activités sociales et de loisirs.

L’ensemble de ces contraintes rendrait difficile la pérennisation de réseaux sociaux larges. A cela s’ajoute le poids des représentations ou des modèles traditionnels qui subsiste malgré la banalisation des familles monoparentales ;

la dimension économique, puisque les mères seules doivent pourvoir aux besoins de la famille alors que le marché du travail est moins favorable aux femmes (salaires plus faibles, emplois sous-qualifiés, contrats à durée déterminée et emplois à temps partiels plus fréquents). Les inégalités de genre croisent les inégalités sociales pour déboucher sur une « énorme inégalité de destins sociaux » (de Certaines et al., 2000, p.2) ;

la dimension territoriale, qui comporte deux niveaux. Le premier, relatif aux ressources du territoire dans lequel s’inscrivent les espaces de vie personnels, notamment en matière d’emploi et de logement, est un facteur de différenciation spatiale entre les familles monoparentales : c’est plus ou moins le niveau des zones d’emploi à partir duquel se dessine les disparités dans les taux de pauvreté économique des familles monoparentales en France (David, Quintin, Séchet, 2002). Le second niveau est celui des espaces de vie des femmes seules avec enfants, celui de leurs pratiques spatiales et de leurs déplacements entre domicile, lieu de travail, courses, visites à l’ancien conjoint quand il est présent, etc.

Figure 16 – L’ « espace social de vulnérabilité » des mères isolées

Source : Séchet Raymonde, David, Olivier, Quintin, Philippe, 2002, « Les familles monoparentales et la pauvreté » In Les Travaux de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion 2001-2002, Chapitre 3, Paris : La Documentation française, 247-290 d'après M.Watts et H. Bohle. 1993. The space of vulnerability: the causal structure of hunger and famine. Progress in Human Geography, Vol. 17.11, pp. 43-67

La combinaison de ces trois dimensions est potentiellement source de pauvreté économique (articulation entre les dimensions familiales et économiques), de marginalisation (articulation entre dimension économique et dimension spatiale), d’exclusion sociale (articulation entre dimension familiale et dimension territoriale). Précarité sociale, pauvreté économique, pauvreté des conditions de vie font système et interagissent dans l’espace social de vulnérabilité, au risque d’une aggravation mutuelle et d’une déstabilisation cumulative (Naves, 2001, p.14). L’accès au logement, les pratiques spatiales du quotidien sont orientés en fonction d’un « champ des possibles » et ce, à différents échelons emboîtés (figure 17). Les mères isolées s’inscrivent au niveau macro (la classe sociale, la structure sociale), au niveau local (le marché du travail, l’offre de ressources destinées à la famille), au sein d’un réseau social. L’inscription locale de ces femmes apparaît comme le reflet de ces différents échelons

Puisque nous faisons l’hypothèse que les mères isolées s’inscrivent dans un espace social de vulnérabilité, il est essentiel de « penser les espaces de la vie quotidienne comme intégrateurs » (ONPES, 2007, p.258), de mettre en lumière les contraintes imposées par les caractéristiques des espaces sur la vie quotidienne et de poser la question suivante : finalement, les mères isolées sont elles dépendantes des possibilités offertes par leur espace de vie ?

Figure 17 – L’exemple des femmes seules avec des enfants à charge : entre champ des possibles et bricolage

Source: Séchet, Raymonde, « Derrière le risque et l’urgence, la vulnérabilité et les inégalités... », ESO-Travaux et document, n°20, 2003, pp.17-24 d’après Claudia G. Morner, Making Ends Meet. Lone Mothers' local Subsistence Strategies. Cases Studies from Italy and Sweden, Mannheimer Zentrum fur Europaiche Socialforchung, Arbeispapiere, n˚13, 2000

Le schéma de l’espace social de vulnérabilité amène à appréhender les mobilités selon une articulation entre des éléments de contexte spatiaux, socio-économiques et des processus cognitifs (Carpentier, 2007b) à l’intérieur d’une double hypothèse :

Hypothèse 1 – l’entrée en situation monoparentale et les contraintes inhérentes à l’obligation de faire face seule peuvent générer des changements résidentiels importants ;

Hypothèse 2 – l’organisation des déplacements quotidiens est fonction de contraintes temporelles, économiques, sociétales, les spatialités contraintes pouvant, en retour, générer un surcroît de vulnérabilité. Les familles monoparentales rencontrent des problèmes de synchronisation des mobilités et des temporalités de la vie quotidienne.

2.3. La spatialité des mères isolées : une liaison entre « famille » et « mobilité »

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