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La conception de la mobilité résidentielle

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 103-109)

I NTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE

PHASE HEURISTIQUE DE LA RECHERCHE

2.1. Le choix des concepts géographiques et sociologiques

2.1.2. La conception de la mobilité résidentielle

L’évaluation de la situation et des itinéraires résidentiels des femmes seules avec enfant(s) exige une définition rigoureuse de la notion de mobilité résidentielle et de stratégies résidentielles. D’une part, la mobilité résidentielle est devenue un champ de recherche dont l’approche s’effectue principalement à partir des étapes résidentielles. Yves Grafmayer estime qu’ « une série de données de positions successives n’est pas le simple fait du hasard mais s’enchaîne au contraire selon un ordre intelligible » (Grafmeyer, 1994, p.66). D’autre part, l’approche de la mobilité résidentielle s’effectue aussi à partir des stratégies résidentielles. Guy Boudimbou les considère comme « les moyens mis en œuvre par les ménages pour obtenir un logement, c’est-à-dire leur capacité d’éviter ou de contourner les obstacles, mais aussi les choix visant à adapter la situation résidentielle à la situation sociale » (Boudimbou, 1993, p.58).

Mesurer l’intensité de la mobilité résidentielle

La mobilité résidentielle est considérée comme le fait de changer de logement, de quitter un espace pour un autre, sans forcément passer une frontière administrative et sans intention de retour à court terme. Jean-Pierre Lévy nous permet de préciser cette notion de mobilité résidentielle. Il entend par mobilité résidentielle « l’action qui aboutit durablement à un changement de logement principal occupé à titre indépendant et quelle que soit la distance parcourue » (Lévy, 1997). Cette définition autorise la prise en compte des changements de logement de proximité.

Les mobilités résidentielles s'inscrivent dans le cadre d’un marché du logement : « les parcours résidentiels s’adaptent à la structure de l’offre locale et aux caractéristiques du

peuplement (…) les caractéristiques de l’offre locale provoquent des mécanismes de mobilités différenciés qui expliquent en partie les variations dans les structures d’occupation d’un même type d’habitat » (Lévy, 1997). Mais l’analyse des comportements résidentiels ne doit pas se limiter à la compréhension des flux de l’offre en logement et des déterminants sociaux (figure 12). L’intensité de la mobilité résidentielle dépend des besoins, lesquels varient selon la position des individus dans le cycle de vie, de leur position sociale, de leur caractéristique socioculturelle, mais aussi des possibilités (financières, spatiales). La mobilité résidentielle permet aux familles d’ajuster leur consommation de logement et leur localisation. Les motivations à effectuer de tels ajustements varient au cours du cycle de vie en fonction des transitions familiales et professionnelles auxquelles sont confrontés les individus.

Figure 12 – Les facteurs de la mobilité résidentielle

Réalisation : F. Leray, CNRS UMR ESO 6590, 2009

Les différentes formes de mobilité présentent de nombreuses configurations de liaisons entre les motifs de déplacements et leurs différentes temporalités, distances et fréquences. Elles produisent « un ensemble fonctionnant dans le temps, commençant par une micro-échelle (du quotidien) pour arriver en conséquence à la macro-échelle (de la vie des individus, des territoires) » (Tabaka 2009, p.32). Les différents flux de mobilité ne sont donc pas isolés les

uns des autres : « [ils] entretiennent entre eux des rapports de causalité, de complémentarité, de subsidiarité, de substitution, d’incompatibilité » (Bassand, Brülhardt, 1981, p.506). Elles s’inscrivent dans un système de mobilité, lequel se trouve modifié par les transformations familiales, par la succession des cycles de vie. D’une part, le parcours de vie familial est associé à un parcours de mobilité résidentielle. D’autre part, le passage d’une étape du parcours de vie familial a pour conséquence de modifier les programmes d’activités et par conséquent, les pratiques de mobilité et de déplacements.

Nous considérons les processus de mobilité comme étant interdépendants à deux niveaux différents (logement et déplacements quotidiens) au sein d’un « système résidentiel ». La figure 13 représente les interactions entre les déterminants de la mobilité résidentielle.

Figure 13 – Le système résidentiel des femmes seules avec enfant(s) : interactions entre les déterminants de la mobilité résidentielle

D’après, Agbossou, Igor, Provitolo, Damienne, Frankhauser, Pierre, « Expérimentation par voie informatique de la mobilité résidentielle. Cas d’étude : Saône, commune de l’Est de la France », manuscrit auteur, publié dans XV ème Journées de Rochebrune - Rencontres interdisciplinaires sur les systèmes complexes naturels et artificiels, Rochebrune, Megève, France, 2008, 13 p.

Deux types d’habitat sont mis en perspective (appartement et maison individuelle). Ces deux types de logement, conjugués au statut d’occupation, permettent de distinguer le parc locatif du parc en propriété. L’unité de logement (type, taille, modèle) est la variable qui fait la relation entre l’emplacement de l’habitation et la mobilité en matière de logement étant

donné que la répartition spatiale inégale des types de logement influe sur le choix de l’emplacement du logement (Kasper, Scheiner, 2003). Les individus construisent leur espace d'activités quotidiennes en fonction de leurs caractéristiques sociodémographiques mais aussi de leurs déménagements successifs. En revanche, la mobilité quotidienne peut devenir l’instrument de choix résidentiels, dans le cas d’une recherche de proximité ou d’une plus grande facilité dans les déplacements : une recherche d’optimisation dans les choix de la localisation résidentielle pour les ménages qui doivent gérer au mieux les activités du quotidien.

Ce système résidentiel pourrait faire croire que le changement de résidence provoque une remise en cause de la totalité des espaces fréquentés. Or, les habitudes de vie et le réseau social influencent les pratiques spatiales tout au long du cycle de vie. Cela prouve que mobilité et ancrage ne sont pas antinomiques. En effet, la sociologue Nathalie Brevet juge nécessaire d’adopter une approche conjointe du phénomène de mobilité et du phénomène d’ancrage. Elle définit l’ancrage à travers deux dimensions (Brevet, 2008). La première mobilise le champ du logement : l’ancrage géographique correspond à une stabilité au sein d’un même logement ou d’une même commune. La seconde, l’ancrage dynamique, correspond à un « processus de cohérence qui se révèle dans la façon dont les individus négocient et arbitrent les espaces fréquentés hier, aujourd’hui, et ceux qu’ils envisagent de fréquenter demain » (Brevet, 2008, p.74) : un ancrage lié à l’histoire résidentielle grâce à la construction de points d’attaches sur le temps long. C’est pourquoi porter son attention sur les relations parcours résidentiels et parcours de vie est nécessaire pour rendre compte de la manière dont l’individu construit son rapport au territoire. La notion d’ancrage est également importante pour l’analyse des représentations du logement, encore plus pour les individus qui ne maîtrisent pas leur mobilité résidentielle. Au moment d’une rupture familiale, le changement de logement est parfois inévitable. Les individus sont confrontés alors à un bouleversement de leur cadre de vie, de leurs habitudes. Ils renoncent à la stabilité, à l'enracinement, à l'attachement au local.

Stratégies ou tactiques résidentielles

Evoquer la prise de décision, le « choix résidentiel », c’est évoquer les stratégies. Il convient d’aborder en premier lieu les différentes définitions de ce concept. Selon Michel Crozier, la

« stratégie » se conçoit comme un choix progressiste (satisfaisant) qui a donc un sens même si l’action est parfois limitée (si l’information en amont de l’action est incomplète par

exemple). Michel Crozier fait référence aux « stratégies individuelles » des individus, à leur capacité à agir de manière consciente, rationnelle afin de « choisir au mieux ». Ce courant de pensée propre à l’individualisme méthodologique est de fait opposé au structuralisme.

Pierre Bourdieu pense en effet quant à lui en termes de « sens du jeu » : « une nécessité immanente qui est en même temps une logique immanente ». Le « jeu » est ainsi ordonné par les « champs sociaux ». Les stratégies se construisent sans cesse dans la pratique et en pratique (habitus). L’habitus stratégique s’inspire de la socialisation, de l’intériorisation des perceptions. Cette théorisation est soumise à de nombreuses critiques comme la mise en perspective, par certains sociologues, de l’actuelle multiplicité des univers de socialisation, du poids des intentions quotidiennes ou encore de l’adaptation non linéaire que suppose parfois l’héritage culturel (Godard, 1990). Enfin, retenons la vision d’Anthony Giddens issue du structuralisme. L’ « acteur » est au cœur de la pensée du sociologue britannique.

L’ « acteur » agit de manière réfléchie. La notion de « stratégie » correspond à un acte intentionnel qui a conscience du but et du résultat de son action. L’individu a donc plus de

« pouvoir » et de « conscience » que l’individu selon Bourdieu.

Le concept de « stratégie » est complexe et difficile à définir. Nous retenons finalement les termes de Francis Godard, lequel définit une « stratégie », c’est à dire en fonction de : « la position sur le cycle de vie, de la définition d’une certaine profondeur temporelle (…) et d’un certain horizon spatial (…). Parler de stratégie revient à « restituer » à l’acteur sa part d’initiative dans l’élaboration de sa propre existence » (Godard, 1990, p.20). Cette définition semble pertinente pour apprécier les logiques résidentielles des familles.

Plus précisément, les premiers écrits notables sur les stratégies résidentielles sont à mettre à l’actif de l’école de Chicago. Les études sur les mobilités urbaines aux Etats-Unis ont mis en lumière les stratégies migratoires ainsi que les stratégies d’appropriation de l’espace, notamment en matière de ségrégation ethnique. Par exemple, une des théories serait que les migrants s’installent dans les quartiers du centre (logements dégradés ou disponibles) en opposition aux quartiers plus aisés de la périphérie des villes américaines. La tradition fonctionnaliste de chercheurs comme Park, Burgess puis Duncan donne lieu à l’analyse des réseaux en fonction du lien entre le social et le spatial (c'est-à-dire, la possibilité de mesurer la distance sociale en fonction de la distance spatiale). L’organisation urbaine est entrevue comme la résultante de stratégies individuelles d’appropriation (Grafmayer, Isaac, 1984). Les apports de l’École de Chicago ont été ensuite enrichis par des approches diachroniques : des

enquêtes mettant en relation cursus résidentiels, professionnels, familiaux, migrations intercensitaires (Berger, 1990).

A la fin des années 1980, le séminaire « Stratégies résidentielles » organisé par l’Ined adopte une posture épistémologique commune entre disciplines scientifiques : « l’habitant [a] un réel pouvoir de décision, ou à défaut, une maîtrise partielle de son devenir » (Gotman, 1990).

Il existe dorénavant un consensus dans la littérature scientifique en France : « tout en reconnaissant que de multiples facteurs (politique et offre de logement, préférences en matière de mode de vie, revenus,…) interviennent dans les choix résidentiels, l’hypothèse est faite que les individus et les ménages disposent au cours de leur vie d’un minimum de liberté d’action et de lucidité dans leurs pratiques résidentielles. (…) Le développement de stratégies, le décalage par rapport à la trajectoire déterminée par une condition sociale, suppose des ressources, financières certes mais pas seulement » (Bonvalet, Dureau, 2000, p.132). La plupart des études sur les stratégies résidentielles identifient trois facteurs qui jouent un rôle important dans les choix résidentiels des ménages (Madoré, Pihan, 2004) : le statut d’occupation choisi en fonction d’une rationalité économique et sociale ou selon les effets d’une reproduction intergénérationnelle (Bertaux-Wiame, 1992) ; le type d’habitat souvent évoqué par le tropisme de la maison individuelle (Andan, Pochet, Routhier, Scheou, 1999) ; enfin, la localisation selon les choix de vie ou l’offre de logement. Il est difficile d’étudier le statut d’occupation sans faire référence au type d’habitat ou à la localisation.

Toutefois, certains chercheurs en sciences sociales témoignent des limites du concept de stratégies résidentielles. La sociologue Jeanne Fagnani utilise notamment l’exemple du comportement résidentiel des familles monoparentales pour mettre en doute l’intérêt de ce concept. D’une part, J. Fagnani affirme qu’à défaut de pouvoir établir une stratégie résidentielle, les mères isolées s’adaptent. D’autre part, elle démontre que les mères isolées ont des obligations et un choix limité dans la localisation résidentielle. Par conséquent, elles élaborent des stratégies pour annihiler les contraintes spatiales, sociales et économiques inhérentes à l’entrée en monoparentalité (Fagnani, 1990). L’emploi de l’expression « tactique résidentielle » est alors plus en phase avec la praticité et l’action individuelle. François Aballéa et Elizabeth Auclair estiment également qu’au moment du changement de logement,

« le migrant ne maîtrise pas assez sa situation pour développer de réelles stratégies » (Aballéa, Auclair, 1988, p.13). Jeanne Fagnani pose finalement la question suivante : « peut-on alors cpeut-onsidérer que les classes les plus privilégiées aient besoin de mettre en place des stratégies résidentielles puisqu’elles ont le choix de résider n’importe où, grâce à leurs

revenus ? ». L’instabilité familiale symbolisée par une entrée en situation monoparentale laisse à penser que les projets de vie (résidentiels ou professionnels) sont très souvent des projets incertains. Il n’empêche que les mères isolées sont en capacité d’action (au quotidien et face au défi de se loger).

Nous considérons de notre point de vue que les choix résidentiels correspondent aux préférences ou aux motivations des ménages en rapport avec un champ de possibles entre lesquels ces ménages se déterminent : un ensemble de contraintes objectives qui délimitent les champs d’action. Tenir compte des contraintes, c'est reconnaître que les individus agissent à l'intérieur d'un champ d'action limité. D’une part, les choix résidentiels résultent d'arbitrages complexes qui engagent différentes dimensions de la vie sociale des individus.

D’autre part, ils dépendent fortement d'autres acteurs sociaux (législateurs, agents immobiliers) et de l’offre de logement. La décision de changer de logement ne se comprend que restituée dans le réseau de relations d'interdépendance dans lequel l’individu est inséré à un moment donné de sa trajectoire. Une « stratégie résidentielle » peut conduire à un

« mieux habiter », une « tactique résidentielle » ne peut au mieux que « limiter les dégâts », dans une logique du « moindre mal » (Donzelot, 2003). Parler de « tactiques résidentielles » pour les mères isolées, c’est finalement estimer que leur choix installation se trouve limité.

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