• Aucun résultat trouvé

La possible lecture de la notion de lien de causalité comme une notion

Section 2 Les outils conceptuels d’analyse du lien de causalité juridique

B) Le lien de causalité comme notion fonctionnelle ? Les enseignements de la

1) La possible lecture de la notion de lien de causalité comme une notion

224. Dans ses deux études de 1948279 et 1950280, Georges Vedel élabore le

concept de « notion fonctionnelle » qui, comme toute élaboration de concept, aspire à améliorer la lecture de la matière étudiée281. Vedel écrit, à propos de la notion de

voie de fait qu’il prend en exemple, que « la voie de fait nous paraît appartenir à cette

278 M. Rials tempère l’indétermination du standard dans une analyse opposée aux thèses réalistes en expliquant sous le titre « l’échelle d’indétermination des standards » que « pour saisir […] la latitude d’action dont dispose le juge dans l’élaboration et la conduite de ses politiques en matière de standards, il faut concevoir que tous ne comportent pas a priori la même rigidité. Tous les standards, bien sûr, offrent une certaine résistance à qui les met en œuvre, en dépit d’une idée répandue selon laquelle le juge pourrait, sous le masque des mots troubles, faire tout ce qu’il veut. En réalité, les contraintes de signification qu’impliquent les standards, même lorsqu’elles sont ténues n’en sont pas moins réelles. […] il apparaît clairement que certains standards laissent à l’action du juge une moindre marge de liberté. Il faut à cet égard opérer une double distinction : - entre standards quantifiables et standards –non-quantifiables […] – entre standards descriptifs et standards dogmatiques : les purs standards descriptifs […] laissent une faible initiative au juge. […] Par contre, précise M. Rials, la plupart des standards se prêtent […], à la fois à une conception plutôt descriptive et à une conception plutôt dogmatique, celle-ci étant par définition susceptible de plusieurs résultats. C’est dans ce choix entre une conception et une autre que réside la liberté du juge lorsqu’elle lui est donnée, liberté limitée parce que la logique des significations n’est pas son seul frein, mais qu’il doit compter avec les contraintes que les mentalités font peser sur son œuvre. » S. Rials, op. cit., pp. 151-152.

279 G. Vedel, « De l’arrêt Septfonds à l’arrêt Barinstein (La légalité des actes administratifs devant les Tribunaux judiciaires », JCP G 1948, I, n° 682.

280 G. Vedel, « La juridiction compétente pour prévenir, faire cesser ou réparer la voie de fait administrative », JCP G 1950, I, n° 851.

281 La réflexion du doyen Vedel sur cette question est certainement déjà en germe dans sa thèse sur la notion de cause (Essai sur la notion de cause en droit administratif français, thèse, Recueil Sirey, Toulouse 1934) ; notion qu’il prend, dans son étude de 1950, comme exemple de notion fonctionnelle (pt. 4.).

espèce de catégories juridiques dont l’unité est plus fonctionnelle que conceptuelle. Toutes les branches du droit et particulièrement le droit administratif possèdent ou ont possédé des catégories que l’on est en peine de définir logiquement. En tant que concepts, elles sont vagues, contradictoires et sans unité. Un logicien est tenté de leur dénier tout droit à l’existence. Pourtant, si on les envisage non au point de vue de leur pur contenu logique, mais à celui de la fonction282 qu’elles jouent, on s’aperçoit que

leur unité est réelle. Elles permettent au juge de résoudre un certain nombre de problèmes du même type au jour le jour, tout en réservant l’avenir. Elles ne sont pas un pur mot, car elles s’inspirent d’une idée ou d’un faisceau d’idées que l’on peut formuler ; mais elles constituent des notions « ouvertes », prêtes à s’enrichir de tout l’imprévu du futur. […] Elles répondent plus à une fonction qu’à une notion. »283 Vedel distingue ainsi les notions conceptuelles –qui « peuvent recevoir une définition complète selon les critères logiques habituels et leur contenu est abstraitement déterminé une fois pour toutes »284- des notions fonctionnelles – qui « au contraire,

[…] procèdent directement d’une fonction qui leur confère seule une véritable unité […], [mais dont le contenu] ne peut être épuisé par une définition »285.

225. Il n’est pas douteux que l’on pourrait ajouter au nombre des exemples pris par le doyen Vedel286 (ainsi qu’au nombre de notions incorporées par les études

doctrinales dans cette catégorie à la suite du travail de Vedel287) la notion de lien de

causalité. Un tel rattachement à la catégorie des notions fonctionnelles nous offrirait des clés de lecture. En effet, comme le souligne M. Tusseau dans son étude critique de la notion fonctionnelle, l’intégration d’une notion dans la catégorie des notions fonctionnelles présente des avantages288. Elle présente l’intérêt d’abord de prendre

282 L’auteur souligne.

283 G. Vedel, « De l’arrêt Septfonds à l’arrêt Barinstein (La légalité des actes administratifs devant les Tribunaux judiciaires », préc., pt. 11.

284 G. Vedel, « La juridiction compétente pour prévenir, faire cesser ou réparer la voie de fait administrative », préc., pt. 4.

285 G. Vedel, préc., loc. cit.

286 La notion de faute, celle d’abus de droits, de nécessité, les actes de gouvernement, les mesures d’ordre intérieur, l’établissement public, etc.

287 G. Tusseau en fait l’énumération non exhaustive, (« Critique d’une métanotion fonctionnelle. La notion (trop fonctionnelle de « notion fonctionnelle », préc., p. 641), « la bonne administration de la justice, l’inexistence des actes administratifs, la notion d’acte nul et de nul effet, le service public, la citoyenneté sociale, l’intérêt général, l’acte permissif, les droits acquis, les actes de gouvernement, les circonstances exceptionnelles, etc. La liste est très longue (v. pour l’ensemble des exemples et la bibliographie des études ; pt. 17, pp. 645-646).

« acte de la variété des emplois de certains termes juridiques et du caractère mouvant et indéterminé des objets juridiques. »289 A cet égard, l’intérêt rejoint celui de l’étude

du caractère direct du lien de causalité en tant que standard du droit290.

226. L’apport pourrait résulter ensuite de ce que « loin de prendre à leur pure valeur faciale les énoncés juridiques, l’idée de notion fonctionnelle autorise, derrière une certaine unité du vocabulaire juridique, à identifier, dans un métalangage qui n’est pas dupe du discours de ces derniers, la part de pouvoir discrétionnaire qu’exercent leurs acteurs juridiques. Elle s’avère donc, constate M. Tusseau, précieuse du point de vue de l’élaboration d’un discours doctrinal conscient et désireux d’élucider les formes de pouvoir qui s’exercent à travers le droit. Elle prend acte du fait que les concepts et notions juridiques ne sont pas des entités éthérées situées hors d’atteinte. […] En cela, la métanotion de notion fonctionnelle291 porte la promesse d’une élucidation de formes de rationalité proprement juridiques, distinctes de la logique formelle et faisant davantage appel, par exemple, à la topique, à la rhétorique ou à une logique de l’argumentation. »292 Mais, là encore, la lecture de la

notion de lien de causalité en tant que notion fonctionnelle ne nous en apprendrait pas plus, ou confirmerait au mieux, ce que l’analyse du caractère direct du lien en termes de standard pouvait nous proposer.

2) L’inanité de la lecture de la notion de lien de causalité en